L’Afrique, le monde, les amis du Mali, éberlués, nous observe sans mot dire. Les enfants du Mali, ahuris, ne comprennent rien à cette guéguerre d’égo où le biceps prend le dessus sur la raison et devient le mode d’expression de la colère. D’autres, abasourdis, observent le navire Mali chaviré avec un capitaine esseulé, un équipage versatile, tortueux et parfois ivre ne sachant plus le point de départ de son mal de mer entraînant un mal-être profond, mais surtout n’ayant aucune idée de sa destination à court et moyen termes.
Cette crise révèle l’immaturité ou du moins l’égocentrisme de nos leaders politiques qui se traduisit par des comportements qui s’apparentent à ce qu’on appelle en psychanalyse le complexe d’Œdipe. Œdipe, qui dans la mythologie grecque, s’est rendu involontairement coupable d’inceste et de parricide. Nos politiques aujourd’hui, tellement disent ils “aimer” leur mère patrie finissent par la violer et la tuer. C’est dire qu’une grande séance de psychothérapie s’impose au Mali et aux Maliens.
Après la mobilisation de la CEDEAO pour tenter de sauver le “grand corps malade”, le Mali; Ibrahim Boubacar KEITA ne peut plus se contenter de tendre la main, il lui faut maintenant forcer les mains, car il y va de l’existence du Mali et de la survie de sa postérité. S’il ne réagit pas maintenant et tout de suite, il risque de n’avoir plus d’interlocuteurs crédibles en face pour discuter, négocier ou obtenir quoi que ce soit.
Il ne fait aucun doute, et nul n’a besoin d’un microscope pour faire le constat du déclin d’un système démocratique importé qui n’a jamais réellement fonctionné de mars 1991 à aujourd’hui.
Nos textes de lois ne reflètent aucunement les réalités sociopolitiques;
nos institutions calées sur un modèle tout aussi exporté sont en déphasage complet avec l’évolution sociétale;
un régime sensé être parlementaire se magnifie dans les faits comme présidentialiste;
Depuis cette date mémorable du 05 Juin 2020, on assiste à un dévoiement des revendications légitimes du peuple.
Quand le peuple demande un accès universel à la santé, les politiques revendiquent un premier ministre “plein pouvoir” !
Quand le peuple demande un accès pour tous à l’eau potable et à l’électricité à moindre coût; les politiques revendiquent la dissolution de l’assemblée nationale !
Quand le peuple revendique plus de justice sociale; les politiques revendiquent la tête de Manassa Danioko !
Quand le peuple demande la sécurisation des biens et des personnes; les politiques demandent la tête du Président de la République!
Quand le peuple s’inquiète pour la scolarisation des enfants; les politiques glissent timidement la libération de Soumaila Cissé comme postulat de base…
Cette contradiction, cette dichotomie, entre les revendications de l’écrasante majorité des maliens et les exigences des politiques qui prétendent parler en leur nom, entretenue de tous les côtés rend aléatoire toute tentative de mise en place d’un dialogue franc et sincère.
Tous les maliens, hommes, femmes, jeunes et vieux, des villes comme des villages, de toutes ethnies et de toutes obédiences, de tous les rangs sociaux… sont interpellés et appelés à se ressaisir pour faire face à l’imminence du danger qui guette notre mère patrie. Soyons conscients de ce danger pressens et imminent que constituent entre autres;
L’imminence de l’invention du peu de territoire qui reste;
L’imminence de l’explosion du grand banditisme avec la circulation des armes légères et des gros calibres sur toute l’étendue du territoire;
L’imminence de l’instauration d’une guérilla urbaine sur fond de règlement de compte;
L’imminence de l’explosion de la misère et de la famine rampantes;
L’imminence de la défiance généralisée;
L’imminence de la disparition de tous nos ressorts sociaux;
L’imminence de l’aggravation du conflit ethno-politique;
L’imminence de l’instauration de conflits inter courants islamiques;
L’imminence de la désorganisation structurelle de notre modèle organisationnel social,
- culturel et politique et ce pour au moins 20 ans avec comme corollaire la mise sous tutelle et sous perfusion permanente;
Bref, l’imminence de la disparition de notre Etat – Nation.
C’est pourquoi, j’en appelle d’abord au premier d’entre-nous, le Président de la République Ibrahim Boubacar KEITA.
– Qu’attend Ibrahim Boubacar KEITA pour faire usage de l’arbre à palabre et le grand vestibule, tirés de nos us et coutumes, pour imposer le dialogue entre les enfants d’une même nation dont il est aujourd’hui l’aîné sans être le plus âgé ?
– Qu’attend le père de la nation pour apaiser le cœur de ses concitoyens ?
– Qu’attend le président du conseil supérieur de la magistrature pour prôner la justice sociale dans la république dont il est le garant des libertés individuelles et collectives ?
– Qu’attend le chef suprême des armées pour impulser le sursaut populaire et une dynamique nouvelle emmenant le peuple du Mali à croire en la transformation des goulots actuelles en une opportunité afin que les maliennes et les maliens puissent croire de nouveau à un destin harmonieux commun et à une paix durable dans une république où il fait bon vivre ?
– Qu’attend encore le premier élu de la nation pour dissoudre l’assemblée nationale en vertu de l’article 50 de la constitution ? Nul n’a besoin d’être politologue, politiste, universitaire, ou activiste pour savoir que la proposition faite par la CEDEAO en la matière n’est ni légale, ni légitime, ni cohérente, ni faisable, ni applicable au même titre que la revendication principale du M5 RFP visant la démission du Président.
– Qu’attend Ibrahim Boubacar KEITA, pour asseoir un dialogue avec l’ensemble des responsables des partis politiques représentés à l’assemblée nationale pour échanger sur la meilleure formule politique d’absorption de la partie politique de la crise ? Il est temps de sortir de cette dichotomie mouvante et entretenue, et cette cristallisation du débat politique entre le M5 RFP et le Président de la république. La sphère politique ne se résume pas à cela, d’autres partis existent et doivent avoir voix au chapitre, et leur parole compte pour la refondation du pays.
Au-delà de la personne du Président de la république et de l’institution qu’il représente, il est grand temps pour le M5 RFP d’arrêter de surfer sur les fragilités et les faiblesses du premier magistrat élu pour conduire la destinée du pays pour 5 années dont 2 déjà entamées.
Il est grand temps que le comité stratégique du dit mouvement revoit sa stratégie de lutte en acceptant le dialogue et en évitant le jusqu’auboutisme du riposter. En s’enfermant dans cette posture, le dialogue devient difficile et c’est le Mali qui perd.
Le comité stratégique doit faire bien attention, car il se verra très rapidement dépasser par la montée en puissance, comme faucon, de ceux qui se réclament JM5 RFP (jeunesse du M5 RFP). Le caractère hétéroclite, et le caractère impulsif de cette branche jeune qui se radicalise de jour en jour avec un mode opératoire non maîtrisable, et sans réels leaders reconnus doivent faire peur aux responsables de ce mouvement qui n’est pas exempt d’une crise endogène. Et cela est inquiétant !
Au-delà du M5 RFP et de la mouvance présidentielle, les autres partis politiques, les mouvements et associations politiques, le peu de société civile qui existe encore, les ressorts sociétaux (confédérations religieuses, les familles fondatrices, les associations de jeunes, les associations de femmes, les artisans, les opérateurs économiques, les chefs de quartiers… qui restent non-alignés et qui constituent une troisième voie doivent sortir de leur mimétisme et siffler la fin de la récréation.
Si gouverner c’est prévenir, nous devrions tous agir et maintenant pour lancer les bases d’un KOUROU KAN FOUGA sur la base des recommandations de la CEDEAO. Nous devrions prendre cette intervention de la CEDEAO comme une opportunité et non un goulot supplémentaire. N’ayons pas peur de confronter les idées car c’est de la discussion que jaillit la lumière comme dirait l’autre.
Maliennes et maliens, je nous “exhorte à la vigilance”, je nous engage au “parler ensemble” et je nous sollicite au “faire ensemble” . Notre Mali, notre bien commun, notre mère patrie, notre terre nourricière, notre république, notre nation, notre pays, notre Etat ne sera que ce que nous déciderons qu’il soit.
L’heure est grave et aucun sacrifice ne sera de trop pour la survie de notre postérité. Laissons sa chance au dialogue et croyons dur comme fer, que chaque fois que nous avons été en face des difficultés existentielles, nous avons vaincus ensembles par le dialogue.
Que Dieu sauve le Mali et nous donne la force de nous surpasser pour prôner et cultiver la paix dans nos cœurs, la paix dans nos familles et la paix dans le Mali.
Celle-ci est ma contribution et un appel non pas à la désobéissance civile, mais à la réflexion citoyenne pour un Mali apaisé.
Dionké FOFANA
Source : Mali Demain