Plus les gouvernements français, américains et la CEDEAO mettent en avant leur sincérité, leur moralité hors de question, plus ils ont une peur bleue du phénomène de la contagion et plus ils sont mus par le souci quasi irrésistible de prospérer sur la ruine des autres.
Les organisations, les superpuissances à ambitions messianiques me donnent de la nausée. En ce 21ème siècle, le problème n’est pas tellement de refouler le mal existant que d’en contenir la poussée. Le gaullisme en tant que jeu diplomatique d’ « une France aux mains libres » qui cherche toujours par des moyens changeants la réalisation obstinée de ses seuls intérêts nationaux me paraît condamné. Dans l’un des plateaux de la balance, les souffrances du peuple malien, dans l’autre un homme et son régime. En comptable peu scrupuleux, admettre que cet homme pèse plus lourd que la dérive d’un Etat ! Sous couleur de l’admiration du légalisme à la française, de la civilité et des bonnes intentions à l’anglaise et à l’américaine, ce qu’on appelle pompeusement la communauté internationale fait le lit de l’ingérence, de l’impérialisme. En agitant la peur de l’infiltration djihadiste, elle conduit les Maliens, et souvent non sans raison, à soupçonner la présence d’agents étrangers sur leur sol. Cette crainte combinée aux sanctions sous-régionales sont habilement exploitées aux fins d’exercer des pressions maximales sur les nouvelles autorités dans l’unique dessein de leur courber l’échine. Le changement de pouvoir intervenu dans notre pays est présenté comme un panneau dans lequel tombent les idiots utiles. En somme, la stratégie consiste à une exaltation au premier souffle des orages désirés. En aiguisant les anxiétés avec la perspective de l’avancée sur le terrain des djihadistes, la stratégie a produit l’effet contraire, c’est-dire a flatté le sentiment nationaliste et poussé la Russie, dont la perte des trois quarts de notre territoire ne laisse pas tant de gloire et de profit, de s’aviser. Les carnets de commande de ce fournisseur traditionnel de notre outil de défense pourraient être remplis.
Paradis perdu
En vérité, les gouvernements français, américains et la CEDEAO représentent un danger potentiel autant qu’actuel qui observent d’un œil attristé la chute d’un ami. Persuadés détenir la vérité unique et désireux pour les deux premiers de faire main basse sur nos importantes ressources minières, de bénéficier de marchés juteux, de conserver leurs bases militaires qui n’ont pas été pour nous d’une grande utilité, ils n’hésiteront pas à couper des têtes qui pensent autrement : des gêneurs, n’est-ce pas et qui barrent le chemin du paradis ici bas quand la vie est trop courte. On comprend aisément les effets de manche de l’ivoirien Alassane Dramane Ouattara, le guinéen Alpha Kondé englués dans la quête d’un inconstitutionnel troisième mandat présidentiel. Plus ces monomanes, ces tourmentés mettent en avant leur sincérité, leur moralité hors de question, plus ils ont une peur bleue du phénomène de contagion, plus ils sont mus par le souci quasi irrésistible de prospérer sur la ruine des autres.
Par un paradoxe de plus en plus visible au cours de ces dernières années, la diplomatie de la CEDEAO, institution sous-régionale, devient de plus en plus incertaine et contestée, au moment même où les dirigeants ouest-africains semblaient s’engager à en favoriser le succès. Leurs filets flottent à la surface de l’étang et n’attrapent que des andouilles. A en juger par le ridicule né de l’injonction faite aux militaires, qui ont abrégé la contestation populaire, d’abandonner le pouvoir au profit d’un IBK renversé. En clair, il s’agissait de les amener à signer leur arrêt de mort !
Le dernier coup de fil d’Ibrahim Boubacar Keïta n’est pas anodin. Il s’en remettait aux conseils du grand sorcier blanc, Emmanuel Macron, sensé lui soustraire de la gueule de son peuple oppressé. Une légende avait été bâtie autour d’IBK depuis qu’il était sous l’ombre du président Alpha Oumar Konaré. Il n’arrivait donc pas novice dans la gestion des affaires à la tête du pays. La CEDEAO et la communauté internationale ayant fait pieds et mains pour obtenir la transition la plus courte possible après la chute d’Amadou Toumani Touré lui avait ouvert grand le boulevard conduisant à Koulouba. Les larmes et le sang versés ne militent vraiment pas en faveur d’une répétition des erreurs du passé.
Georges François Traoré
Source : L’informateur