Serial-entrepreneur, l’homme d’affaires malien a sauté le pas en politique avec son parti l’Alliance démocratique pour la paix – Maliba. Arrivé en troisième position en 2018, il pourrait à nouveau être candidat lors de la présidentielle qui devrait se tenir au terme des 18 mois de transition.
« Hydrogène naturel ». Ce terme ne vous est peut-être pas familier mais, pour certains chercheurs, ce pourrait être l’une des sources d’énergie du futur. Peu cher à exploiter, il a aussi l’avantage d’être non polluant. Si les pays développés commencent à peine à s’intéresser à ce trésor écologique présent dans les sols, au Mali, un homme investit dans ce secteur depuis une dizaine d’années. Recherche scientifique, exploration, transformation de l’hydrogène naturel en énergie… La société Hydroma de l’homme d’affaires malien Aliou Boubacar Diallo fait figure de pionnière au niveau mondial.
« Lorsque nous avons découvert l’hydrogène naturel, beaucoup disaient que cela ne servait pas à grand-chose. J’ai fait appel à des sociétés pour voir s’il était possible d’en faire de l’électricité. Nous avons réussi les tests de production avec une unité pilote installée en 2012, raconte Aliou Boubacar Diallo. Puis, pendant sept ans, nous avons réussi à produire de l’électricité décarbonée qui alimente les places publiques, les salles de prière et le domicile du chef de village de Bourakébougou, à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Bamako. »
La manne des dettes souveraines
Depuis, sa société s’est aussi tournée vers l’hydrogène vert, fabriqué à partir d’eau et d’électricité issue d’énergies renouvelables. L’homme d’affaires en est sûr, « l’hydrogène est une source d’énergie considérable pour le futur, et l’Afrique aura sa part à jouer dans la transition écologique ».
Pour ce qui est des affaires, Aliou Boubacar Diallo a du flair. Il est considéré comme l’un des hommes les plus riches du Mali, mais élude avec courtoisie les questions sur le montant de sa fortune. S’il glisse simplement qu’Hydroma vaut « quelques milliards de dollars », Aliou Boubacar Diallo parle volontiers de ses origines modestes. Né en novembre 1959 à Kayes, dans l’ouest du Mali, il est le deuxième d’une fratrie de 19 enfants.
Son père cheminot était polygame. Après l’obtention de son baccalauréat, il décroche une bourse d’études et s’envole pour la Tunisie en 1979. Puis, en 1982, il se rend en Picardie, en France, pour une maîtrise en économie et gestion financière avant un troisième cycle dans la finance.
C’est à travers le rachat de la dette que j’ai fait mes premiers milliards
Après ses études, l’homme d’affaires crée une société d’import-export et se lance dans le rachat de dettes des pays africains. « La première dette que j’ai rachetée était celle du Mali auprès de la Barclays banque en 1990. Puis j’ai racheté celles de la Côte d’Ivoire, du Cameroun, etc. À l’époque, nous étions quasiment seuls sur le marché. Nous participions à des réunions de la Banque mondiale et d’autres institutions internationales. C’est à travers le rachat de la dette que j’ai fait mes premiers milliards », se souvient-il.
Pour le businessman, ce marché était sûr : « C’était plus sûr de travailler sur les risques souverains que sur les dettes privées. La continuité de l’État garantit une certaine sécurité. De plus, les remboursements peuvent se faire via des compensations fiscales ou douanières, ce qui était bénéfique dans le cadre de ma société d’import-export ». C’est ainsi que, malgré le coup d’État qui renverse Moussa Traoré en 1991, le Mali s’acquitte de sa dette auprès de lui.
La rocambolesque affaire Wassoul’or
Diallo s’intéresse ensuite à l’exploitation minière. Au début des années 2000, l’entrepreneur fonde la société Wassoul’or pour exploiter le gisement de Kodiéran Traorela, dans la région de Sikasso. Faisant ainsi de lui le premier malien à détenir majoritairement une société minière dans ce pays où ont été extraites 61,2 tonnes d’or, selon les chiffres du World Gold Council. Mais l’histoire de Wassoul’or n’est pas un long fleuve tranquille.
La mine est inaugurée en grande pompe en février 2012 par Amadou Toumani Touré. Un mois plus tard, le président est renversé par un coup d’État militaire. Alors que les lingots d’or se font attendre, la société allemande Pearl Gold, qui possède 25% de Wassoul’or, s’impatiente, accusant Diallo d’escroquerie. S’en suit une longue bataille judiciaire entre les différents protagonistes, dont l’issue n’est toujours pas réglée.
Cette affaire rocambolesque inclut aussi Airbus, qui aurait, selon Mediapart, investi dans la mine pour se constituer une « caisse noire » destinée à faciliter les affaires de la société aéronautique au Mali. Diallo dément.
En juillet 2020, l’homme d’affaires malien revend toutes ses parts de la société. « Une mine, c’est toujours beaucoup d’investissement. J’ai ouvert le capital petit à petit afin de pouvoir continuer à financer le projet. Nous avons commencé avec un permis de recherche et aujourd’hui, après avoir produit une tonne d’or, j’ai vendu mes actions », explique-t-il.
Après Wassoul’or, au milieu des années 2000, Aliou Boubacar Diallo se diversifie avec Petroma pour valoriser un bloc de pétrole et gaz qu’il a décroché dans la région de Kati. Petroma est devenu depuis peu Hydroma, et l’homme d’affaires dit se consacrer désormais à l’hydrogène naturel, dont il est devenu l’un des ambassadeurs dans le monde.
Du financement de campagnes à la présidentielle de 2018
S’il faut attendre 2012 pour qu’il saute le pas en créant l’Alliance Démocratique pour la Paix – Maliba (ADP-Maliba), Aliou Boubacar Diallo était déjà un acteur important de la scène politique. Depuis la fin des années 1990, il finance des campagnes électorales.
« Je pensais rester un entrepreneur. Mais en 2012, notre pays se disloquait. Nous avions perdu Gao, Tombouctou et Kidal. Les autorités qui avaient la charge de la chose publique ont failli et cela interpellait les Maliens de tous bords », justifie-t-il. Sur les conseils du chérif de Nioro, Bouyé Haïdara, dont il est proche, Diallo appelle à voter Ibrahim Boubacar Keïta et soutient financièrement sa campagne. Au sortir des élections, l’ADP-Maliba devient une composante importante de la majorité avec ses 9 députés, 340 élus communaux et 10 maires.
Mais quelques années plus tard, en août 2016, le parti quitte avec fracas la majorité présidentielle. « Ibrahim Boubacar Keïta avait promis l’instauration d’un système fondé sur le mérite et la compétence, mais le slogan ‘le Mali d’abord’ est devenu celui de ‘la famille d’abord’ », avait fustigé Cheick Oumar Diallo, secrétaire politique national du parti.
C’est donc sans surprise qu’en 2018, Aliou Boubacar Diallo se présente comme candidat à la présidentielle. Il recueille 8,33 % des voix et arrive à la troisième place, après Ibrahim Boubacar Keïta et Soumaïla Cissé, deux poids lourds de la scène politique.
L’opinion publique estime qu’il arriverait au pouvoir déjà riche et non pour se remplir les poches
Pour le sociologue Bréma Ely Dicko, trois facteurs expliquent son succès : « Les Maliens avaient envie d’un renouvellement de la classe politique. Ce sont les mêmes acteurs qui sont au devant de la scène depuis 1991. Deuxièmement, son parti met en avant les jeunes. Il a réussi à en faire élire quelques-uns et à faire émerger des personnalités comme Amadou Thiam. Enfin, dans un pays où les scandales de corruption s’accumulent, l’opinion publique estime qu’il arriverait au pouvoir déjà riche et non pour se remplir les poches. »
En 2017, Amadou Thiam, alors président du parti a été l’un des leaders de la fronde contre la révision constitutionnelle voulue par IBK. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et le parti a également traversé une crise interne, qui a conduit à l’exclusion de son président.
Lorsqu’en 2020 des manifestations éclatent au lendemain des législatives, au cours desquelles Aliou Boubacar Diallo est élu dans son fief à Kayes, l’homme d’affaires tente d’apaiser les tensions aux côtés d’IBK.Il lance également des appels au dialogue, entre le gouvernement et le Mouvement du 5 juin. L’ADP Maliba ne se joint donc pas au M5 pour réclamer la démission de l’ancien président. « Nous sommes un parti démocrate, qui veut accéder au pouvoir par les urnes et non par la rue », confie le nouveau président du parti, Youba Ba.
Le regard tourné vers l’après transition
Après le coup d’État, le parti n’est pas monté au créneau, comme d’autres formations politiques, pour réclamer une meilleure prise en compte au sein du Comité national de transition, sous peine de boycott. Aliou Boubacar Diallo, qui se pose en rassembleur, a souhaité « bonne chance aux membres du CNT ».
« Il ne s’agit donc plus de rentrer dans des polémiques et des débats stériles mais plutôt d’accompagner les autorités de la transition dans la réussite de leur mission fondamentale : organiser des élections libres et transparentes », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux le 3 décembre.
C’est que l’homme d’affaires, désormais homme politique a le regard déjà tourné vers l’après transition. Même s’il n’évoque pas pour l’instant une candidature, il sillonne le pays depuis quelques semaines, toujours tiré à quatre épingles, à la rencontre des Maliens. « Notre parti est sur le terrain. Nous allons continuer à être proches des populations et recueillir leurs préoccupations », se réjouit Youba Ba.
Dans un pays où les conflits intercommunautaires font rage, saura-t-il rassembler autour de sa candidature ? « L’amalgame peul-jihadiste existe. Aliou Boubacar Diallo étant de la même ethnie qu’Amadou Koufa, chef de la Katiba Macina, il devra effectuer un gros travail de pédagogie et proposer des solutions concrètes aux problèmes des Maliens », explique Bréma Ely Dicko.
Il aura en face de lui de sérieux concurrents, moins néophytes que lui de la chose politique, qui se préparent également pour la prochaine échéance électorale. Parmi eux, l’ancien chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, libéré des mains des jihadistes le 8 octobre ou encore les anciens Premiers ministres Soumeylou Boubeye Maïga, Moussa Mara et Modibo Sidibé.
J.A
Source : L’informateur