Alors que la France s’apprête, ce lundi 2 décembre, à rendre hommage aux treize militaires morts au Mali, Mondafrique revient dans une série de papiers sur les raisons qui expliquent la descente aux enfers du pays.
A force de convoquer la crise libyenne pour expliquer la grave situation sécuritaire dans la bande sahélo-saharienne, on a oublié que le Mali, le pays le plus affecté, n’a aucune frontière avec la Libye. La descente aux enfers du Mali est le résultat de facteurs bien antérieurs à la crise libyenne: un Etat en faillite, des conflits ethniques exacerbés, la corruption au coeur des forces armées, l’incapacité enfin du Président IBK, élu avec l’aide de la France, à rassembler le peuple malien .
La neutralité d’ATT face aux djihadistes
La responsabilité de l’Etat malien dans les progrès du djihadisme ne datent pas d’aujourdhui. Face au harcèlement des forces de défense et de sécurité algériennes, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), héritier du Groupe islamique armé (GIA) s’était installé dans les années 2000 dans un no man’s land à la frontière algéro-malienne. C’est à partir de cette base-arrière que le GSPC, devenu ensuite Al-Quaida au Maghreb islamique (AQMI) après son allégeance à Al-Quaida, a multiplé les prises d’otages d’occidentaux dans le Sahel et ne les libérait que contre le paiement des rançons . Lesquelles sont devenues une industrie florissante.
Amadou Toumani Touré (ATT), alors président malien, à la tète d’une armée divisée et hors d’état de marche, était largement impuissant face à des djihadistes qui provoquaient des pertes en vies humaines pour les forces armées maliennes (FAMA). D’où l’inertie d’ ATT face au péril djihadiste, voire même la volonté, chez beaucoup de ses proches, de composer avec les chefs de guerre djihadistes. Ne serait-ce que pour se partager le trésor de guerre prélevé sur le commerce de la drogue florissant dans le Sahel.
Cette doctrine à peine masquée de non engagement face au terrorisme est remise en cause par la chute inattendue de Kadhafi, le dictateur libyen dont la célèbre « légion étrangère » avait mobilisé de nombreux étrangers, notamment des touaregs. Le Niger parvient alors à gérer le retour de ses ressortissants après qu’ils aient, sage décision, déposé les armes. Le Mali d’ATT en revanche réintégre les siens, mais avec armes et bagages.
On connaît la suite. Les « retournés de Libye » en profitèrent pour lancer une rébellion armée emmenée par le Mouvement de libération de l’Azawad (MNLA). Cette rébellion entraîne finalement la chute d’ATT et le coup d’état du capitaine Amadou Sanogo, qui sera contraint de céder le pouvoir à Diancounda Traoré, sous la pression des Français.
Une tutelle française pesante
Présents, actifs et soutenus par les pays du Golfe, à qui la France vend ses armements sans se poser de questions inutiles, les mouvements djihadistes relèguent le MNLA au second plan et prennent le contrôle des régions du nord Mali. En janvier 2013, leur chef auto proclamé, Iyad Ag Gahli, protégé par les Algériens, annonce qu’il va marcher sur Bamako. Il n’est pas certain, d’après des sources diplomatiques sollicitées par Mondafrique, qu’il aurait mis ses menaces à exécution. En contact permanent avec les généraux algériens et avec ses protecteurs à Bamako, Ag Ghali cherche bien d’avantage à renverser Amadou Traore, protégé par la France, et à favoriser l’accès au pouvoir des proches de l’Imam Mahmoud Dicko, chef alors du Haut Conseil Islamique qui est au mieux avec les rebelles du Nord.
Après avoir négocié avec l’Algérie de Bouteflika, la France de Hollande et de Le Drian, respectivement président et ministre de la Défense, va imposer leur plan B. Largement sous l’influence de l’Etat Major français qui piaffe depuis plusieurs années d’intervenir en Afrique, l’Elysée lance l’opération Serval qui chasse provisoirement les groupes djihadistes du Nord du Mali et impose, dans des délais précipités, la tenue en juillet 2013 d’une élection présidentielle sans véritable débat et où des dizaines de milliers de personnes déplacées ne prennent pas part au vote.
Peu importe le flacon pourvu qu’on aie l’ivresse d’une démocratie au rabais qui devait sauver le Mali des abimes du djihadisme!
IBK, une espérance déçue
Elu sans encombres mais avec une fraude avérée, Ibrahim Boubacar Keita (IBK), est installé le 19 septembre 2013 dans ses fonctions de président de la république en présence d’une vingtaine de chefs d’Etat, parmi lesquels le président français François Hollande et le Roi Mohamed VI. Le nouveau et très opportuniste chef de l’Etat malien dont on oublie un peu vite qu’il a bénéficié dans son ascension politique du soutien constant du fameux Imam Dicko, promet solennellement de travailler au bonheur des Maliens.
Très vite, ses compatriotes prennent la mesure de la tromperie. IBK assoit un pouvoir guidé par le népotisme. Sans aucune expérience sur les questions militaires, son fils Karim Keita prend la commission Défense à l’assemblée nationale malienne. Issaka Sidibé, le beau-père de Karim Keita, devient président de l’Assemblée nationale alors que plusieurs neveux du président IBK deviennent ministres de la République.
Une très forte instabilité institutionnelle marque la présidence d’IBK. Entre 2013 et 2019, le Mali a connu pas moins de six Premiers ministres. Il n’y a plus de pilote dans l’avion malien qui voit des groupes ethniques se livrer une guerre fratricide qui provoque des massacres dans quelques villages peuls, sans que l’armée française intervienne ni que les medias français ne s’en alarment particulièrement.
La corruption au coeur des forces armées
Le facteur le plus grave de la crise actuelle reste la corruption endémique qui mine le Mali. Selon une étude effectuée en 2018 par le Canada au nom des autres bailleurs de fonds, entre 2005 et 2017 près de 741 milliards de FCFA soit 1,13 milliard d’euros ont été irrégulièrement dépensés par l’Etat malien. A peine installé au pouvoir, IBK s’était lancé dans l’acquisition d’un avion présidentiel à 30 millions d’euros payés sur les deniers publics à travers des sociétés-écran établies en France, à Hong-Kong et aux Antilles.
Alors que le pays est officiellement en guerre, la corruption mine particulièrement le secteur de la défense et de la sécurité. Les derniers scandales en date concernent l’acquisition pour environ 4,5 milliards de FCFA de deux hélicoptères de combat SA 330 Puma qui n’ont jamais été mis en service ainsi qu’un contrat de formation de 15 pilotes maliens facturé 3,78 milliards de FCFA soit 250 millions de FCFA/pilote.
Quelques mois plus tôt, l’opposition malienne s’était fait l’écho de l’achat de 42 véhicules tout-terrain de patrouilles pour les forces de défense et de sécurité à 2,3 milliards de FCFA soit 50 millions de FCFA l’unité.
41 Français tués en sept ans, 100 militaires maliens tués en un mois
Outre le préjudice au trésor public, ces détournements, en série et à grande échelle, qui impliquent le premier cercle du président IBK, sapent le moral des troupes maliennes. C’est d’abord cette mauvaise gouvernance qui explique les revers de la lutte contre le terrorisme au Mali. Avec les treize militaires tués le lundi 25 novembre dans la collision entre deux hélicoptères, la France compte 41 soldats tués au Mali depuis 2013. Les Nations unies enregistrent la mort de 200 casques bleus alors que les FAMA déplorent pas moins de 100 militaires morts au combat pour le seul mois de novembre 2019.
Si l’on veut arrêter ce décompte macabre, il faut imposer au président malien de rectifier sa gouvernance actuelle afin de faire cesser les détournements de fonds publics qui ont affecté notamment les crédits destinés à la guerre.
La France, qui a donné son feu orange à la réélection de IBK en 2018, ne prend pas, hélas, le chemin d’un rappel à l’ordre de son protégé. Pourquoi la France ne laisserait-elle pas enfin les Maliens décider de leur avenir, comme beaucoup désormais le réclament qui s’en prennent ouvertement à la politique française en Afrique?
Source : Mondafrique