Désordres, impréparation, immaturité politique, inexpérience dans la gestion des affaires publiques, etc., bien de couacs (dérives ?) rythment déjà l’après-pronunciamunto du 18 août dernier, que l’on croyait avoir été perpétré pour épurer la gestion chaotique du président Ibrahim Boubacar Keïta. Mais les instants, quasiment trois semaines passées, sont maintenant à ce point désenchanteurs que l’on se demande vers où vogue le navire Mali. L’ouverture des concertations nationales, le samedi 05 septembre 2020, a été l’occasion de constater une pagaille monstre dans l’organisation, tant à Bamako qu’à l’intérieur du pays.
Même s’ils ne sont pas encore totalement désorientés, les Maliens se posent quand-même mille questions. Les colonels réunis dans le Cnsp ont-ils réellement une vraie boussole qui leur permet de s’orienter dans le fatras des problèmes qui assaillent le Mali ? Les doutes quant à leur pilotage du devenir de la nation érodent pour le moins l’espoir populaire. L’angoisse est, l’anxiété n’est pas loin, situations incommodes. Les citoyens en sont pour le moins à tournoyer entre plusieurs appréhensions qui sapent toutes certitudes quant à un lendemain radieux.
Kati cafouille, c’est évident, ou, pour dire les choses autrement, le Cnsp ne s’est point soucié de débroussailler avec sérieux le terrain avant de lancer le train des concertations devant aboutir à la mise en place d’une Transition démocratique après en avoir dégagé la charte et dessiné l’architecture. Rien qu’à ce constat de légèreté et ce sentiment de précipitation dans la conduite des concertations nationales, l’on se demande bien si les militaires qui ont renversé le pouvoir d’IBK sont vraiment conscients des exigences qui ont poussé le peuple à mener avec opiniâtreté la lutte, à travers le M5-RFP, pour obtenir la démission d’IBK et de son régime. En plus, c’est quand-même décevant que des militaires, que l’on crédite toujours de rigueur, en soient à lancer des consultations nationales en vue de soigner les maux dont souffre le pays avec un cafouillage aussi décevant. Il y a quoi au juste ? Subterfuges ? Vaudevilles ? Tenue d’un machin pour justifier un hold-up sur le pouvoir ?
Il y a des choses troublantes. Le Cnsp veut-il mettre sous l’éteignoir le M5-RFP ou le faire disparaître par évanescence ?
La vérité historique est pourtant que, le vendredi, 21 août, trois jours donc après l’arrestation d’Ibrahim Boubacar Keïta, suivie de la dissolution par ce dernier de l’Assemblée nationale et du gouvernement, les colonels sont venus, par la présence de quelques-unes de leurs têtes d’affiche au monument de l’indépendance, proclamer face à la nation malienne et face au monde qu’ils n’ont fait que parachever la lutte du M5-RFP qui a vaillamment conduit l’insurrection populaire. Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse être, c’est l’ex-mouvance présidentielle, que l’on sait majoritairement constituée de rafiots politiques en perdition, qui a été reçue en premier par le Cnsp au ministère de la défense. Ce geste, considéré à juste raison comme un laurier tressé sur la tête de ceux qui, peu ou prou, s’opposaient au changement, ne sera pas l’unique couac. Les militaires ne recevront le M5-RFP dans leur fief de Kati que le 25 août, c’est-à-dire une semaine, jour pour jour, après leur coup réussi du 18 août. Ceci aurait pu être perçu comme une manœuvre hautement symbolique si les braves colonels n’avaient caché à leurs interlocuteurs leur Acte fondamental daté de la veille, 24 août; lequel sera publié dans le Journal Officiel le 27 août, juste à la veille de la visioconférence du 28 août des chefs d’État de la Cedeao. Là, peut-on se demander, s’il n’y avait pas naïveté ou coup fourré. Depuis, le Cnsp, sur la seule base de son Acte fondamental qui institue son chef comme président de la République, chef de l’État, multiplie à un rythme quasi effréné les nominations aux fonctions civiles et militaires. Or, en matière de “jurisprudence” d’insurrection populaire, de révolution et de période de transition au Mali, il y a un acquis qui n’est pas suranné. En effet, le colonel Amadou Toumani Touré et son quarteron d’officiers ont certes mis en place, immédiatement après le 26 mars 1991, le CRN (Conseil de Réconciliation Nationale), l’équivalent du Cnsp d’aujourd’hui, mais c’était pour aller vite, de surcroît de concert avec les forces de la nation, afin d’engager vite la Transition. Car la République a horreur du vide. Et, déjà le 04 avril, c’est-à-dire dix petits jours après, un Premier ministre était nommé en la personne de Soumana Sacko appelé du Zimbabwe pour venir diriger le gouvernement. Le CTSP n’avait pas tardé à être mis en place et le CRN s’était en conséquence effacé.
Le Cnsp d’aujourd’hui est en train d’accélérer mais vers quelle fin ? Ce qui ne rassure surtout pas, c’est que le colonel Assimi Goïta, chef d’État de fait, semble être plus préoccupé des audiences avec les chancelleries étrangères que par les rencontres avec les représentants de son peuple. En effet, même si l’on souhaite que cela ne s’avère point, notre homme fort n’a jamais daigné être présent lors des trois rencontres que le Cnsp a eues avec le M5-RFP à Kati. Il y a certainement des raisons à cela, objectives ou subjectives, stratégiques ou esquivantes, avouables ou inavouables.
Le colonel Assimi Goïta a été vu lors de certaines visites de courtoisie que le Cnsp a rendues à certaines personnalités triées sur le volet, notamment les anciens présidents de la République que sont le général Moussa Traoré et le général Amadou Toumani Touré. Qui, mieux que ces deux au Mali, ont meilleurs conseils pour une gouvernance salutaire après une insurrection populaire ? Officiers, Moussa Traoré et Amadou Toumani Touré le sont. Anciens présidents de la République, ils le sont aussi. Débarqués par une action militaire, ils en souffrent, même s’ils ont eux-mêmes eu le bonheur de mettre fin à des pouvoirs. Ce qui les a mis en face dramatiquement un jour à son lot d’enseignements, mais ce n’est pas ce qui est le plus significatif dans notre actualité. Ce qui l’est, c’est que Moussa Traoré et Amadou Toumani Touré ont tous les deux conseillé aux jeunes colonels de tenir compte de la lutte que le M5-RFP a menée et de ne pas ignorer la force de ce mouvement en qui se reconnaît l’écrasante majorité du peuple. Les jeunots semblent avoir écouté distraitement les vieillots, ce qui risque de leur attirer bientôt des claques, à défaut de la colère divine qui lâche des foudres. L’imam Mahmoud Dicko a en tout cas averti, il faut l’entendre : “Nul n’en fera désormais à sa tête dans ce pays, c’est fini…”.
Amadou N’Fa Diallo
Source : L’aube