L’impatience commence à gagner la plupart des personnes que nous avons interrogées. Beaucoup pensent que le dialogue en cours pour le dénouement de la crise sociopolitique a trop duré
Notre pays est sans gouvernement depuis trois semaines. Le Premier ministre Dr Boubou Cissé a, en effet, démissionné le 11 juin dernier avant d’être immédiatement reconduit dans ses fonctions par le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta. Le chef de l’état a annoncé, lors de sa rencontre avec les forces vives de la nation, le 16 juin au CICB, la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Plus de deux semaines après, la deuxième institution de la République peine à s’installer.
Face à cette situation dont nul ne peut prédire la fin, l’incompréhension et l’angoisse sont en train de gagner bon nombre de Maliens. Pour prendre la juste mesure de ce qui se passe, notre équipe de reportage a recueilli les impressions de certains citoyens.
Selon Seydou Koné, le retard accusé dans la mise en place de la nouvelle équipe gouvernementale s’explique par la crise politique qui mine notre pays. «Le président ne peut pas se permettre de mettre en place un gouvernement de son choix étant donné qu’il a appelé au dialogue, en disant que sa main est tendue », analyse l’enseignant. Pour lui, si les responsables du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) intègrent ce gouvernement, cela montre que leur but n’était pas le départ du président de la République. Mais plutôt une stratégie qui consiste à demander la tête pour avoir la main. «Les responsables du M5-RFP ne courent pas derrière un poste», pense, de son côté, un autre interlocuteur qui s’est dit convaincu que la lutte des contestataires est salutaire.
Selon le directeur du journal Malidemain, la situation que nous vivons aujourd’hui est extrêmement préoccupante, voire grave. D’après Boukary Dicko, tous les acteurs sont interpellés afin qu’ils mettent le Mali au-dessus de toute considération « politico-politicienne ». «Les Maliens sont fatigués avec ces 30 ans de démocratie de chiffonniers. Il est l’heure d’y mettre un terme et de se dire certaines vérités », fulmine notre confrère. Avant d’estimer que l’heure n’est plus au discours, mais aux actes. « Il faut que chaque partie tienne compte des intérêts de la nation avant tout autre chose », martèle Boukary Dicko.
Le président des revendeurs des journaux ne pense pas moins quant à la gravité des conséquences de l’absence de gouvernement dans un pays en crise. Profitant d’un bref moment de moindre affluence devant son kiosque à journaux, Arouna Bouaré nous confie que tout est bloqué à cause de ce qui s’apparente à un dysfonctionnement. « On a des dossiers en instance, hélas, tout est fermé. On est pénalisé par rapport à ça. Il faut que cette équation se résolve pour que les gens puissent être soulagés », souhaite-t-il.
Cheick Sanogo estime, de son côté, que le retard pris dans la mise en place du nouveau gouvernement est dû à la mauvaise gestion du pays. «Trois semaines sans gouvernement, vraiment c’est inquiétant. Cela montre qu’il y a une défaillance au niveau de la gestion de l’état », a fait observer l’enseignant. Et de signaler que cet état de fait peut s’expliquer également par la formation du gouvernement d’union nationale qui aura essentiellement pour tâche d’appliquer les recommandations du Dialogue national inclusif (DNI). Selon lui, la non application des conclusions du DNI peut cependant soulever d’autres problèmes.
FAIRE L’UNANIMITÉ- Le ressenti du citoyen lambda nourri d’inquiétudes est largement partagé par le jeune N’Faly Dembélé. Sortant du parking de l’école normale supérieure (Ensup) et avant d’enfourcher sa moto, l’étudiant soutient que l’installation du nouvel attelage gouvernemental est tributaire de l’évolution de la situation sociopolitique du pays. Selon lui, ce retard tient au fait que l’équipe annoncée doit faire l’unanimité. Aussi, elle ne doit pas aller dans le sens de mécontenter la classe politique et les citoyens.
L’avis de Séckou Keïta est que la situation actuelle du pays a besoin d’un gouvernement digne de ce nom pour pouvoir faire face aux problèmes de la vie. Pour ce bouquiniste, on ne peut pas avoir confiance à un pays sans gouvernement. « Il nous faut rapidement un gouvernement pour nous donner la certitude de la bonne marche du pays», dit-il.
Pour sa part, Mamadou Traoré admet qu’on doit aller vers un gouvernement d’union nationale. « C’est plus cohérent et ça va nous donner des portes de sortie », a-t-il espéré. Cet informaticien a souligné que le Premier ministre doit pouvoir rapidement mettre en place son équipe, ajoutant que plus le temps passe, plus la situation s’aggrave. Parlant des doléances des « opposants », il a estimé qu’on ne peut pas aller jusqu’à un Premier ministre avec ‘’pleins pouvoirs’’. « C’est un peu exagéré. C’est comme si le président n’existe pas », a déclaré notre interlocuteur. Avant d’évoquer en propagation de la Covid-19 dans notre pays. Visiblement à cran, Mamadou Traoré lance : « Il nous faut un gouvernement pour pouvoir faire face à cette situation. Pour le moment, le pays est carrément out ».
De son côté, Mme Keita Rachel Coulibaly soutient que trois semaines environ sans gouvernement n’est pas une bonne chose. L’étudiante estime que ceux qui se sont rassemblés à la place de l’Indépendance, pensant que c’était la bonne solution, ont peut-être tout gâté. Néanmoins, la dame prie Dieu pour qu’on puisse remonter la pente au bénéfice de tout le peuple malien.
Contrairement à ces intervenants, un étudiant, ayant requis l’anonymat, apprécie cette situation du pays sans gouvernement. Selon lui, avec ou sans gouvernement, cela revient à la même chose. Mieux, il pense que la situation permet de réduire les dépenses de l’état. « Parce que s’il y a des ministres, il faut les payer et prendre en charge leur déplacement ».
Bembablin DOUMBIA