«Le leadership efficace implique que vous preniez des responsabilités pour le bien-être du groupe, ce qui veut dire que certains vont s’énerver face à vos actions et vos décisions. C’est inévitable-surtout si vous êtes honorable». Colin Powel.
Une des définitions de la fonction, est, selon le Larousse, un “rôle exercé par quelqu’un au sein d’un groupe, d’une activité”. Bien souvent, la fonction habite celui qui l’exerce, rend compte de sa personnalité et de ses actes de tous les jours. Une fonction s’habille, s’honore et se respecte aussi. La fonction de responsabilité a ses rites et ses codes, un mot de passe, dirait-on à l’ère du numérique, que seuls des initiés connaissent. Ainsi, les médecins peuvent passer des heures à épiloguer sur votre état de santé sans que vous mesuriez le degré et la nature de votre souffrance. Ne perdez pas de temps sur l’écriture, pattes de mouche qui ornent leurs ordonnances, le pharmacien, membre du cénacle, saura déchiffrer.
Tout comme chez les magistrats et autres avocats que que vous suivrez sans voix dans des dédales juridiques. Sait-on assez qu’un juge qui vous fixe un délai d’un jour franc vous attend en fait dans les 72 heures ? Le magistrat sait dans son langage et dans son code de procédure, qu’il faut compter le jour d’avant (dies a quo) et le jour d’après (dies ad quem).
Les journalistes qui ont blanchi, comme moi, sur la feuille… blanche se comprennent entre eux : bas de casse, attaque ou chute. Rassurez-vous, ces termes belliqueux désignent les minuscules dans la police des caractères, le début et la conclusion d’un article. Quand vous les entendez parler de chemin de fer, de gabarit ou encore de bandeau, ils pensent simplement à l’esquisse de la mise en page et à l’élément affiché au-dessus du nom du journal.
L’HABIT ET LE MOINE-Les militaires, porteurs d’uniformes et chamarrés de médailles, qu’aucun lien de parenté biologique ne lie dans la quasi totalité des cas, se traitent d’affreux, de bazars, de grands-pères, d’anciens. Pour les initiés, qui savent distinguer les galons et autres grades conférés par les étoiles, ce sont les promotions qui sont ainsi désignées, de même que se bonifie la tradition du bizutage pour les écoles préparatoires ou du bahutage pour l’école d’officiers. Des exemples foisonnent certainement dans tous les corps de métier, et même chez les religieux qui décryptent les écritures saintes pour nous.
Même si l’on prétend que l’habit ne fait pas le moine, le code vestimentaire situe aussi la fonction et son niveau de responsabilité. Qui ne connaît les blouses blanches, les robes noires, les soutanes, l’habit pourpre du cardinal ou le turban de l’imam, les papillotes du rabbin et son chapeau noir tout comme la robe safran du moine bouddhiste, etc.
Au-delà du verbe et des habits, c’est le serment, porte d’entrée solennelle, qui représente la valeur morale de la fonction de responsabilité. Elle oblige à une éthique et à une déontologie, invite à une manière d’être, de se comporter dans la vie de tous les jours, pour correspondre à ce qui est attendu, selon votre position hiérarchique. Vous devez être un modèle de compétence, de rigueur et d’intégrité. À l’image de cette étoile de l’intégrité morale dont Arthur Miller disait «… Une fois qu’elle est éteinte, elle ne se rallume plus». Comme la vie à bout de souffle.
Ainsi, pour maintenir étincelante l’étoile, le médecin doit avoir constamment à l’esprit le serment d’Hippocrate, et le pharmacien, celui de Galien. Le juge, conformément au serment qu’il a prêté avant d’embrasser sa carrière, doit prêcher d’exemple d’intégrité, de probité et de rigueur morale dans chaque décision qu’il prend car elle peut avoir un impact sur l’honneur, la dignité et même la vie du justiciable.
Le militaire met un genou à terre pour recevoir l’insigne de grade de son office après qu’un propos d’une haute élevation morale lui eut rappelé sa mission de protection des citoyens et des frontières. Pour nous, simples citoyens, il est représentatif de toutes les forces de défense et de sécurité.
POLICE SOCIALE- D’autres fonctions de responsabilité nous marquent pour toujours même s’ils ne portent pas de signes distinctifs. Leurs officiants ont prêté serment dans le silence de leur âme et de leur conscience. Ainsi du maître d’école qui nous accueille pour la première fois après la cellule familiale. Il nous transmet la magie de l’éveil à la connaissance. Il est celui qui nous tient par la main, nous guide vers la vie et paraît, à nos yeux d’enfant, tout maîtriser.
Il nous confie, aptes à progresser, à ses successeurs au cours des différents cycles de formation, ne nous restant qu’à mettre cent fois le métier sur l’ouvrage. Le maître nous inspire des sentiments mêlés, allant de la crainte au respect en passant par toutes les étapes de l’admiration. En général, nous voulons faire comme lui, marcher comme lui, parler comme lui, être comme lui. Figure tutélaire, parfois plus imposante que l’image du père, modèle d’enfant, le maître reste parfois l’objet de notre craintive et respectueuse admiration.
Parmi les fonctions, celle de ministre a assurément un certain charisme. Non pas pour les privilèges et le prestige qu’elle confère, mais pour ce qu’elle signifie : minus, qui se traduit par serviteur au sens étymologique du terme latin, pour signifier l’honneur suprême de se mettre à la disposition de son pays à un niveau aussi élevé.
Le charisme de l’office n’est pas une donnée permanente. Cet acquis, qui donne l’illusion de la pérennité, peut s’effondrer en un instant alors qu’il s’est lentement et patiemment constitué.
Dans les offices apparaissent les fissures dès que les actes posés sont contraires au serment, aux engagements, aux traditions, aux valeurs et à la perception que l’on a de la charge. Les services sont monnayés par ceux qui en détiennent la responsabilité publique, pour substituer le faux au vrai, favoriser la médiocrité sur le mérite, préférer la proximité familiale, ethnique, régionale ou religieuse, aux compétences réelles. Celui qui exerce un tel office chute alors de son piédestal.
La robe noire, la blouse blanche, les tenues, les habits de fonction perdent de leur éclat, cette déférence immatérielle qui s’attache à leur existence. Hier, symboles de pureté, de justice, de sécurité, de confiance, on les classe parmi les professions entachées d’opprobre du fait des défaillances d’une minorité dont les excès et les abus ternissent le dévouement ainsi que l’engagement d’une majorité respectable.
DEVOIR SACRÉ- L’autorité crainte, admirée et acceptée devient contestée car elle n’est plus exercée avec dignité. Le maître devient la risée de ses élèves auxquels il montre des anti valeurs. De même, le juge, qui absout le bourreau et lèse la victime, salit tout un corps digne de respect, le membre du gouvernement, attiré par l’appât du gain, descend en partie prenante dans une arène dont il est censé être l’arbitre.
Même sentiment de rejet à l’égard du soldat sorti du devoir sacré, qui perd la confiance et la crainte qu’il est censé inspirer. Sort identique pour le journaliste sans éthique, vomi par ses lecteurs, le prince sans étoffe monnayant les valeurs républicaines aux faiblesses affectives ou financières, le ministre du culte immoral qui fait face à la défiance de ses ouailles.
Dans un environnement de parjure permanent, chacun se dévêt de sa tunique, piétine son serment, va à l’encontre de son éthique. Or, la fonction de responsabilité est le condensé d’un pacte social et d’une action de construction nationale. Elle exige vertu, le premier nom du courage, celui d’être digne de son office et de ne pas avoir peur de déplaire si l’intérêt général le commande.
Comme nous l’enseigne l’ancien secrétaire d’État américain, le général Colin Powel, qui a dirigé des militaires ainsi que des civils et donc sait de quoi il parle : «Le leadership efficace implique que vous preniez des responsabilités pour le bien-être du groupe, ce qui veut dire que certains vont s’énerver face à vos actions et vos décisions. C’est inévitable-surtout si vous êtes honorable».
Hamadoun TOURÉ
tahamadoun@yahoo.com
Source: Journal l’Essor-Mali