Les concertations nationales, qui débutent ce samedi 5 septembre, pour deux jours, auxquelles participeront les partis politiques, les organisations de la Société civile, le M5-RFP, les groupes signataires de l’Accord d’Alger, les mouvements de l’inclusivité, les organisations syndicales, les associations et faitières de la presse, devront aboutir à l’adoption de la feuille de route de la transition, à la définition de son architecture et à l’élaboration de la charte de la transition.
Ces concertations interviennent dans un contexte de rare et quasi unanimité autour de l’impératif du changement de régime et de gouvernance. Ceci a conduit la grande majorité de la population à se mobiliser contre un pouvoir dont la gestion délétère des affaires de l’Etat a poussé le pays au bord du gouffre. Dans les semaines et les mois à venir, les Maliens devraient être fixés sur l’étendue de la catastrophe qu’ils auraient vécue si les évènements du 18 août n’avaient eu lieu.
Le peuple, pour faire le deuil d’IBK, doit être fixé sur l’ampleur des détournements de deniers publics, de la gabegie, des prévarications et autres manipulations douteuses des ressources de l’Etat opérés par l’ancien régime. Bref, faire la part des réalités et des affabulations sur les gestions des affaires de l’Etat au cours des sept dernières années.
C’est la première condition à remplir pour l’ouverture d’une nouvelle ère, dont les concertations annoncées devraient être les prémices. Cet ultime forum devrait se démarquer de ses prédécesseurs, parce qu’il est véritablement un des rares moments de convergence des citoyens sur le besoin d’une gouvernance constructive. Aussi, parce qu’il devrait être la synthèse et la quintessence des précédentes « conférences nationales » qui, en dépit des querelles politiques ayant suscité des suspicions sur leur objectif réel ou supposé, ont eu le mérite d’avoir quelque peu balisé les contours des principales préoccupations nationales.
Le samedi 5 et le dimanche 6 septembre, les principaux acteurs des concertations nationales devraient avoir pour seul souci de réussir la mutation « des frasques et tricheries du défunt régime en chances pour le Mali ».
Cette approche, paradoxale seulement en apparence, aurait toutes les chances de se réaliser si les protagonistes desdites concertations se donnent la hauteur d’esprit adéquate pour s’élever au dessus d’obscurs calculs de récupération à des fins personnelles ou de clans politiques ; si, surtout, les efforts intellectuels et le souci d’efficacité et d’efficience étaient circonscrits à la définition des contenus et des conditions de mise en œuvre des réformes essentielles devant être effectuées pour bâtir la nouvelle république, sur des bases réellement démocratiques.
Dans le cadre des discussions sur la refondation de l’Etat, il serait salutaire d’envisager la problématique de la réforme des prérogatives du président de la République, dans une perspective de réduction de leur étendue.
A cet égard, l’on ne devrait pas perdre de vue que c’est la détention de pouvoirs jupitériens qui a fait basculer IBK dans une forme de démesure (la dilapidation des ressources publiques, notamment à des fins de gloriole), dans des choix visant essentiellement à élargir ses marges de manœuvre pour l’atteinte de ses visées politiques.
Si les concertations ne devaient converger qu’à une seule réforme, ce devrait être celle de la réduction significative des prérogatives présidentielles. Leur extension à tous les secteurs clé de l’Etat et l’absence de contre pouvoirs suffisamment dissuasifs ont largement servi les rêves de grandeur et de puissance de l’ancien président, dont beaucoup de compagnons politiques connaissaient parfaitement les goûts pour l’apparat et les effets d’annonce.
Les constitutionnalistes et autres experts des questions juridiques ont là une formidable opportunité pour éclairer utilement les Maliens quant aux possibilités de réussir cette œuvre pour l’établissement d’un juste équilibre des pouvoirs, une des conditions sine qua non pour l’adoption de saines pratiques démocratiques.
Les évènements des trois derniers mois, ayant contribué à précipiter la chute de celui qui avait des penchants de monarque, en déclenchant la réaction des Chefs d’Etat de la CEDEAO, ont aussi servi de révélateur aux reflexes pavloviens de ces derniers, conditionnés par la sensibilité extrême à la préservation de leurs pouvoirs.
La profération de menaces de sanctions graves contre le peuple malien, dès l’apparition des premiers signes d’effondrement du régime de leur homologue, est le signe évident que, fondamentalement, la philosophie du pouvoir, pour ses tenants, est la prééminence du Chef de l’Etat sur le peuple. Une telle vision est davantage consubstantielle d’une république à parti unique que de celle d’une démocratie, fût-elle balbutiante.
Les bouleversements politico-étatiques au Mali ont également mis à nu les incohérences de l’institution sous-régionale, dont les textes font peu cas des préoccupations et des droits des peuples, ravalés au rang de faire valoir et de bétail électoral.
L’Occident, notamment, dont les dirigeants ne badinent pas avec les droits de leurs populations (qui se font fort aussi de les leur rappeler, en cas de besoin), s’amuserait presque des dérapages constitutionnels répétés en Afrique si ces fautes de gouvernance ne nuisaient, par ricochet, à son image de marque sur un continent qui se découvre de plus en plus des envies de changement en référence à des règles garantissant des pratiques démocratiques républicaines, civilisées, éthiques et transparentes.
Preuve que nos partenaires, notamment européens, sont favorablement disposés à inscrire leurs interventions dans ce cadre, la distance marquée d’emblée par le président français, Emmanuel Macron, vis-à-vis de la France/Afrique, dans ce qu’elle a d’anachronique, de paternaliste et, surtout, de dévalorisant pour le continent.
Après une condamnation systématique du coup d’Etat du 18 août dernier, la France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Le Drian, puis par celle plus résonnante de son président, a reculé pour s’aligner sur la priorité des intérêts du peuple malien.
Le message était clair, pour le Mali et pour la CEDEAO, dont certains Chefs d’Etat s’apprêtent, par leur goût immodéré du pouvoir, à plonger leur pays dans les affres des contestations violentes, des affrontements partisans et des répressions tout aussi brutales.
Tout indique que la chute de l’empire IBK, porteuse d’enseignements, aura valeur d’exemplarité pour les autres populations du continent, confrontées à la volonté de confiscation de leurs droits par de ‘’vieux messieurs quasi grabataires’’, incapables d’imaginer autrement la suite de leur vie qu’à travers un exercice prolongé et suranné du pouvoir, ne correspondant guère aux aspirations de l’époque.
Les évènements d’août dernier, conséquences de la profonde dégradation des fondamentaux de l’Etat et de la vie du peuple, ont, en revanche, libéré les esprits, impulsé des réflexions pointues relatives à la relance institutionnelle du pays, dont notre quotidien, L’Indépendant, a été un support constant.
Les travaux des concertations à venir, ayant été largement balisés par ces contributions de haute qualité, devraient, à cet égard, facilement trouver une bonne orientation pour la proposition de réformes essentielles aux changements désirés par les Maliens.
Les réformes visant les prérogatives du président de la République en les réduisant tout en leur préservant leur symbolique républicaine, sont, à notre avis, de celles qui sont indispensables, en raison de leur influence rédemptrice sur les autres.
La célébration, le 22 septembre, des 60 ans de son accession à l’indépendance, devrait donc marquer, symboliquement, l’entrée du Mali dans une nouvelle ère, débarrassé enfin de scories accumulées par presque trois décennies de démocratie tronquée, au profit de dynasties politiciennes, toujours à l’affût des largesses et facilités de la République.
Mamadou Kouyaté koumate3@gmail.com
Source : Maliweb.net