Conseiller spécial chargé des affaires politiques auprès du secrétaire général du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA-CMA), Hama Ag Sid’Ahmed estime que les gouvernements algérien et français devraient agir de concert pour encourager les autorités maliennes à mettre en œuvre l’accord signé le 20 juin 2015 à Alger.
Pour Hama Ag Sid’Ahmed, l’Accord d’Alger reste l’unique voie vers une paix durable au Mali. S’il n’est pas respecté, ce pays du Sahel sera confronté à une partition de son territoire. Dans cet entretien accordé à Sputnik, ce haut responsable de la rébellion touarègue rappelle la complexité de la situation sécuritaire au Mali et ses conséquences directes sur ses voisins, notamment le Burkina Faso et le Niger, deux pays qui ont été la cible d’attaques terroristes sanglantes. Il est important, selon lui, que toutes les parties engagées au Mali restent concentrées sur un règlement politique du conflit de l’Azawad (nord du Mali) tout en coopérant pour traiter le volet sécuritaire.
Sputnik: L’Accord d’Alger, signé en juin 2015 entre le gouvernement du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), n’a toujours pas été appliqué dans sa globalité. Les dispositions de cet accord sont-elles toujours d’actualité ou faut-il aller vers de nouvelles négociations au vu de la situation politique et sécuritaire actuelle?
Hama Ag Sid’Ahmed: «Nous sommes loin de l’application de l’Accord d’Alger signé le 20 juin 2015. Depuis sa ratification, les gouvernements maliens qui se sont succédé patinent sous la présidence Ibrahim Boubacar Keïta. Ils gagnent du temps comme ils l’ont toujours fait dans les précédents accords de paix qui les ont liés aux Touaregs. Nous sommes aujourd’hui au début de la mise en place des Unités mixtes (mécanisme opérationnel de coordination, MOC), c’est-à-dire des unités qui seront composées des éléments des Mouvements de l’Azawad et des éléments de l’armée malienne pour servir d’expérimentation à la création d’une future armée qui serait déployée sur l’ensemble du territoire.
Si la situation perdure et que le gouvernement malien et la partie impliquée dans la médiation, c’est-à-dire l’Algérie, ne bousculent pas les parties signataires de l’accord, il est fort possible que les populations de cet espace appelé par ces mêmes ‘Azawad’ imposent une autonomie politique plus large. À mon avis, ce serait d’ailleurs l’occasion pour le Mali de sortir de l’État jacobin. Il y a quelques mois, le gouvernement insistait sur la relecture de l’accord de paix, ce qui a été rejeté par la CMA et même par une partie de la médiation. Mais si le gouvernement insiste, alors la CMA aura des modifications à apporter qui iront dans le sens d’une forte autonomie de gestion politique de l’espace Azawad.»
C’est à partir de là qu’a été commise la plus grosse erreur. La suite des événements est connue. En trois mois, de janvier à mars 2012, il n’y avait plus d’armée malienne et les groupes terroristes avaient fait leur apparition et s’étaient emparés de la nouvelle situation. Ils avaient des objectifs contradictoires. Certains ne voulaient pas des Touaregs et ils se sont alliés au pouvoir central pour les éliminer et faire transiter de la drogue. D’autres souhaitaient s’implanter et créer des passerelles, mais sans la présence des Touaregs qui aspiraient à cette époque à l’indépendance ou à une forme de système fédéral. L’armée malienne s’est donc repliée dans la partie sud et a abandonné la partie de l’Azawad.»
Sputnik: Les gouvernements maliens qui se sont succédé sont donc responsables de la situation?
Hama Ag Sid’Ahmed: «Si on avait engagé des négociations sérieuses à partir de décembre 2011, la région Sahara-Sahel ne serait pas aujourd’hui dans la situation actuelle. En Afrique, nous avons des difficultés à analyser les situations avant qu’elles ne deviennent critiques. Nous avons tendance à attendre l’explosion pour réagir. Nous connaissons aujourd’hui le coût de la gestion de cette explosion et de ses conséquences. Lorsque l’on on écoute les parties signataires, elles veulent toutes la paix, mais la responsabilité de faire bouger les lignes revient à l’État, c’est-à-dire au gouvernement malien. En remettant au lendemain l’application de l’accord, en tout cas en ce qui concerne ses aspects importants, on peut déduire que les autorités centrales maliennes veulent gagner du temps, c’est-à-dire décourager tous ceux qui croient à cet accord. Cela est très dangereux pour la sous-région, pas seulement pour la partie Sahel-Sahara. Le gouvernement du Mali doit aussi bloquer les milices pilotées par l’état-major depuis Bamako qui paralysent l’accord d’Alger.
De son côté, la communauté internationale impliquée dans la médiation ne joue pas son rôle. Elle doit responsabiliser ceux qui empêchent l’application de l’Accord d’Alger et elle se doit de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU. Quant aux actions sporadiques des organisations terroristes –au Mali comme au Niger et au Burkina-Faso–, cette violence est finalement devenue l’affaire de tout le monde et pas seulement des parties signataires de l’Accord d’Alger de juin 2015. Il y a d’autres forces internationales qui se battent au jour le jour contre ces organisations terroristes. Mais la partie est loin d’être gagnée. Cette lutte contre les groupes extrémistes doit être l’affaire de tout le monde si on ne veut pas que cette barbarie soit transposée au-delà de la Méditerranée.»
Sputnik: Les questions sécuritaires ont-elles fini par reléguer au second plan les aspects politiques inscrits dans l’Accord d’Alger?
Hama Ag Sid’Ahmed: «Vous avez parfaitement raison de le souligner, on finit très vite par oublier les conditions qui nous ont menés à cette situation. Il s’agit bel et bien d’un problème politique qui date de plus d’un siècle. Aujourd’hui, la coordination des mouvements de l’Azawad refuse que la solution soit sécuritaire: elle est politique. Les parties signataires doivent sans attendre faire appliquer l’Accord d’Alger pour éviter un retour à la case départ. Cet accord est un outil qui peut amener une paix dans la région Sahara-Sahel si et seulement s’il est impliqué dans son intégralité. Dans le cas contraire, les populations de l’Azawad imposeront un système fédéral qui correspond à leur environnement culturel.
C’est pour alerter la communauté internationale ainsi que les autorités centrales maliennes qu’il faut aller vite. Car il y a une opportunité de faire la paix. Si les parties signataires de l’accord continuent de se tirer dans les pattes, de tourner en rond, et si la communauté internationale impliquée dans la médiation ne tord pas le cou à ceux qui bloquent l’application de l’accord, le Mali risque de se scinder en plusieurs micro-États et alors, la contagion n’est pas exclue.»
Les troupes françaises ont aussi découvert aussi des espaces infinis et une situation complexe sur le terrain. Les organisations terroristes se réfugient souvent parmi les civils, les populations se méfient de tout le monde. Il y a les organisations politico-militaires de la région de l’Azawad signataires de l’Accord d’Alger ainsi que des milices paramilitaires pilotée par Bamako qui créent des confusions sur le terrain et souvent animent des conflits communautaires. Pas grand monde n’aimerait donc être à la place des Français sur le terrain. En plus de ces difficultés, afin de mener à bien les opérations contre les organisations terroristes, des actions de développement d’urgence doivent les accompagner.
C’est donc une bataille qui va prendre du temps, mais elle aboutira lorsque tout le monde s’associera. Les États de la sous-région doivent sensibiliser les populations afin qu’elles rejettent tout ce qui remet en cause leur stabilité et les actions de développement. C’est en y mettant le prix que cette guerre sera gagnée. Ce n’est pas en disant que c’est la faute de l’autre ou en attendant l’autre que la paix reviendra et que le terrorisme sera vaincu. La paix dans la région Sahara-Sahel est l’affaire de tous.»
Hama Ag Sid’Ahmed: «La crise libyenne a d’immenses conséquences sur la vie de tous les jours des Touaregs de cette partie de la Libye. Les familles vivent au jour le jour. Les écoles, pour certaines, ne fonctionnent pas. Les Touaregs se retrouvent seuls à combattre des invasions venues de l’extérieur. Des centaines d’entre eux ont perdu la vie dans cette guerre civile libyenne. Ils veulent qu’une solution politique soit trouvée pour tout le pays, une solution politique qui prendrait en compte leurs préoccupations politiques et sociales. Ce qui se passe dans cette partie touarègue en Libye fait partie des préoccupations des Touaregs de l’Azawad, il s’agit des mêmes familles. Comme ce qui se passe dans l’Azawad est suivi avec attention par les Touaregs libyens. Ce qui est naturel. Il s’agit de familles séparées par des frontières artificielles. Malheureusement pour ces populations libyennes qui sont épuisées par cette guerre civile, la crise libyenne est encore loin d’avoir trouvé une issue politique. Comme je le disais plus haut, beaucoup d’acteurs extérieurs impliqués et intéressés dans la gestion d’une crise ne facilitent pas les solutions.»
Sputnik: Les communautés touarègues installées en Lybie ou dans des zones proches de ce pays ont-elles constaté des mouvements de milices étrangères à la région?
Hama Ag Sid’Ahmed: «Les Touaregs de cette région ont combattu ces milices qui viennent du Tchad et du Soudan et plusieurs dizaines ont perdu la vie. Comme disent les Touaregs libyens, «nous ne sommes plus chez nous, ils veulent nous chasser pour prendre notre territoire et finalement c’est nous qui sommes devenus des étrangers et pour cela, nous sommes obligés de les combattre…». Il y a des milices qui viennent sous prétexte de combattre les terroristes, mais finalement peut-être qu’il s’agit des terroristes qui cherchent des terroristes pour se restructurer. Il est vrai qu’il y a de grands espaces que personne ne contrôle. C’est un danger, tout transit est possible vers la région Sahara-Sahel et même vers l’Algérie et la Tunisie.»