La dégradation de l’environnement avec toutes les nuisances que cela entraîne et aussi toutes les catastrophes déjà arrivées ou à craindre (pour ne pas dire attendues), découle de la conjugaison de plusieurs facteurs tout aussi néfastes les uns que les autres et ayant un seul dénominateur : les actions inconsidérées des hommes sur leur milieu de vie. Parmi ces facteurs, l’usage abusif des engrais chimiques et autres produits phytosanitaires dans notre agriculture dite “moderne”.
Les caprices de la nature (fluctuations climatiques, sécheresses) et leurs corollaires, que sont les disettes et les famines à travers le monde, ont amené l’homme à la recherche de solutions pour contourner, voire “maîtriser” toutes les contraintes liées à ces phénomènes. Dans certains cas, ce fut admirablement réussi. Dans d’autres par contre. les solutions trouvées, bien que “révolutionnaires”. se sont avérées à la longue aussi (sinon plus) dangereuses et néfastes que les problèmes qu’elles étaient censé corriger.
Le côté néfaste de ces inventions obtenues par synthèse et qui se trouvent être pour la plupart xénobiotiques, c’est-à-dire étrangers à la vie, ne devient évident que bien longtemps après qu’elles eussent été d’un usage courant et aient déjà créé une certaine dépendance.
C’est le cas des engrais chimiques et des produits phytosanitaires dont ne veut plus se passer notre agriculture dite “moderne”. Pourtant, l’usage abusif de ces produits a conduit à la dégradation à la fois de l’environnement et de la santé des êtres vivants.
« La révolution verte »
Dans l’agriculture, l’usage des engrais chimiques de synthèse remonte à l’aube de l’ère industrielle, quand l’homme a réussi à produire un grand nombre de composés chimiques, organiques nouveaux. Ces produits, de par la célérité qu’ils conféraient à la croissance des plantes tout en les protégeant contre les insectes nuisibles (cas des insecticides et pesticides), ont fini par supplanter peu à peu les encrais traditionnels ou organiques beaucoup plus lents à agir. Ainsi, est née l’agriculture industrielle.
Cependant, il faut attendre le lancement de la “révolution verte~ par la FAO dans les années 60 pour assister vraiment à l’explosion de l’usage intensif des engrains chimiques dans l’agriculture. particulièrement dans le tiers-monde. Cette campagne, lancée au IPD du développement afin d’accroître la production pour atteindre l’autosuffisance alimentaire est apparue comme une bénédiction et – incitation officielle à l’usage des produits chimiques. Elle constitua le point de départ de leur grande vulgarisation. Si l’on ajoute à cela le fait que, peu de temps après le lancement de cette campagne “révolution verte” des pays comme le Mali firent face à des aléas climatiques critiques ayant eu pour conséquence la terrible famine au début des années 70, on comprend aisément que nos paysans se soient résolument tournés vers l’utilisation intensive des nouveaux produits, encouragés en cela par les divers services techniques du département de l’agriculture.
Un engrenage vicieux
On se rappelle à ce propos que c’est à cette époque qu’on assista à la création au Mali des opérations de développement chargées d’encadrer le monde rural et de lui vanter les mérites des produits agrochimiques qui lui étaient même procurés à crédit. Mais c’était de bonne foi, car on ignorait presque tout, des conséquences (surtout à long terme) des engrains chimiques tant sur l’environnement que sur l’homme et tous les autres êtres vivants.
Ce qui comptait donc, c’était l’augmentation du rendement. Cela a conduit l’agriculture dans un engrenage vicieux. En effet, « dès qu’un cultivateur cesse de mettre du fumier et d’autres matières organiques sur son terrain, et les remplace par les divers engrais artificiels, la structure du sol commence à se détériorer…
Pour compenser la fertilité naturelle du sol, les cultivateurs sont obligés d’y mettre encore davantage d’engrais. Ce qui perpétue une dégradation croissante, laquelle aboutit finalement à la ruine du terrain » font remarquer Edward Goldsmith et ses collaborateurs dans leur ouvrage “5000 jours pour sauver la planète”.
Par ailleurs, soutiennent-ils, la recherche du rendement a conduit la sélection de variétés à haut rendement (VHR) dont une des caractéristiques est qu’elles tirent du sol tous les oligo-éléments comme le zinc, le fer, le cuivre, le bore et le mobylène, alors qu’aucun de ces éléments n’est valablement remplacé par les engrais artificiels.
En conséquence, le sol est privé d’éléments essentiels de sa fertilité, éléments que l’apport des produits chimiques n’est pas à même de lui redonner. Et les auteurs de conclure “qu’on a donc encouragé les fermiers à renoncer aux variétés qu’ils cultivaient traditionnellement pour les remplacer par des variétés de céréales à fort rendement Ces nouvelles variétés nécessitent des quantités massives d’engrais artificiels. Pour illustrer ce point, ils donnent le cas de l’Inde ou la “révolution verte”, en augmentant les rendements du blé de 50% et ceux du riz de 25%, n’en a pas moins fait multiplier par vingt, le recours aux engrais chimiques.
Dans son ouvrage, « Tout ce que vous pouvez faire pour sauvegarder l’environnement », Ronald Mary nous rappelle que l’azote, le phosphore et la potasse constituent les trois engrais “magiques” de l’agriculture moderne. Les plantes transforment l’azote en protéines ; cependant, trop d’azote produit des résidus sous la forme de nitrates. Or les nitrates sont toxiques pour les plantes, de même qu’ils polluent les eaux souterraines. Par contre, ils sont très appréciés par les insectes. Pour éliminer ces insectes dont on a favorisé la prolifération par l’apport trop abondant d’azote, on est obligé de se rabattre sur les pesticides, un autre gros danger pour l’environnement.
Quant au phosphate, il a pour caractéristique un pouvoir d’asphyxie des cours d’eau. Or il est charrié par les pluies et entraîné justement vers ces cours d’eau. La potasse, elle, appauvrit les fruits et légumes en réduisant leur teneur en substances essentielles telles que le magnésium, les vitamines et les oligo-éléments. En cela, elle rejoint le VHR.
Ainsi, « la trilogie magique » de l’agriculture moderne peut constituer son trio infernal, son handicap, son ennemie. D’autre part, les produits chimiques utilisés dans l’agriculture ne sont pas totalement absorbés par les plantes. La portion non absorbée peut avoir l’une des conséquences suivantes pour l’environnement : soit elle s’évapore et contribue à polluer l’atmosphère, soit elle s’infiltre dans le sous-sol et finit par contaminer la nappe phréatique ; soit elle est lessivée par les pluies et se retrouve dans les eaux de surface. Dans ce dernier cas, elle favorise la prolifération des algues et entraîne l’intoxication de la faune et de la flore aquatiques en provocant l’eutrophisation des cours d’eau.
Dans tous les cas, elle reste fatale à la composition du sol en ce qu’elle tue les organismes qui en assuraient la fertilité.
Cette dégradation de l’environnement provoquée par l’usage abusif des engrais chimiques va bien sûr affecter l’homme et les autres êtres vivants. Tous les produits utilisés se retrouvent, sous forme de résidus, parfois à des doses incroyablement excessives dans les céréales, fruits, légumes et tous les produits d’origine végétale que les autres êtres vivants et nous-mêmes consommons. L’homme étant au sommet de la longue chaîne alimentaire, il va de soi qu’il est le plus exposé aux conséquences des engrais cliniques utilisés dans l’agriculture. Les résidus dont il est question, provoquent des toxicités chroniques ou des toxicités aiguës selon les cas.
La cause de « maladies de civilisation »
Un produit à toxicité aiguë est capable de provoquer la mort, même à petite dose. Quand il est d’une toxicité chronique, il est capable de provoquer la mort ou la maladie lorsque l’homme – ou tout autre être vivant – s’y trouve exposé de façon répétée sur une longue période. Or, tous les produits chimiques sont exposés de façon répétée sur une longue période. Or tous les produits chimiques sont toxiques. Ils sont soit cancérigènes (capables de provoquer le cancer ou d’en favoriser le développement), soit tératogènes (affectant les ovules, les spermatozoïdes ou les embryons et conduisant à des malformations congénitales, soit mutagènes (provoquant des mutations au niveau des gènes et affectant le système immunitaire), soit les trois à la fois. Ils sont soupçonnés d’être à l’origine de nombreuses “maladies de civilisation”, comme la plupart des formes de cancer, mais aussi des maladies respiratoires, des dérangements du système immunitaire, des malformations congénitales et des naissances prématurées entre autres. Tout simplement parce que les produits naturels non contaminés et riches en fibres ont cédé la place à des a1iments contaminés par les produits chimiques agricoles. Même consommés à faible dose, ces produits, contenus dans nos aliments, constituent une grave menace pour notre santé à cause du processus de la bio-accumulalion de leurs résidus. Egalement appelée bioconcentration, cette tendance des composés chimiques se fixe sur nos tissus graisseux. La nécessité d’application des engrais chimiques et leur impact positif sur les cultures, découlent d’un certain nombre de conditions dont la première et la plus importante reste la nature du sol. En effet, les engrais, qu’ils soient chimiques ou organiques (fumier, compost, paillis, etc.) ne doivent venir qu’en appoint à l’essentiel qui est la couche arable, cette légère couverture de la terre sur laquelle les végétaux peuvent pousser.
Cette “peau” de la terre constitue une véritable communauté vivante ayant en son sein une multitude d’organismes (insectes, bactéries, moisissures, etc.) dont la présence est essentielle pour la fertilité du sol. L’apport d’engrais dans le sol ne doit donc être envisagée et intervenir que lorsque celui-ci présente des carences dues entre autres à une surexploitation, à un grand lessivage (érosien) ou à la présence excessive d’éléments naturels compromettant ou annihilant sa fertilité comme par exemple une trop grande salinité ou un excès de potasse.
Les engrais chimiques peuvent certes être nécessaires, mais il faut savoir les utiliser en ne les ajoutant qu’à un sol dont l’absence d’éléments naturels de fertilité justifie leur apport, et en respectant la juste dose dont chaque variété de plante a besoin pour sa croissance.
Dr. Oumar. T. Diallo
Source : Le 26 Mars