Les concertations se sont achevées, avant-hier samedi, sur un ton de dénonciations et un air de simple légitimation du putsch par les participants issus de divers horizons. Entamé au pas de charge, dans le sillage d’un ultimatum de la Cedeao qui expire demain mardi, les assises auront rythmé l’attention des Maliens et coupé leur souffle trois longues journées au cours desquelles le conclave a essentiellement planché sur la feuille de route de la transition, les organes de la transition et la charte de la transition.
Les forces vives conviées pour ce faire se sont réparties en différents groupes de travail respectivement dédiés à chacun de ses volets et dont le labeur a pu conclure sur une transition de 18 mois portée par un président secondé par un vice-président, un gouvernement de 25 membres et un conseil législatif de 121 personnes choisies selon un quota de représentation pour chaque composante de la nation retenue pour y siéger.
Sur cette structure institutionnelle à trois charpentes, qui réincarne dans leurs attributs et prérogatives respectifs l’Exécutif et le Législatif dissous, va reposer désormais la mission de refondation de la nation et de la démocratie maliennes.
En clair, la transition aura principalement pour tâche entre autres d’installer à temps échu les nouveaux pouvoirs régulièrement constitués, d’instaurer la stabilité sociale et les conditions sécuritaires nécessaires pour ce faire, de poser les jalons d’une gouvernance plus vertueuse ainsi que des grandes réformes politiques et institutionnelles longtemps préconisées. Tel en dispose, en tout cas, une «Charte de transition» adoubée par acclamation mais sujette à caution quant aux modalités de désignation des principaux responsables de l’Etat pendant la période transitoire, en l’occurrence le chef de l’Etat investi du pouvoir de nommer le chef du Gouvernement transitoire. En vertu dudit document, en effet, le choix du président ainsi que du vice-président de la Transition est dévolu à un collège restreint contrôlé par le seul CNSP (Comité National pour le Salut du Peuple), lequel va continuer à cohabiter avec les institutions régulières et additives. Aucune mention n’est faite en tout cas de sa dissolution alors que la charte prévoit de suppléer aux fonctions du président par un vice-président en cas d’empêchement temporaire ou définitif, une circonstance susceptible d’être organisé par les mêmes artifices ayant eu raison du régime défunt. On est donc loin du compte tant pour la durée de 12 mois instruite par la Cedeao que pour les exigences de cette institution sous-régionale en rapport avec une tradition à l’abri de toute influence militaire.
Un autre probable bras-de-fer en perspective, surtout que ce ne sont pas les seuls aspects qui prêtent à polémique. En plus de coexister avec la constitution et l’acte fondamental encore irrégulier, la primauté de la Charte sur la loi fondamentale malienne est une autre intrigante question sur laquelle les jugements de la Cedeao ainsi que de la Cour constitutionnelle sont fortement attendus. De même peut-on s’interroger sur la teneur constitutionnelle et temporelle des actes et mesures pris en vertu de l’acte fondamental, ainsi que sur les vertus démocratiques du pouvoir d’amnistie que la Charte confère au Conseil national de transition. Faut-il mentionner au passage que cette question à enjeu majeur relève de la loi, alors que ledit Conseil ne peut s’exprimer que par ordonnance qu’il va falloir régulariser par la future assemblée nationale.
Autant de brèches et de tares rédhibitoires qui mettent en évidence les signes avant-coureurs d’une transition forcément taillée sur mesure au nom d’un besoin naturel de protection que les acteurs du putsch ne peuvent satisfaire qu’en tirant les ficelles du processus électoral. Celui-ci pourrait d’ailleurs se dérouler avec le même dispositif législatif comportant les brèches de la fraude et porteur des mêmes germes de la contestation que les précédentes échéances.
Il en résulte, en définitive, que les concertations n’auront probablement été qu’un simple rendez-vous d’instrumentalisation des forces vives pour les besoins de légitimation d’un crime imprescriptible. En atteste du reste le flou maintenu autour d’une question sur laquelle les gages initiaux de la junte se sont révélées un canular quant au choix d’une personnalité civile pour diriger la transition. Le marché de dupes ne s’est visiblement révélé que trop tardivement au M5-RFP où certaines composantes, tels des dindons de la farce, crient à la manipulation et à la confiscation de leur combat pour le changement. Aussi les partenaires civils privilégiés du putsch n’excluent-ils pas de réorganiser la résistance, mais il n’en demeure pas moins qu’ils sont rattrapés par un excès de manichéisme dans leur vision et perception du Mali post-IBK à trop vouloir anéantir une frange de concitoyens et leur imposer le silence au nom de leur cheminement avec le pouvoir déchu. Ce faisant, ils auront permis à la junte de se distinguer par une plus grande ouverture et d’en tirer les dividendes en ratissant plus large sur un terrain des concertations où le M5 – RFP a commis le péché d’échanger ses affinités politiques naturelles contre l’insistance sur les différences et la dichotomie opposition – majorité, etc.
C’est ignorer que les artisans du coup d’Etat ne sont pas moins blâmables que le pouvoir politique déchu, quoiqu’avec la faveur d’être beaucoup moins exposés aux projecteurs. Accueillis comme des sauveurs pour avoir dénoué la tragédie, les putschistes du 18 Août ne se distinguent également par aucune prouesse d’arme au nord ni au centre où se joue l’essentiel de leurs missions. Et, avec l’ensemble des forces armées et de sécurité, toutes proportions gardées, ils partagent la responsabilité historique d’avoir imposé, reconduit avant de déposer leur poulain électoral de 2013.
A KEÏTA
Source : Le Témoin