Discours du Président de la République SEM Ibrahim Boubacar Keïta à la Cérémonie d’ouverture de la première édition de la Biennale de Luanda.

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IBK à luanda
IBK à luanda

Messieurs les Présidents,
Monsieur le Président de la Commission de l’Union Africaine, Madame la Directrice générale de l’UNESCO,
Mesdames et Messieurs les membres du corps diplomatique, Mesdames et messieurs les invites,

C’est en ma qualité de Champion de l’Union Africaine pour les Arts, la Culture et le Patrimoine que j’interviens à l’ouverture de cette biennale de Luanda consacrée à la culture de la paix. Mais, avant de vous livrer mon message, il est une obligation dont je tiens à m’acquitter : elle consiste à exprimer toute ma gratitude aux initiateurs et organisateurs de cette rencontre pour toutes les marques d’attention fraternelle dont ma délégation et moi-même avons été gratifiés depuis notre arrivée en cette terre africaine, en cette belle terre devrais-je dire, d’Angola.
Mes premiers mots s’adressent donc tout naturellement à vous, Monsieur le Président et cher frère João Manuel Gonçalves Lourenço ; et ils sont pour rendre hommage au peuple et aux dirigeants angolais pour avoir su reprendre langue avec l’Histoire.

Je veux saluer l’Angola qui s’est engagé à transformer en un pays prospère les débris pathétiques de territoires démembrés et à surmonter les handicaps nés des traites negrières d’abord, de la colonisation ensuite, et d’une longue guerre civile.
Je veux, à la face du monde, exprimer mon admiration pour vous, ses dirigeants, qui avez su vous unir autour de l’essentiel et construire un pays que je considère comme un bel exemple de résilience.

Je voudrais ensuite saluer Mme Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO qui se distingue par le rôle éminent qu’elle joue dans le combat contre le racisme, la discrimination, la xénophobie et l’exclusion.
A cette l’UNESCO qui a, depuis plusieurs décennies, érigé en credo la tolérance, une tolérance comprise comme « le respect, l’acceptation et l’appréciation de la richesse et de la diversité des cultures de notre monde, de nos formes d’expression et de nos manières d’exprimer notre qualité d’êtres humains » je tiens à exprimer ma gratitude.
Je voudrais également saluer le Président de la Commission de l’Union Africaine, Monsieur Moussa Faki Mahamat, pour n’avoir ménagé aucun effort en vue de donner suite à la résolution prise lors du 24ème sommet tenu le 31 Janvier 2015 a Addis Abeba qui invitait la Commission de l’Union Africaine à prendre toutes les mesures appropriées, en consultation avec l’UNESCO et le Gouvernement de la République de l’Angola, pour l’organisation du Forum panafricain biennal pour une culture de la paix en Afrique.
Je voudrais enfin saluer chaleureusement Dr. Denis MUKWEGE dont le combat inlassable pour redonner aux femmes de la RDC leur dignité méritait d’être reconnu, et honore, comme l’ont fait les membres du jury qui lui a décerné le Prix Nobel de la Paix en 2018.

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

Pour en venir maintenant au vif du sujet, je commencerai par un constat. C’est que nous vivons dans un monde paradoxal. Les oxymores et les associations inattendus y sont légion, tout comme le sont les alliances contre-nature.

Pour preuve : alors que l’idée du « village planétaire » a pris forme et s’est matérialisée dans une large mesure grâce au développement prodigieux de systèmes de plus en plus performants de communication immédiate qui ont pour effet d’abolir les distances, l’on observe une inquiétante tendance au repli sur soi et au renfermement sur des « nous » ethniques, nationaux, religieux.

Liberté et Egalite, longtemps pensées comme indissociables, à tout le moins complémentaires, se montrent aujourd’hui difficiles à combiner, voire contradictoires, dans la mesure ou le libéralisme économique provoque d’énormes inégalités.
Il en est de même de l’idée de progrès. Jadis si mobilisatrice, elle est aujourd’hui soumise à rude épreuve, lorsqu’elle n’est pas simplement rejetée. En réalité, s’il est un seul sentiment qui soit partagé dans le monde aujourd’hui, c’est bien le doute face au progrès, nombreux sont aujourd’hui celles et ceux pour qui il est synonyme de destruction des écosystèmes et des Eco-cultures.

L’idée d’un avenir radieux associe à cette notion de progrès est aussi aujourd’hui remise en cause. C’est qu’en effet si jamais autant qu’à notre époque, l’humanité n’aura produit autant de biens matériels ; si jamais autant qu’à notre époque, les systèmes de production n’auront été aussi performants grâce, en particulier, à la dématérialisation de l’économie et à la part de plus en plus grande jouée par les services et les technologies, il n’en demeure pas moins que les inquiétudes et les incertitudes face à l’avenir n’auront jamais été aussi importantes qu’à notre époque où nombre de groupes sociaux, fascines par le progrès et victimes du consumérisme, semblent avoir choisi de sacrifier les raisons de vivre sur l’autel des moyens de vivre.

Cette époque, dominée par ce que d’aucuns appellent une crise du sens, est l’ère des vérités partielles, contre l’idée platonicienne qu’il existe bien une vérité ; c’est l’ère du relativisme qui fait que même l’innommable peut faire sens.

Et a cette crise du sens n’échappe ni le culturel, ni le religieux, dans un monde de plus en plus interconnecté où la conscience des cultures et des religiosités autres ne s’accompagne pas cependant d’une pratique universelle de la tolérance et du dialogue mais donne lieu, au contraire, à des attitudes de forclusion des sociétés et de repli sur soi qui peuvent faire obstacle à la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité à laquelle nous devrions tous, pourtant, œuvrer.
Mais si le monde va mal, la déshumanisation n’est pas pour autant une fatalité à laquelle il ne saurait échapper. En effet, si comme l’affirme avec force l’UNESCO, c’est dans les esprits que naissent les guerres, il devient symétriquement possible de faire de l’esprit une arme non plus de destruction mais de reconstruction massive. Et c’est bien l’enjeu de la thématique d’aujourd’hui : la culture de la paix.

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

La culture de la paix triomphera à quelques trois conditions que je voudrais énumérer rapidement. Il nous faut d’abord, reconnaitre qu’en cette ère du complexe, il est urgent de changer de logiciel, fut-ce au prix d’une dissidence intellectuelle, d’une insurrection de l’esprit contre les doxas dominantes. Nous devons imaginer de nouvelles formes du vivre-ensemble, réinventer une nouvelle humanité qui ne soit pas mue par une logique binaire, qui n’ait pas à choisir entre l’être et l’avoir, entre les honneurs et l’honneur, entre raisons de vivre et moyens de vivre, entre démocratie et développement.

Il nous faut avoir une vision plus holistique de la paix. L’UNESCO en indique la voie, elle qui traite les ressources naturelles, les ressources culturelles et les ressources humaines comme autant de versants d’une approche intégratrice de la culture de la paix.
Mais c’est également le cas pour l’Union Africaine pour qui la paix ne saurait signifier simplement l’absence de guerres, même si mettre un terme aux conflits violents, « faire taire les armes en 2020 », comme elle le stipule dans l’Agenda 2063, est de la première urgence. Il nous faut admettre que la culture de la paix est d’abord une culture de la relation entre paix, démocratie et développement. Nul ne conteste plus aujourd’hui que paix et développement sont les deux faces d’une même médaille, tant il est vrai qu’on on ne peut imaginer un développement durable sans paix car guerre et développement sont antithétiques. Nul ne saurait non plus contester que paix et développement ont plus de chances d’éclore dans un espace de démocratie qu’ailleurs car, même si l’on sait que la relation n’est pas toujours simple ou univoque, l’on convient aujourd’hui que la démocratie contribue au développement et à la paix.
Il nous faut admettre également que, par-delà ses fondements économiques et politiques, la paix a une dimension culturelle en ce que, pour être durable, elle doit procéder de la claire conscience que la diversité est enrichissante, que l’autre doit être traité non pas comme un alius mais comme un autre soi-même, un alter ego.

Le message qu’il faut faire entendre est celui qu’exprime le concept bantou de Ubuntu, qui a des équivalences dans toutes les aires linguistiques et culturelles africaines, et que l’on peut traduire par la formule « Je suis parce que nous sommes ». Une telle philosophie contribue à édifier des sociétés qui savent intégrer la différence, tisser des liens sociaux et humains fondés sur la reconnaissance de la dignité et de l’humanité de tous ses membres et qui œuvrent inlassablement à renforcer la vie.

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

Il nous faut, en second lieu, oser affirmer avec force que nous avons, aujourd’hui plus que jamais, un besoin de fraternité humaine. L’Afrique a payé un si lourd tribut aux conflits violents qui ont émaillé son histoire qu’elle ne peut pas rester insensible à la nécessité du développement d’une culture de la paix dans ses frontières et hors de ses frontières.
Pour avoir été lacérée, déchirée, démembrée, dépouillée, et vidée de ses forces vives pendant plusieurs siècles, l’Afrique ne peut qu’être ouverte à la culture de la paix, tout comme à la notion de sécurité humaine dont la culture de la paix est une partie intégrante. Encore faut-il que soient prises, à tous les niveaux, des mesures qui mettent fin à la répression, à l’injustice et à l’exploitation car la paix ne saurait prospérer sur des sols marqués par de tels fléaux, tout comme elle ne saurait fleurir là où règnent l’ignorance et le manque d’informations Il nous faut affirmer qu’au banquet de la culture de la paix, nous ne venons pas les mains vides car, outre ses ressources naturelles qui lui valent le douteux honneur d’être courtisée par nombre de puissances, l’Afrique est riche de son capital immatériel : en l’occurrence une histoire millénaire, une culture d’ouverture et une matrice de diversité.
Sans sombrer dans l’angélisme, n’oublions jamais que « les fils ainés du monde », ainsi que Césaire nomma les Africains, inventèrent dès le 13ème siècle une constitution : le Kurukan Fugan inscrit depuis 2009 sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité.

Une constitution qui reconnaissait des droits aux étrangers, aux femmes et aux enfants et érigeait la concorde en vertu cardinale. Malgré l’épreuve du temps, cette constitution imprègne encore nos esprits d’autant qu’elle a été consolidée par des formes de convivialité remarquables tels que le cousinage ethnique, et le cousinage onomastique, connus sous le nom de parent à plaisanterie, qui sont au cœur de nos identités.
Ce patrimoine immatériel a également donné lieu à une fraternité confessionnelle qu’il nous faut préserver à tout prix pour ne pas sombrer dans les ténèbres qui ont entaché l’histoire de nombreux peuples à travers le monde.

Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs

Il nous faut, en troisième lieu, réinventer notre avenir. Il nous faut le faire avec la claire conscience que la culture de la paix n’a de sens que si elle est pratiquée, et pas simplement prêchée. « La paix n’est pas un mot mais un comportement », aimait à dire Houphouët Boigny, premier Président de la République de Côte d’Ivoire indépendante. Parce qu’elle n’est pas un comportement inné, la paix ne peut devenir culture que si les groupes humains renoncent à voir dans la violence un mode normal de résolution des conflits et adoptent des comportements et des attitudes portant à la tolérance, au respect de la diversité et à la pratique du dialogue.

En d’autres termes, un comportement dans lequel les pays, les communautés et les individus cherchent à résoudre leurs différences et leurs différends au moyen d’accords, de négociation et de compromis plutôt que de menaces et de violence.
Pour qu’il en soit ainsi, pour que la paix soit élevée au rang de pratiques quotidiennes, il faut qu’il existe un environnement législatif, politique mais également culturel et éducatif favorisant la résolution pacifique des tensions et conflits inévitables entre individus, communautés, partis et pays. Je me réjouis donc de savoir que les questions éducatives recevront l ’attention qu’elles méritent.
Cet avenir qu’il nous faut inventer, il nous faut l’articuler autour d’un grand dessein qu’il nous appartient de définir collectivement. Je me garderai de m’y essayer aujourd’hui mais il me semble qu’a tout le moins il devrait avoir à son cœur deux principes directeurs.
Le premier est que le projet panafricain, qui est la raison d’être de l’Union Africaine, ne peut se construire que dans le pluriel. Il nous faut clamer que « le Bantou est un frère, et l’Arabe et le Blanc » comme aimait à dire le chantre de la Négritude, Léopold Sedar Senghor, auteur de l’hymne sénégalais d’où est extraite cette citation.
Le panafricanisme ne saurait ignorer que l’Afrique est terre de vie pour les populations noires mais aussi pour les populations arabes du Nord et les populations blanches du Sud. L’Afrique ne devrait jamais perdre de vue que la paix est menacée lorsque la peur et le ressentiment opposent des communautés raciales. Elle ne devrait jamais oublier que l’intolérance, qu’elle touche à la race, la classe ou la religion, et le préjugé sont les ennemis mortels de la paix.
Plus que jamais nous avons besoin de nous rouvrir à nous-mêmes pour la renaissance de notre continent. Et comme l’écrit Achile Mbembe, « tout faire et tout donner afin qu’aucune Africaine ne soit traité comme un.e étrangere en Afrique ».

Le second principe, c’est que notre jeunesse reste notre capital le plus précieux. C’est fort de cette conviction que je suis de ceux qui affirment que la meilleure façon de servir l’Afrique c’est de préparer sa jeunesse, de l’armer politiquement, intellectuellement et moralement pour aller à la conquête de l’avenir.
L’art et les diverses expressions culturelles peuvent y contribuer grandement à ce que se forge au sein de cette catégorie le sentiment d’une fraternité agissante. Une fraternité qui doit sans cesse être régénérée.

Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs

Je voudrais terminer mon allocution en exprimant le vœu que la Biennale de Luanda soit le lieu de l’affirmation que le destin de l’Afrique est entre nos mains et qu’à cette occasion nous réaffirmons notre détermination à faire de nos ressources naturelles, culturelles et humaines les piliers de notre édification de l’Afrique que nous voulons, telle que nous l’avons écrite dans l’Agenda 2063 de l’Union Africaine.

Je vous remercie.

SourceMalijet

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