Grand reportage : Au cœur de la milice dogon au centre du pays !

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Au-delà de Sévaré, en direction du pays Dogon, la nature change de visage. Plus on avance, plus un air cynique se dégage comme s‘il y a un divorce entre les hommes de la zone et la Nature mère. Un rejet qui se caractérise par la tristesse et impiété. L’ennemi a reçu son coup.

Des récoltes incendiées, des populations massacrées, des milices tuées, multiplication des actes terroristes, le centre du pays est devenu un vrai mortifère pour ses populations et son bétail. Chaque village n’est qu’une tombe debout et active, une minute suffit pour être basculée dans l’horreur et dans le silence assourdissant de l’éternité.

Dans ce désespoir permanent, il y a des voies qui font couler des larmes à tout être doté d’un peu humanisme, de rationalité et de pitié. La zone, dans son ensemble, est caractérisée par des attaques sur la voie principale et à l’intérieur des communes et villages.

Les terroristes ou les pseudo-terroristes ne font pas de cadeaux aux villages attaqués : leurs récoltes sont brûlées afin de créer la famine pour les survivants et le déplacement pour les autres qui prennent leur courage à deux mains.
Malgré la présence des FAMAS çà et là, l’insécurité règne en permanence.

Leur présence sur la voie n’est qu’une simple forme et des fois, elles-mêmes sont la cible d’attaques. En mi-novembre, deux gendarmes ont été tués dans leur poste de Mandoli dans le cercle Bandiagara et des véhicules de transports de marchandises ont été incendiés. Ce poste dans lequel les deux gendarmes ont perdu la vie est occupé actuellement par les milices dogons pour la sécurité des villages environnant.

« Ce n’est pas pour vous empêcher de circuler librement sur cette voie qu’on contrôle les véhicules et qu’on vous demande où vous allez. Mais cette voie est la seule route qui nous reste pour assurer la sécurité de nos populations. Si nous ne veillons pas sur elle, nous allons tous rentrer dans l’histoire c’est-à-dire (mourir) ». Tels sont les propos tenus par un donso( chasseur) dogon, chef de poste sur l’axe routier sévaré/Koro. Des propos qui, au regard de la situation d’insécurité dans la zone, ont leur pesant d’or.

Ce chasseur dogon affirmait ces propos aux premières lueurs du jour avec un regard hagard et troublé, une voix tremblante et hésitante, un air revendicateur et stressant. En un mot, il ressemble une personne dans un désespoir total qui lance un SOS non seulement aux usagers de l’axe mais aussi à toutes les bonnes volontés qui peuvent être sensibles à leur situation.

Cet homme, la quarantaine d’années révolue, parle un français soutenu et académique. Si ce n’était par nécessité, une telle personnalité n’allait jamais se retrouver dans le froid en plein milieu de la brousse avec une arme à la main.

La fatigue, la faim, la crainte d’une mort permanente et imminente et l’insomnie caractérisent sa vie quotidienne et celles des éléments qui sont sous son commandement. Des éléments qui ont eux aussi les yeux rougis par les stupéfiants et la fatigue.

« A l’impossible, nul n’est tenu », dit un adage populaire. Un autre Donso, plus déterminé et prêt à assumer ses responsabilités de défenseur infatigable des siens, affirme sans crainte dans les yeux que « si nous ne nous protégeons pas nous serons tués comme des chiens par nos ennemis et nos familles connaîtront le même sort. Nous n’avons d’autre choix que de nous défendre car il n’y a personne pour le faire ».

Pour assurer la sécurité, dans chaque village, chaque famille envoie un garçon dans la milice. C’est le prix à payer pour assurer la sécurité générale des localités. Les FAMAS sont là, mais certaines zones leur sont inaccessibles par peur de représailles des terroristes.

La misère des milices et la crainte des populations

Dans cette lutte de survie, les populations et les milices qui les protègent sont dans la pauvreté et le délaissement total. Le cynisme de la nature règne et les récoltes ne sont assez suffisantes pour assurer l’alimentation des populations durant les 12 prochains mois. Faire un tour dans le marché de Bankass et oser demander à quelques commerçants. La suite est une autre histoire à part.

Les milices ont érigé des check point tout au long de la route principale et sur certaines routes à l’intérieur des trois grands cercles : Bandiagara, Bankass et Koro. Pour chaque élément, il faut un service de garde de 24 heures obligatoire. Les frais de nourriture sont à la charge de chaque élément. Les milices sont des chefs de famille et des jeunes qui luttent sur trois fronts.

Le premier front est la prise en charge de leur famille en termes de nourriture et des frais de soins. Le deuxième est celui de la sécurité de toute la zone et le dernier front est celui de propre pris en charge. Inutile de le dire, mais il faut quand même le rappeler, c’est la faillite totale de l’État dans la zone qui a engendré cette situation et qui est en train de la maintenir. Une fois dans la zone, l’impression qui se dégage est la complicité passive ou active de l’État. L’inertie totale et l’insensibilité sont les épithètes dont l’État en fait usage dans le centre du pays.

En début du mois de novembre, le gouverneur de la région de Mopti a effectué une visite à Bankass et à Koro mais la visite n’a absolument rien changé dans la situation précaire ni la misère des populations. Au cours du trajet, le gouverneur et son escorte militaire ont passé devant ces milices sans réagir ni proposer des solutions alternatives aux problèmes. C’est cette passivité de l’État qui a permis aux populations et aux observateurs d’affirmer sans détour que l’État est complice et des hauts responsables des zones tirent des dividendes. Par exemple, le chef des milices peuhl, Sékou Bolly est aujourd’hui une vedette et baigne dans le bonheur et la richesse à cause de cette situation chaotique et sinistre. À sévaré, il est l’homme le plus remarquable à cause du luxe.

Il n’est pas le seul qui a largement tiré des bénéfices de la situation. D’autres personnalités ont aujourd’hui construit des villas dans les dividendes de cette guerre intercommunautaires. Et la chaîne de bénéficiaires est très longue et commence du niveau communal jusqu’au niveau ministériel. Nous y reviendrons largement sur le brigandage financier organisé autour de ce conflit.

Envoyé Spécial : Boncane Maiga

Source : Le Point

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