Le président français nous a quitté, le 26 septembre 2019. Mais son souvenir reste vivace dans l’esprit des Malien. Pour preuve, cette cérémonie d’hommage organisée, le samedi 1 février dernier par l’association « Ginna Dogon en marge du festival culturel Ogobagna. Pour la circonstance, l’ancien président de la République, Amadou Toumani Touré, grand ami de Jacques a été invité à témoigner sur l’illustre disparu qui, en 2006, a été intronisé en qualité de Hogon d’Ireli. Voici l’intégralité du discours-témoignage d’ATT.
Monsieur le Président de l’Association culturelle Ginna Dogon, mon cher aîné Mamadou Togo,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Excellence, Monsieur l’Ambassadeur de France,
Mesdames, Messieurs les Membres du Corps Diplomatique,
Autorités et légitimités traditionnelles
Distingués Invités,
Mesdames, Messieurs
Parler de Jacques CHIRAC, c’est prendre le risque d’EN DIRE TROP ou PAS ASSEZ, au regard des relations d’une exceptionnelle qualité que j’ai entretenues avec l’Ancien Président de la République Française.
Oui, l’homme qui nous a quittés le 26 septembre 2019, était un ami personnel, un ami du Mali et de l’Afrique. Il savait donner avec Générosité, mais aussi recevoir avec Respect et Considération.
Merci à mes frère et sœurs de l’Association « Ginna Dogon » d’ouvrir cette fenêtre d’hommage à Jacques qui a emporté avec lui une part du Pays Dogon. Ce Passionné des grandes et vieilles civilisations avait été fasciné par ses lectures sur les cultures du Plateau DOGON ; au contact des hommes, il a été définitivement conquis par des populations qui lui ont montré lors de sa visite qu’elles savaient accueillir et témoigner ainsi leur estime à celui qui les portait si haut dans son cœur !
Le Président CHIRAC a accueilli son intronisation en qualité de Hogon d’Ireli comme un moment d’accomplissement qu’il n’a cessé de partager avec ses visiteurs pendant et après l’exercice du pouvoir.
Le titre de Hogon était tout sauf du folklore ou du pittoresque à ses yeux !
Il savait qu’un tel honneur et une dignité aussi élevée se méritaient et se célébraient.
Le fait a été si marquant dans sa vie qu’il assigna au Musée du Quai Branly, qui porte désormais son nom, de préparer « l’Exposition sur l’Univers Dogon », la plus grande jamais réalisée par un Musée sur l’histoire de l’Art et de la Culture Dogon, depuis le 10ème siècle.
J’ai rappelé à cette occasion, en juin 2011, sa vision du dialogue des cultures lors de l’inauguration du Musée du Quai Branly en juin 2006 : « le Musée du Quai Branly proclame qu’aucun Peuple, aucune Nation, aucune Civilisation n’épuise ni ne résume le Génie humain. Chaque Culture l’enrichit de sa part de beauté et de vérité et c’est seulement dans leurs expressions toujours renouvelées que s’entrevoit l’universel qui nous rassemble » !
Des propos qui sont la trame de la pensée de deux illustres africains, j’ai nommé le Président- Poète-Académicien, Léopold Sédar SENGHOR du Sénégal et surtout l’Enfant de Bandiagara, Amadou Hampathé BA qui proclamait la complémentarité des Civilisations en ces termes :
« La beauté du tapis réside dans la diversité de ses couleurs. S’il n’y a que du blanc, c’est un drap blanc ; s’il n’y a que du noir, c’est un pagne de deuil. C’est l’Univers tout entier qui est notre Patrie. Chacun de Nous est une page du grand Livre de la Nature. Dans la vaste Communauté humaine lancée à la recherche d’un nouvel équilibre, chaque Peuple doit apporter la Note de son génie propre afin que tout l’ensemble en soit enrichi ; chacun doit s’ouvrir aux autres tout en restant lui-même ». Fin de citation.
De tous les témoignages sur le lien indissoluble entre le Président CHIRAC et notre Continent, celui de son biographe officiel, Jean-Luc Barré, fait autorité. Dans un livre paru, en octobre 2019, quelques jours après la disparition de Jacques, il écrivait ceci : « Chirac aime l’Afrique. Il la connaît, la comprend, la respecte avec ce mélange de familiarité et de vénération qu’il voue de longue date aux plus vieilles communautés humaines. Lorsqu’il se rend en Afrique, c’est en somme son propre univers qu’il arpente, aussi à l’aise au cœur du Pays Dogon que sur ses terres de Corrèze, et plus admiratif des trésors ignorés du Musée de Bamako que des plus glorieux chefs d’oeuvre de l’art occidental. Je suis très attaché à l’Afrique, disait-il, parce qu’il s’agit d’un continent essentiel : l’homme y est né !» Fin de citation.
C’est cet homme d’Etat et de grande culture qui m’a reçu en visite officielle en France en septembre 2002, trois mois seulement après mon Investiture, avant son voyage mémorable en octobre 2003, à Tombouctou, Bamako, Sangha et Ireli, qui sera suivi d’autres. Une amitié était née et elle s’est poursuivie au-delà des vicissitudes du pouvoir.
De nombreux amis, qui avaient suivi à la télé la cérémonie des obsèques de Jacques, m’ont dit avoir été marqué par la tristesse qu’ils lisaient sur mon visage. Oui ce n’était pas un masque, mais une peine réelle pour le départ d’un homme qui m’a couvert de sa généreuse affection et de son indéfectible amitié !
Au moment où nous lui rendons cet hommage, j’ai une pensée profonde pour sa famille, pour Bernadette et Claude Chirac ainsi que pour toutes les personnes qui, au Musée du Quai Branly ou au Musée Chirac de Saran, son village natal, font vivre la mémoire de l’Homme d’Etat.
Je ne vais pas conclure ce témoignage sur une note de tristesse car Jacques portait en lui une joie et une chaleur humaine que je m’empresse de résumer en deux à trois moments partagés avec lui :
Le premier moment, c’est lorsque je suis venu une fois l’accueillir à l’aéroport de Bamako- Sénou : à sa sortie d’avion, je vois une grande silhouette qui, tout sourire, déploie au plus large possible ses bras avant d’emprunter la passerelle. Un ami me posa la question plus tard de savoir : à qui Chirac faisait cette grande accolade ? A moi ? à la foule venue l’accueillir ? Je lui ai répondu que le connaissant, il embrassait ceux qui étaient venus l’accueillir mais aussi le Mali tout entier. Chez lui, l’amitié était aussi dans le geste !
Un autre voyage, un autre moment, mais scène presque identique à un détail près : j’étais habillé en costume! Le Président Chirac me demande : Amadou, et ton beau boubou ? Je lui ai répondu que nous devions traverser la ville en voiture décapotable et que le boubou peut rapidement revêtir les allures de parachute encombrant. En souvenir de ce moment, je me suis incliné en grand boubou devant son cercueil, malgré le froid qui pointait son nez à Paris en fin septembre.
Le troisième moment, c’est lorsqu’il a réalisé au cours d’une de nos conversations que je lui donnais systématiquement du « Monsieur le Président ». Au bout d’un moment, il m’avait arrêté net en demandant : ATT, y a-t-il un problème ? Tu es fâché ? Je ne suis plus Jacques ? Je me suis repris en l’appelant par son prénom : pour l’homme, l’amitié se nichait dans les mots.
Voilà le Chirac que j’ai connu : authentique et vrai, jamais dans le faux-semblant !
Le mot de la fin, je l’emprunte à Jacques lui-même qui, à la mort de Charles De Gaulle en 1971, avait dit ceci : « De Gaulle nous a quittés mais nous n’avons pas quitté De Gaulle » !
Etre consacré HOGON, c’est accéder à une forme d’immortalité. HOGON CHIRAC ne sous quittera donc jamais !
Je vous remercie
Source : L’aube