Notre Mali, comme il va… La médiation CEDEAO sauve (provisoirement) IBK mais pas le Mali

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Mamadou Kouyaté, journaliste
Mamadou Kouyaté, journaliste

Après quatre jours d’âpres discussions autour de l’avenir politique du Mali, la Mission de médiation de la CEDEAO, la majorité présidentielle, le M5/RFP et la Société civile n’ont pu trouver un véritable terrain d’entente. Les enjeux étant principalement le maintien ou non d’IBK à la présidence de la République, la formation d’un gouvernement consensuel d’union nationale, le quota à allouer à chaque partie et la dévolution des prérogatives gouvernementales, notamment les ministères-clé, susceptibles d’impulser une meilleure gouvernance des affaires de l’Etat.

Les recommandations finales des mandataires de l’organisation sous régionale ont été, comme il fallait s’y attendre, repoussées par le M5/RFP, qui a relevé que le quota de 30% dans la constitution du gouvernement d’union nationale, ne lui permet ni de peser sur la formation de la nouvelle équipe gouvernementale ni de disposer du pouvoir nécessaire pour occuper des ministères stratégiques répondant à sa volonté d’améliorer la gouvernance socio économique du pays.

En accordant 50% des parts du gouvernement d’union nationale, la CEDEAO a laissé au Mali une véritable bombe à retardement. Un piège qui fonctionnera d’autant en faveur d’IBK, que ce dernier, passé maitre dans l’art de la corruption, pourrait s’offrir la complicité des délégués de la Société civile, en leur proposant simplement d’importants subsides.

On savait la Mission de la CEDEAO porteuse d’instructions de ses Chefs d’Etat visant à maintenir IBK à son poste, mais en procédant de la manière ci-dessus mentionnée, elle contribue à conforter la situation ante et surtout à conférer à son ‘’Protégé’’ les moyens de brouiller toutes les pistes par lesquelles on aurait pu remonter le fil de ses malversations et de ses magouilles électorales et familiales.

Assurément, la CEDEAO n’a pas rendu service au Mali et à IBK, non plus. La colère de la rue n’en sera que plus grande, alors que, si les émissaires de l’organisation sous régionale avaient saisi l’essence véritable du mouvement de contestation du pouvoir en place, elle aurait fait montre d’une plus grande sagacité en prônant des recommandations visant à réduire notablement les prérogatives du président de la République, qui lui ont permis jusqu’à présent d’abuser de ses pouvoirs énormes, objet du soulèvement populaire.

Les manifestations massivement suivies et les émeutes, qui ont ravagé les sièges de certaines institutions et de services publics, dont l’Office de Radiodiffusion Télévision du Mali (ORTM), étaient à la mesure du rejet du régime par ses administrés et du désaveu de son mentor.

A cet égard, l’on ne peut faire grief aux émeutiers de s’en être pris aux symboles d’un pouvoir dont les errances les ont plongés dans le désespoir. En l’occurrence, ces derniers ne sont pas dans l’inédit, les « mauvais exemples » étant régulièrement fournis par les grandes démocraties, dont les pratiques donnent lieu à des contestations plus dévastatrices que ce l’on voit sous nos cieux.

La sauvagerie dont l’ORTM a été notamment victime, aussi regrettable qu’elle soit, doit être positivée, en faisant en sorte, qu’après ces épisodes noirs et l’émergence d’une nouvelle équipe dirigeante, acquise à une gouvernance de communication moins tatillonne et moins liberticide, notre confrère national se ménage une marge de manœuvre davantage tournée vers « une certaine critique » de l’action de l’Etat. Un ton moins obséquieux et de la hardiesse dans les analyses lui revaudront sans doute une plus grande estime de son public.

Pour revenir à IBK, épicentre de la contestation populaire, sa tendance à la procrastination a agacé les observateurs internationaux et certains pays voisins, qui voient d’un mauvais œil ses tergiversations, visant à gagner du temps pour une cause déjà perdue.

Son obstination à repousser une échéance inéluctable (le dépérissement de son pouvoir jupitérien) et une intelligence déclinante pour les négociations lui ont fait franchir le Rubicon.

IBK est le premier responsable des tueries de ces derniers jours, perpétrées par la FORSAT. En tirant à balles réelles sur des civils aux mains nues, qui ne les ont ciblées que dans une situation de légitime riposte, les forces de sécurité ne pourront se disculper de la préméditation, donc de l’intention de faire mal et de tuer.

Même si cette deuxième mission de la CEDEAO, s’est efforcée de sauver sa tête (suivant les instructions expressément assignées par les autres Chefs d’Etat de l’organisation), IBK, en plus de la perte de sa superbe, devra désormais vivre avec la très peu enviable réputation du régime démocratique (puisqu’il faut lui reconnaitre, malgré tout, cette qualité) qui aura délibérément tiré, à balles réelles, sur des manifestants saccageurs.

Il devra également faire contre mauvaise fortune bon cœur, en se résignant à sacrifier l’Assemblée Nationale, en tout cas ses marionnettes, dont il projetait de faire les exécuteurs de ses basses œuvres institutionnelles, notamment les différentes révisions des textes visant à mettre en place et en œuvre les instruments pour le renforcement de son autocratie.

Quant au M5/RFP et aux autres organisations de la Société civile, ils devront s’atteler à donner un contenu crédible à l’après crise, en proposant un programme pour la reprise en mains des affaires de l’Etat et la clarification de leurs ambitions gouvernementales.

Ceci est un impératif qui crédibiliserait un regroupement hétéroclite, évoluant jusqu’ici au gré des humeurs et des calculs des uns et des autres.

Autres précisions utiles, à un moment où notre pays joue son avenir et pour la restauration de son image de marque, la nomination d’un Premier ministre de consensus, dans un contexte de relance d’urgence des affaires de l’Etat, devra prendre en compte la personnalité consensuelle du candidat à ce poste mais aussi son expérience avérée à la pratique d’une fonction, qui revêtira une plus grande sensibilité et exigera de la sagacité et du doigté.

Les candidats, porteurs de ces qualités, ne sont pas légion. Le plus crédible, parce que pondéré et expérimenté, nous semble tout désigné. Les nombreuses années de pratiques gouvernementales, notamment au poste dont il est question, et la clairvoyance démontrée par lui, militent largement en sa faveur.

Le M5/RFP, la Société civile ainsi que d’autres associations, constituées autour de cadres chevronnés, disposent de critères et de candidats sérieux pour pourvoir, objectivement, les postes stratégiques, qui, seuls, conféreront tout le sens à la participation à un gouvernement dont le but principal est de démontrer qu’une gouvernance utile et soutenue est possible au Mali.

L’on ne peut, à l’évidence, faire l’impasse sur la sortie risible de « l’Honorable » Karim Keïta, qui a fait insulte à la maturité des Maliens, en présentant sa démission de la présidence de la Commission de Défense, Sécurité et Protection civile de l’Assemblée Nationale. La principale raison évoquée est que « je ne souhaite pas être un frein au dialogue entre Maliens pour l’apaisement de la situation socio politique.»

Outre la prétention contenue dans la démarche, elle est aussi la reconnaissance implicite des immixtions fréquentes du fils prodigue dans les affaires de l’Etat, lorsque de gros enjeux financiers doivent être engagés.

Mais, puisque son vœu est de contribuer à l’apaisement du climat social, faisons-lui plaisir en lui demandant d’éclairer l’opinion nationale sur les destinations des 1230 milliards de F CFA alloués à la mise en œuvre de la Loi de Programmation Militaire, sur le sous équipement chronique des FAMa et autres acquisitions destinées à la sécurisation du pays…

Si des Maliens recherchent encore des causes au désamour entre IBK et le peuple, ils n’en ont eu, ces dernières semaines, qu’un petit aperçu, en attendant que l’histoire se charge du grand déballage…

Malgré la médiation, malheureuse et inachevée de la CEDEAO,  le destin royal qui s’est longtemps offert à Ibrahim Boubacar Keïta est assurément en voie de se retourner contre lui. Depuis son élection triomphale en 2013, avec plus de 77% du suffrage exprimé, celui qui, pompeusement, s’était donné pour mission de faire « le bonheur  du Mali », a vu s’éroder régulièrement l’estime de ses électeurs et concitoyens pour lui.

Nous ne remonterons pas ici le fil du parcours désastreux du Chef de l’Etat. S’il y a une leçon que les populations ont bien apprise et qu’ils peuvent réciter sans quasiment se tromper, c’est bien celle des prestations présidentielles, depuis sept ans, qui ont plongé le pays dans un profond gouffre.

 Il s’agit de s’en relever avec prestance et dignité.

Mamadou Kouyaté     koumate3@gmail.com

Source : Maliweb.net

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