GOUVERNEMENT D’UNION NATIONALE : RECETTE MIRACLE OU SOLUTION GALVAUDÉE?

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Pour décrisper le climat politique tendu que notre pays traverse depuis début juin, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, a fait de fortes annonces parmi lesquelles la formation d’une équipe gouvernementale qui réunirait l’ensemble des forces vives. Sur ce sujet, les analyses d’un constitutionnaliste et de deux acteurs politiques

Dr Fousseyni Doumbia, constitutionnaliste : «C’EST SOUHAITABLE POUR
UNE SORTIE DE CRISE»

Je crois que c’est un acte d’ouverture qu’il faudra saluer. Ainsi, le président de la République est en train tout simplement de se conformer à cette situation de crise. Parce que pour la sortie de crise, il faut qu’on se donne la main, qu’on essaye de dialoguer, de se retrouver autour d’un gouvernement d’union nationale.

En période de crise, la formation d’un gouvernement d’union nationale est tout à fait souhaitée, c’est un impératif pour la sortie de crise. Partout où il y a eu des crises d’une telle envergure, il y a eu toujours un gouvernement d’union nationale qui a été formé. Donc, ce n’est pas une particularité du peuple malien. Et ce ne sera pas une première. Ça a été le cas après le départ du président Amadou Toumani Touré en 2012. C’est une façon d’essayer de se mettre ensemble pour sauver le pays.

En période normale, ce n’est pas souhaité. Dans toute démocratie, il y a ce qu’on appelle une majorité qui gouverne et l’opposition qui contrôle. Mais si l’opposition se fond dans la majorité en vue d’une gestion consensuelle du pouvoir, c’est en ce moment qu’il y aura dérive. Il faut que quelqu’un soit là, pour contrôler et proposer des alternatives. Alors, si tout le monde s’associe, il n’y aura plus personne pour critiquer, alerter sur les dérives.
Le gouvernement d’union nationale est souhaitable juste pour sortir le pays de cette situation de crise. Après, il faut une majorité pour gouverner et une opposition pour contrôler.

à mon avis, la démocratie ne signifie pas tout simplement que tous les cinq ans, il faut aller aux élections, qu’il y a plus de 200 partis politiques, qu’il y a le pluralisme médiatique. La démocratie doit s’accompagner aussi de la bonne gouvernance. Et qui parle de bonne gouvernance parle de la maîtrise de la corruption, du respect de l’état de droit, de la stabilité politique, de la qualité de la réglementation.

Aujourd’hui, il y a une partie de la classe politique qui demande le départ du président de la République. Je crois que ce n’est pas la solution. Parce que le président a déjà commencé à poser des actes allant dans le sens du processus de sortie de crise. La communauté internationale est en train de l’accompagner. Quand le président s’en va, le compteur va être remis à zéro. Il y aura beaucoup de difficultés pour construire un consensus autour de la gestion du pouvoir.

Et cela aura aussi des conséquences dramatiques sur les plans économique, juridique et politique. Parce que la communauté internationale, dans une certaine mesure, risque de tourner le dos au pays. Et aujourd’hui, avec la crise sanitaire de dimension mondiale qui est en train de frapper notre pays, le Mali est dans une asphyxie économique totale. Donc, il ne faut pas qu’on ajoute une crise à la crise.

 

Amadou Koïta, président du parti PS-Yelen Koura : «LE MALI A BESOIN QUE L’ON SE RETROUVE AUTOUR DE L’ESSENTIEL»

Je voudrais d’abord remercier la mission de la Cedeao, une délégation des ministres des Affaires étrangères. Le Mali a participé à pacifier la résolution d’un certain nombre de crises dans d’autres pays. C’est normal que nos amis viennent d’abord s’enquérir de la situation, proposer leur médiation, parce que nous sommes dans un contexte extrêmement difficile, surtout notre sous-région.

Notre pays traverse un moment difficile et fait face à un double défi : le défi sécuritaire, le défi sanitaire. Aujourd’hui, les forces armées et de sécurité des pays membres du G5 Sahel, la Force Barkhane, la Minusma nous aident à avoir raison des forces du mal qui sont les terroristes. Cela ne peut se faire que dans une certaine stabilité. Si à Bamako, nous créons des situations insurrectionnelles, quel message envoyons-nous à nos forces armées et de sécurité qui nous regardent, qui savent qu’elles ont besoin de notre soutien.

Voilà pourquoi, nous apprécions également les deux discours du président de la République adressés à l’ensemble du peuple malien et aux forces vives de la nation.

Le Dialogue nationale inclusif (DNI) a vu les enfants du pays se retrouver autour du Mali, parler du Mali, dégager des pistes de solutions pour le Mali afin d’être ensemble comme un seul homme pour ramener la paix et la quiétude dans notre grand pays. Nous sommes une grande nation, un pays héritier de grands empires, de royaumes. J’ai l’habitude de dire que tout Malien est le condensé de toutes les ethnies. Nous avons la chance également d’avoir un certain nombre de valeurs sociétales telles que le cousinage à plaisanterie, tant au niveau des ethnies qu’au niveau des noms de famille, même au niveau des liens de mariage. Donc, nous devons consolider tout cela.

Nous saluons la main tendue du président de la République au Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Nous savons également qu’ils aiment tous ce pays ; nous sommes tous des patriotes. Notre souhait à nous tous, c’est que tous les enfants de ce pays se retrouvent comme un seul homme pour sauver la mère patrie. Nous avons d’autres ennemis, d’autres défis et préoccupations qui vont au-delà de ce que nous avons comme contradictions internes.

Voilà pourquoi nous demandons au M5-RFP de saisir cette main tendue du président de la République qui, face à la situation, a décidé de mettre en place un gouvernement d’union nationale. Le Mali a besoin aujourd’hui d’union nationale ; le Mali a besoin aujourd’hui de cohésion ; le Mali a besoin aujourd’hui que tous ses enfants se retrouvent autour de l’essentiel. Parce que servir le Mali, c’est être à hauteur de grandeur.

Voilà pourquoi, en tant que président du Parti socialiste, membre de EPM (Ensemble pour le Mali), membre de la Convergence des forces républicaines, nous encourageons nos amis du M5 à saisir cette main, à surseoir aux différents mouvements. Connaissant bien le peuple malien, nous allons toujours nous retrouver, parce que le dialogue, la concertation sont des vertus dans notre pays.
Nous ne pourrons gagner aucun combat ou relever aucun défi dans la désunion. L’union fait la force. Si nous sommes unis, on relèvera ensemble tous les défis. Le Mali est une grande nation, un grand peuple et nous sommes une même famille. Et c’est la famille qui a besoin de tous ses enfants.

 

Cheick Oumar Sissoko, coordinateur de ‘Espoir Mali Koura’ : «ON NOUS PROPOSE DES RECETTES GALVAUDÉES»

Je crois que si nous aimons vraiment le Mali et le continent africain, nous ne pouvons pas ne pas regarder en arrière et visiter des solutions de ce genre qui ont été, à chaque fois, ébauchées, proposées et appliquées dans les cas de conflits de contestations que nos différents pays ont connus.

Quelle a été la conclusion ? Les hommes et les femmes qui viennent et qui acceptent cela à travers leurs partis ou à travers la société civile sont pris dans des gouvernements pour satisfaire leurs besoins matériels, ni plus ni moins. Ils permettent à la majorité présidentielle, si tant est qu’elle existe, de se renforcer, de reculer pour mieux sauter et de les ‘’dégager’’ après un an ou deux ans maximum d’existence du gouvernement.

Cette majorité présidentielle, prenant du poids, se revigorant, reprend du poil de la bête pour recommencer la même chose qu’avant, c’est-à-dire la mauvaise gouvernance, la mise au pas de toutes les velléités d’opposition et ça recommence. Revisitons l’histoire de l’Afrique.

C’est la même chose aussi pour le Premier ministre avec ‘’pleins pouvoirs’’. Nous avons l’expérience du Mali. Le seul Premier ministre avec ‘’pleins pouvoirs’’ a été éjecté ici manu militari, après seulement six mois. Nous avons les cas du Togo, du Congo Brazzaville, de la RD Congo où les ministres avec ‘’pleins pouvoirs’’ ont été maltraités par le président parce qu’il détenait suffisamment d’argent, suffisamment de places dans l’administration civile et militaire. Il avait aussi suffisamment de réseaux dans son pays et à l’extérieur pour agir et empêcher le Premier ministre et son gouvernement de travailler dans le sens des intérêts de son pays. Parce qu’il veut montrer que ce qu’on lui reproche, c’est ignorer que la situation est extrêmement difficile, et que toute autre personne serait dans le même cas que lui, c’est-à-dire dans l’impossibilité de gérer les affaires comme cela se devrait.

Les réalités sont connues, je ne reviens pas sur les causes. Je dis tout simplement qu’on est en train de nous proposer des recettes galvaudées, connues qui n’ont jamais marché et qui refusent de faire référence au peuple, au souhait du peuple, à l’espoir du peuple. C’est lui qui doit proposer. Je dis, encore une fois, que nous avons la chance inespérée d’écrire nous-mêmes une page de notre histoire ; qu’il faut que nous arrêtions définitivement que notre histoire soit écrite ailleurs et par les autres.

Du côté de M5-RFP, la solution de sortie de crise n’a pas changé : c’est la démission du président Ibrahim Boubacar Kéïta et du régime. C’est-à-dire la fin d’un système politique, économique, social, culturel, environnemental. Depuis que nous sommes ensemble, les différentes solutions proposées viennent de la mission de la Cedeao, mais aussi de la mission de l’Union africaine (UA) qui est dirigée par le président Pierre Buyoya. Et puis, il y a eu des visites à Mahmoud Dicko qui est notre autorité morale, pour nous inciter à accepter certaines choses. Elles vont de l’apaisement, de l’arrêt de nos manifestations et de l’arrêt de l’exigence de la démission du ‘’président démocratiquement élu’’ au respect des institutions.

Ces missionnaires, ces facilitateurs, ces médiateurs ajoutent qu’il est possible d’aller plus loin. Plus loin, il faut entendre, même s’ils ne le disent pas, de reprendre les élections partielles dans les zones contestées que notre peuple appelle ‘’les zones où la Cour constitutionnelle a œuvré de manœuvres dilatoires, inacceptables pour faire élire ceux qui ont échoué comme le président de l’Assemblée nationale en Commune V’’. Les propositions continuent aussi de façon directe ou indirecte ou par des rumeurs. Il n’est pas impossible qu’on aille vers un gouvernement d’union nationale, vers la dissolution de l’Assemblée nationale, et finalement pourquoi pas une cohabitation avec le président qui resterait avec une transition ; choses qu’on ne nous a pas proposées officiellement, directement, mais c’est dans l’air, c’est dans les rumeurs.

Il y a simplement que la Cedeao, avec certains présidents qui appellent directement les uns et les autres, particulièrement l’imam Dicko. Ils tiennent à ce que le président IBK garde son fauteuil. Nous, nous avons dit hier (vendredi dernier Ndlr) à notre dernière réunion que nous gardons le cap en ouvrant des possibilités, comme le souhaitent nos traditions, de discuter avec ceux qui sont envoyés pour cela.

Nous avons aussi rencontré l’EPM (Ensemble pour le Mali) qui est la majorité présidentielle qui souhaite que nous ayons un cadre de concertation ; ce que nous ne refusons pas. L’ancien président de la Transition, Pr Dioncounda Traoré, a rencontré aussi une délégation de M5-RFP pour voir comment nous pouvons apaiser la situation et accepter le dialogue.
Le dialogue, nous ne le refusons pas. Mais notre dialogue est, pour moi en tout cas, dans quelle mesure on peut voir la faisabilité de la démission du président et de son régime.

Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ et
Bembablin DOUMBIA

Source: Journal l’Essor-Mali

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