La Présidente de la Cour Constitutionnelle, Manassa Danioko, est à bout de souffle. Du coup, elle coupe le souffle à toute la Cour. Dès le début de ce processus électoral mené au forceps contre la classe politique et l’électorat, la Cour constitutionnelle ne savait même pas quelle était la loi électorale applicable au Mali.
Il a fallu toute la perspicacité de maître Mountaga Tall, président du CNID, pour amener Manassa Danioko et son équipe à la loi en vigueur au Mali. Les cafouillages dans la lecture des résultats, les erreurs de calculs, les omissions témoignent que les résultats proclamés par la Cour procèdent d’un travail bâclé, parce que des arrière-pensées politiques étaient bien établies.
Que la Cour constitutionnelle soit devenue « la honte de notre démocratie » comme le soutenait en 2002 le Professeur Dioncounda Traoré, cela ne fait l’ombre de doute. La mésaventure constitutionnelle actuelle, aux conséquences politiques et juridictionnelles désastreuses, est non seulement un déni de démocratie, mais en ajoute à la division des forces vives du pays et entame avant même son installation la légitimité fortement décriée de l’institution parlementaire du fait même du contexte électoral.
Ainsi, le RPM, parti présidentiel au bord de la crise de nerf, violemment chassé de Bamako par les électeurs, avec seulement un seul député lui-même fortement contesté, y revient sous les aisselles de la Cour. Ce parti à la peine dans le pays à l’image de son fondateur de plus en plus cité au passé, entame un retour à Bamako par effraction.
Pour y arriver il aura fallu à Manassa Danioko et son équipe selon certains observateurs avertis, d’annuler 42 bureaux en CV, 58 en CVI, au détriment de l’URD principal parti d’opposition au RPM. Symboliquement la défaite humiliante qui s’annonçait pour le RPM à Bamako était un chant de cygne pour le pouvoir. Alors d’un seul député sorti des urnes la Cour lui octroie quatre (4) autres à force d’annulation des voix concurrentes.
L’URD ne contrôlant plus que la seule commune III, alors même que les urnes lui autorisaient le contrôle de trois communes sur le six que compte Bamako. La majorité électorale et sociologique reste URD, mais l’arithmétique électorale effectuée par la Cour donne le RPM vainqueur à Bamako. À ce jeu de redressement politique d’un parti présidentiel en pleine déconfiture, la Cour sert de béquille au RPM à Kati, Sikasso, etc.
Au total, plus d’une dizaine de députés dans la nouvelle législature n’auront leur présence à l’hémicycle que par la seule volonté de la Cour constitutionnelle pour renforcer le RPM ou son partenaire stratégique, l’ADEMA/PASJ.
La situation de Bougouni est emblématique à cet égard, en effet, battu dans les urnes, l’ADEMA/PASJ est repêché par la Cour pour la seule raison que le RPM ne s’est pas donné, les candidats convenables, un transfuge de dernière minute et prisonnier dont le cas aurait posé un débat déchirant dans le pays.
À Bougouni, l’obstination politique de la Cour est si forte que, malgré les annulations, le décompte donne l’alliance URD en tête, mais l’alliance ADEMA/PASJ est officiellement donnée élue. On marche à l’envers.
La courte échelle faite à l’ADEMA/PASJ a l’avantage de conforter le Président de ce parti pour les prochaines alliances politiques dans le pays, lesquelles s’annoncent compliquées. Dans le plateau dogon, il était plus avisé aux yeux de Manassa et son équipe de contenter la milice Dana Ambassagou en lui donnant une représentation parlementaire. C’est fait au détriment de la CODEM qui peut se consoler dans le transfert de victoire à Bougouni ou à Sikasso.
Tous ces calculs politiciens ont été confiés à la Cour constitutionnelle parce qu’autrement aucune des opérations citées n’a pu être validée dans les urnes. Ce qui pose à nouveau le rôle de la Cour constitutionnelle dans les élections présidentielles, législatives ou référendaire au Mali. Il est clair que nous avons atteint la limite, de résultats tronqués à ceux fabriqués sur la base de calcul politique dicté par le pouvoir en place, la décision politique de la cour l’emporte sur le caractère juridictionnel.
La Cour nous mène dans un déni de droit. Chacun sait que le déni de droit est pire que l’injustice, il détruit l’âme citoyenne, détruit la société et sème la violence. Revoilà à nouveau, la grande colère du Mali contre le pouvoir IBK s’exprime sous les feux et les fumées des pneus brûlés.
Pour s’être indument substituée aux électeurs, la Cour constitutionnelle met le feu au pays. Un braconnage constitutionnel de plus et un aveuglement permanent qui menace la nation et la République. C’est ainsi que notre pays quitte allègrement la République pour un régime clanique sans légitimité.
Il est regrettable et décevant que la Cour constitutionnelle, qui a vocation à protéger la démocratie, les libertés publiques et les droits des citoyens, ait succombé à la tentation de se mettre à la remorque d’une troupe politique complètement engagée depuis 7 ans dans un déni de réalité.
Est-ce la fin d’un système qu’il faut totalement refonder ?
Nous devons nous convaincre que notre système démocratique sous IBK a atteint toutes ses limites. Depuis les élections présidentielles aussi bâclées comme celles qui viennent de se passer, chacun se rend compte que la voie électorale est devenue une impasse au Mali.
Tous les partis politiques de l’opposition étaient contre ces élections et chacun a pu le dire avec ses mots. Mais aucun n’était prêt, à juste titre, à prendre le risque d’un boycott qui laisserait la place libre à un pouvoir dépourvu de mesure et de décence et qui aurait mené le pays davantage à la catastrophe. Aussi, nul n’a voulu lui faire le plaisir de lui laisser le pays entre ses seules mains. D’où les gymnastiques actuelles de la Cour constitutionnelle pour renforcer le RPM.
Souleymane Tiéfolo Koné,
Ancien Ambassadeur
Source : Le Wagadu