Au Mali, le procès d’Amadou Haya Sanogo, chef des putschistes de 2012, et de ses compagnons accusés d’assassinat de militaires, devait reprendre en 2017, mais il se fait toujours attendre. Les parties civiles, la défense et un politologue joints par Sputnik attribuent ce retard à des raisons politiques. Le gouvernement reste muet sur le sujet.
Le débat sur «l’affaire Amadou Haya Sanogo», du nom du chef des putschistes au Mali de 2012, a été relancée fin juillet quand Cheick Mohamed Chérif Koné, magistrat et président de l’Association Malienne de Procureurs et Poursuivants (AMPP), a accusé le gouvernement d’être à l’origine du retard à la reprise de ce procès, excédé que ses pairs soient régulièrement mis en cause au sein de l’opinion.
«Toute la responsabilité du retard dans la tenue du procès d’Amadou Haya et autres incombe au seul gouvernement de la République du Mali. Ce dossier, brûlant pour le politique, n’a rien de spécial ou de “sorcier” pour les magistrats. Il aurait dû connaître un dénouement rapide et salutaire si la volonté du gouvernement y était. C’est à lui d’en assumer la responsabilité, devant l’opinion publique nationale et internationale, et non à la Justice d’y répondre», a déclaré le chef de l’AMPP dans un entretien au journal privé malien L’Indépendant diffusé le 30 juillet 2019. Il en a transmis la copie intégrale à Sputnik.
Une déclaration qui a suscité des réactions de nombreux acteurs impliqués dans le dossier ou de leurs porte-parole, mais pas du gouvernement malien. Les tentatives de Sputnik pour joindre le ministère de la Justice sont demeurées vaines jusqu’à ce jour. Studio Tamani, un programme radiophonique diffusé par «plus de 70 radios partenaires à travers le Mali», a expliqué que Malick Coulibaly, le ministre malien de la Justice, a décliné ses sollicitations, expliquant qu’il «ne souhaite pas faire des commentaires à ce stade du dossier».
«Le procès d’Amadou Haya Sanogo et de ses coaccusés est retardé volontairement pour des raisons politiques», a affirmé à Sputnik Séga Diarrah, politologue malien, par ailleurs président de Bi-Ton, un mouvement promouvant la démocratie, la lutte contre la pauvreté et l’emploi des jeunes. «Il s’agit d’un retard politique et encore d’une influence du politique sur le système judiciaire».
Aux origines de l’affaire Sanogo
Pour comprendre ce dossier, il faut remonter au 22 mars 2012, date à laquelle un groupe de soldats menés par Amadou Haya Sanogo, un capitaine quadragénaire jusqu’alors inconnu du grand public et très peu au sein de l’armée elle-même, a renversé le Président Amadou Toumani Touré surnommé «ATT», alors que le nord du Mali était en proie à des attaques de rebelles touareg et d’islamistes armés. Ces insurgés et islamistes armés finiront par s’emparer, entre fin mars et début avril 2012, de la moitié nord du pays, qu’ils contrôleront pendant près de dix mois, jusqu’à mi-janvier 2013.
Opposés au putsch, des membres du 33e Régiment des Commandos Parachutistes (RCP), les fameux «Bérets rouges», partisans d’ATT et qui étaient chargés notamment de la garde présidentielle, ont tenté un contrecoup d’État les 30 avril et 1er mai 2012. Ils voulaient chasser du pouvoir les putschistes, les «Bérets verts». Sans succès. Ces combats fratricides, qualifiés au Mali de «guerre des Bérets», ont fait plusieurs morts: au moins 22, selon des sources rapportées par l’Agence France-Presse (AFP), des dizaines selon la presse locale.
«C’est à la suite de ces affrontements que des Bérets rouges ont été enlevés, puis déclarés portés disparus. Pendant plus d’une année, il y a eu des recherches pour tenter de les retrouver», sans résultats, a expliqué à Sputnik Me Moctar Mariko, président de l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH). En décembre 2013, «un charnier a été découvert dans le village de Diago, proche de la ville-garnison de Kati, à 15 km de Bamako» où Amadou Haya Sanogo avait son quartier général, et les corps retrouvés ont été suspectés d’être ceux de 21 Bérets rouges portés disparus, a ajouté Me Moctar Mariko, également avocat des familles des victimes constituées parties civiles dans le procès.
Entre-temps, sous pression internationale, Amadou Haya Sanogo a rendu le pouvoir à un civil, Dioncounda Traoré, investi Président par intérim le 12 avril 2012. Le 14 août 2013, le capitaine, qui avait déjà obtenu le statut d’ancien Président en contrepartie de son retrait du pouvoir, est promu général par Dioncounda Traoré.
Le 27 novembre 2013, une semaine avant la découverte du charnier de Diago, il a été arrêté puis présenté à un juge, qui l’a inculpé de «complicité d’enlèvement» et placé sous mandat de dépôt après son audition pour sa responsabilité présumée dans la disparition forcée des 21 Bérets rouges. Mais il n’est pas le seul prévenu: le dossier concerne au total 17 accusés, tous des militaires, selon les avocats des parties civiles et de la défense contactés par Sputnik.
Après la découverte du charnier, «les faits (reprochés à Amadou Haya Sanogo et à ses coaccusés, qui étaient ceux d’enlèvement de personnes et complicité d’enlèvement, ont été requalifiés en assassinat et complicité d’assassinat», a précisé Me Moctar Mariko.
Le procès d’Amadou Haya Sanogo et de ses coaccusés s’est ouvert le 30 novembre 2016 devant une Cour d’assises à Sikasso, dans le sud du Mali (environ 370 km de Bamako). Il a été ajourné quatre fois. Le 8 décembre 2016, il a été renvoyé à la première session des assises de 2017, pour permettre de reprendre les tests ADN effectués sur les restes humains extraits du charnier. Mais, depuis lors, «c’est le statu quo», a souligné le président de l’AMDH et avocat des familles des victimes.
Amadou Haya Sanogo demeure détenu à Sélingué, une ville à environ 140 km de Bamako, où il a été transféré en mars 2014. Il est emprisonné en attendant la reprise du procès comme tous les autres prévenus — répartis entre des centres de détention à Bamako —, sauf deux, qui sont en liberté, a indiqué à Sputnik Me Mariam Diawara, membre du collectif des avocats de la défense et leur porte-parole.
Coumba SYLLA
Source : Sputnik