Pour la CEDEAO, la Transition malienne a commencé le 15 septembre. Mais logiquement et dans l’esprit des Maliens, celle-ci a pris réellement le départ le 25 septembre 2020, après la prestation de serment du Président et de son vice-président. Pour seulement dix-huit mois d’une gouvernance sensée refonder le Mali, le commencement a plongé plus d’un dans l’expectative.
Les défis sont nombreux, mais il faut se hâter avec précautions. Certes, le Président bissau-guinéen, Oumar Sissoco Embalo, a honoré de sa présence la cérémonie de prestation de serment du Président et de son vice-président, et le Président ghanéen et président en exercice de la CEDEAO, Nana Addo Akufo, est venu récemment à Bamako pour observer les premiers pas de la Transition. Ce dernier n’a pas manqué de prodiguer ses conseils et, expression de solidarité sans ambages, il a appelé les partenaires bilatéraux et multilatéraux à soutenir le Mali. Mais, pour que que l’arbre ne cache pas la forêt, le laborieux début, plutôt heurté, sonne comme une alerte.
En effet, concernant un pays comme le Mali qui sort de sept années de gabegie, de gaspillages et de prédations de toutes sortes, la refondation est d’abord à un tournant moral. Là, il faut s’arrêter un peu et scruter les nombreuses voies à travers lesquelles l’engagement national devra cheminer. Dans son discours d’investiture, le Président Bah N’Daw a procédé à un diagnostic sans complaisance assorti d’une thérapeutique de choc : “…Oui, il ne faut pas avoir peur des mots : le Mali est ébranlé, piétiné, humilié. Ébranlé, affaibli, humilié par ses propres enfants, par nous-mêmes, par personne d’autre que nous-mêmes. Et nous ne pouvons continuer, de manière incantatoire, à garder la tête dans le sable et à répéter sans chercher à empêcher le naufrage, à nous convaincre que le navire pourrait tanguer mais qu’il ne chavirerait jamais. Il peut chavirer et il chavirerait si nous continuons à le faire tanguer…”. C’est pourquoi, dans sa directive aux membres du gouvernement, le premier responsable de la Transition a résumé ce à quoi il tient et qui demeurera sa boussole : “La probité n’est pas négociable et s’impose à tous les acteurs de la Transition pour relever le défi du Mali nouveau…”.
Qu’est-ce que le Mali nouveau si ce n’est un pays dont il urge de consolider les fondations sur les nécessaires critères de la probité morale, de la vertueuse gouvernance, de l’école capable de produire les citoyens consciencieux et professionnels de demain, d’une armée apte à accomplir dignement ses missions sacrées de défense du territoire national ainsi que des personnes et des biens, et aussi une justice garante de la stabilité sociale en tant qu’égale pour tous?
Il ne s’agit pas de construire en peu de temps un pays de cocagne où les intérêts seront si monolithiques qu’il n’existerait aucune divergence entre les citoyens. Personne n’est fondée à faire ce rêve impossible. Mais il s’agit, et de façon péremptoire, d’intégrité dans la gouvernance comme le Président Bah N’Daw l’a signifié dans sa lettre de cadrage au Premier ministre et aux membres du gouvernement : “Notre honneur est dans notre intégrité. L’avenir de la jeunesse malienne est dans notre intégrité. Le destin du pays est dans notre intégrité. Il n’y a aucune possibilité pour moi de transiger sur cet impératif. Aucun d’entre nous ne sera au dessus de la loi. Notre seule raison d’être est de travailler à satisfaire notre peuple. C’est le serment que j’ai prêté. Je n’y dérogerai pas”.
Nul ne doute de la volonté du Président Bah N’Daw dont on sait qu’il connaît le poids du serment et les conséquences du parjure. Mais les Maliens ne sont pas encore rassurés quant au déroulement normal de la période transitoire. Raison des angoisses, il y a eu, dans la nomination des ministres, incontestablement des responsables intègres et irréprochables, mais aussi, malheureusement, des personnalités dont les noms sont mêlés à des affaires scabreuses. Nombre de nos concitoyens souhaitent même que les nouveaux ministres soupçonnés d’être trempés dans des affaires pas nettes prennent eux-mêmes l’initiative de se démettre du gouvernement de la Transition ou de faire vite la lumière sur tout ce qui entache leur honorabilité. C’est dire combien le début est heurté et qu’il urge de clarifier des choses concernant tout ce qui égratigne les membres du nouvel attelage gouvernemental.
Le Président Bah N’Daw a eu beau jeu, en tout cas, d’indexer de manière renforcée l’impératif de la probité morale en dénonçant fortement le fléau de la corruption : “Il doit se faire d’abord par notre irréprochabilité en tant que dirigeants. Mais il doit se faire également à travers des réformes systémiques. Il est de ce fait nécessaire que le gouvernement puisse avancer sur certains chantiers évoqués dans les journées de concertation nationale plus récemment et au cours de forums antérieurs”. Et d’insister sur la morale publique à restaurer, gage de salut public.
Amadou N’Fa Diallo
Source : L’aube