« Un acteur majeur de la démocratie », dont « l’empreinte restera forte ». C’est en ces termes que le Président de la transition, Ba Ndaw, a rendu hommage à l’ancien Président Amadou Toumani Touré, décédé ce 10 novembre 2020. Son parcours public, débuté en 1991, aura marqué l’histoire du Mali et connu bien des rebondissements. Si le consensus politique, dont il avait fait sa marque de fabrique, lui a permis de réaliser une « partie de son rêve », il ne lui a pas permis d’aller au bout de son second mandat, écourté à quelques semaines de son échéance en 2012. Mais ATT restera pour beaucoup un patriote, initiateur de grands projets pour le Mali.
Il « a profondément marqué le Mali, par une empreinte physique » dont personne ne nie la réalité. C’est l’image, s’il n’y en avait qu’une seule, que retient M. Seydou Cissouma, proche et ex Directeur de cabinet de l’ancien Président. Son action réformatrice à la tête de l’État, à travers la mise en œuvre d’un ensemble de programmes, restera dans le cœur et dans l’esprit des Maliens, selon lui.
Évoquant lui-même ses réalisations à la tête de l’État, l’ancien Président citait, parmi celles qui l’ont « rendu fier », la mise en place de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), qui continue d’inspirer au-delà des frontières maliennes et est un système de protection sociale qui en réjouit plus d’un.
Le « patriote, très accessible, très proche du peuple, qui tenait à la concorde nationale et à la paix en Afrique » est aussi pour M. Zoumana Sacko, son Premier ministre lors de la transition, un grand bâtisseur d’infrastructures socio-économiques. C’est « son souci pour le mieux être du petit peuple » qui est à la base du programme des « logements sociaux, appelés logements économiques, pendant la transition ».
Sa disparition intervient dans un contexte où « il faut plus que jamais un dialogue entre les forces politiques ». Son héritage dans ce sens doit donc servir d’inspiration aux nouvelles générations, ajoute M. Sacko.
Après une transition jugée exemplaire, celle qu’il a menée suite au coup d’État contre Moussa Traoré en 1991, l’homme politique ATT s’investit dans des causes humanitaires, dont l’une des plus symboliques est toujours la lutte contre la dracunculose, plus communément appelée maladie du ver de Guinée. Une « action humanitaire qui a profondément changé la vie de beaucoup de Maliens et d’Africains ». Les réalisations du Président ATT ont été appréciées au-delà des frontières et ses missions de médiation, notamment en Afrique, lui ont valu le titre de Soldat de la paix, dont il n’était pas peu fier.
Mais, pour réaliser ses rêves d’homme d’État, l’ancien soldat finit par endosser le costume politique. S’il n’en a jamais été loin, le monde politique et ses réalités n’ont pas toujours permis au général à la retraite d’avoir « la baraka » et la vision, indispensables pour atteindre les objectifs dont il aurait pu se réjouir.
Pourtant ATT, « a réalisé une bonne partie de son rêve pour le Mali », estime Cissouma. Parce que, même pour « un patriote avec tant de projets et d’ambitions », un ou deux mandats ne suffiraient pas à les mettre en œuvre. Mais, entre 1991 et 1992, où il a balisé le chemin de la démocratie, et entre 2002 et 2012, avec les actions de transformation à Bamako et à l’intérieur du pays, ATT « peut rendre grâce à Dieu pour l’inspiration et la baraka qu’il a eues », car, il en était convaincu, c’est cette double combinaison qui lui a permis d’engranger des résultats satisfaisants.
Les limites du choix politique
S’il a choisi lors de son premier quinquennat le consensus, c’est parce que le second mandat du Président Konaré avait été caractérisé par « une période politique agitée », analyse M. Gaoussou Drabo, journaliste. Son ambition était donc « de réconcilier un personnel politique très divisé et qui avait manifesté des positions antagonistes ». Une option qui a rencontré une adhésion immédiate, favorisant un climat de cohabitation entre d’anciens adversaires politiques et permettant de réaliser un programme avec l’accompagnement des principaux acteurs.
Cependant, l’option politique du Président ATT « avait une faiblesse fondamentale ». « Le consensus n’avait pas été accompagné de discussions préalables », ajoute M. Drabo. Une multitude d’acteurs étaient associés à « l’exercice du pouvoir sans un contrat politique ».
Ce qui ne tardera pas à faire naître des clivages et des ambitions, dans la perspective de la succession du Président ATT, qui en était à son dernier mandat. L’accompagnement des forces politiques ayant été « très défaillant dans les moments difficiles », même la création de son mouvement de soutien, le parti PDES, ne sera pas suffisante pour créer un consensus politique fort pour appuyer son action.
L’homme du compromis devra donc prendre des décisions seul. Une mission délicate pour celui dont le credo était le dialogue. Et, selon certains, c’est un certain laxisme qui empêche l’État d’agir. La crise qui éclate en 2012 aura raison de la capacité de dialogue du Président et le coup d’État qui interviendra moins de 3 mois avant la fin de son mandat sera accueilli avec soulagement par beaucoup.
Pourtant, selon M. Drabo, c’est moins son tempérament, se faire comprendre à travers le dialogue, que l’absence de bases pour le consensus qui est à la base de cette disgrâce.
La réhabilitation
« Ce qu’ATT a fait pour le Mali ressortira encore davantage après sa disparition », assure M. Cissouma. Convaincu que c’est le consensus et la stabilité qui ont permis « d’obtenir toutes ces réalisations ». « Après l’écume des auto-justifications, les choses se sont clarifiées sur le projet funeste ourdi par certains acteurs et dont nous voyons les résultats aujourd’hui », s’emporte t-il. Les facteurs extérieurs, sur lesquels ATT avait attiré l’attention en son temps, sont déterminants dans la crise que nous vivons encore aujourd’hui.
Malgré tout, il n’y a eu que de la compassion lors de son départ en exil, « même de la part de ceux qui pouvaient avoir des projets contre lui ». « Un homme en paix avec lui-même, toujours dédié au Mali », insiste Cissouma.
En tout cas, c’est en véritable héros qu’ATT a fait son retour en décembre 2017, après 5 ans d’exil forcé au Sénégal. Si elles n’ont pas été comptées dans son bilan final, « les améliorations du quinquennat positif » n’ont pas été oubliées, relève M. Drabo.
Auteur d’un coup d’État, qui l’a fait accéder au pouvoir, ATT a été renversé lui-même par un coup d’État. Un coup du destin, estime Zoumana Sacko. Dans les pays africains, nul n’est à l’abri et lorsque les difficultés surviennent, « les chefs deviennent des boucs émissaires ». L’ancien Premier ministre veut retenir de l’homme « affable et accessible », dont le talent de négociateur a été apprécié à travers toute l’Afrique, sa disponibilité permanente à trouver les solutions par le dialogue. Dont nous devons explorer les vertus en ces périodes difficiles pour notre pays et le continent.
Source : Journal du Mali