Boubou Cissé, l’ancien premier ministre malien, recherché par la justice
L’ex-chef du gouvernement est accusé d’ourdir « une entreprise de déstabilisation des institutions de la transition ». Il s’explique pour la première fois depuis le coup d’Etat.
Propos recueillis par Matteo Maillard(Bamako, correspondance)
Depuis le renversement de l’ancien président malien Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août, son ex-premier ministre Boubou Cissé se fait discret. Libéré en octobre après avoir été détenu cinquante-deux jours par la junte militaire, il ne s’est pas exprimé publiquement depuis. L’ancien chef du gouvernement assure avoir passé les derniers mois auprès de sa famille, loin de toute activité politique. Une version des faits que contestent les nouvelles autorités.
Selon la justice malienne, Boubou Cissé aurait occupé son temps libre à ourdir « une entreprise de déstabilisation des institutions de la transition, (…) des actes de nature subversive tendant à jeter le discrédit sur les actions des autorités ». Une information judiciaire a été ouverte et cinq complices supposés de Boubou Cissé ont été arrêtés puis présentés au juge. Quant au principal intéressé, « il est resté introuvable » selon le procureur. Le Monde Afrique a pu le joindre par téléphone. C’est la première fois qu’il s’adresse à la presse depuis le coup d’Etat.
Où vous trouvez-vous actuellement ? Etes-vous toujours au Mali ?
Boubou Cissé A l’heure où je vous parle, je suis en sécurité à l’intérieur du pays.
Pourquoi vous cachez-vous ?
Ma maison à Bamako a été visitée par des agents de la sécurité d’Etat le 24 décembre. J’étais sorti faire une course et mes employés ont été violentés. Lorsque mon avocat a contacté la sécurité d’Etat pour demander si des agents étaient à ma recherche, ils ont démenti. Je me suis donc dit qu’on essayait peut-être d’attenter à ma vie. Je me suis donc mis en sécurité.
Selon le procès-verbal, vous êtes « fortement soupçonné d’être le cerveau d’un projet manqué » de déstabilisation des autorités et de tentative de coup d’Etat. Le communiqué du procureur vous reproche, comme à vos coprévenus, des « contacts suspects », des « déplacements suspects » et des « actions de sabotages de certaines initiatives des autorités de la transition ». Que répondez-vous ?
J’ai appris dans la presse que j’étais accusé de complot contre le gouvernement de transition. J’ai fait un communiqué sur les réseaux sociaux en expliquant qu’on me soupçonnait ainsi que des proches, mais que je ne suis associé à aucune tentative de déstabilisation du Mali, ni directement ni indirectement. Ce n’est pas dans mon éducation, ni dans ma formation politique et loin de mes principes.
Avez-vous eu accès au dossier d’instruction ?
Mes avocats sont dessus. D’après les échos que j’ai eus, je suis suspecté d’avoir organisé des rencontres chez moi avec certains individus. Or, je peux vous assurer que ces rendez-vous n’ont jamais eu lieu. Je suis également accusé de m’être déplacé à l’intérieur du pays pour retrouver des personnes dans le but de déstabiliser l’Etat. Mais, de la fin de ma détention au camp militaire de Kati jusqu’à très récemment, je n’ai pas quitté Bamako. Le communiqué du procureur évoque par ailleurs mes ambitions présidentielles. Je n’en ai jamais fait cas. S’ils ont des preuves matérielles qu’ils les montrent. Pour l’instant, tout est faux me concernant.
Le procureur évoque « des indices graves et concordants de faits laissant présumer l’existence d’une entreprise criminelle ». La somme de 200 millions de francs CFA (quelque 305 000 euros) aurait été mobilisée par vous, via le directeur général du Pari mutuel urbain (PMU), et aurait été utilisée pour convaincre des syndicats de troubler l’ordre public et déstabiliser l’Etat. Que répondez-vous à ces accusations ?
Honnêtement, j’attends qu’il présente des preuves. Le Pari mutuel urbain est une entreprise qui a le monopole des jeux de loterie et de courses au Mali. L’Etat est actionnaire à hauteur de 10 % et reçoit des dividendes. C’est une entreprise autonome gérée par un directeur général sous lequel il y a un conseil d’administration. Le PMU ne peut pas décaisser de l’argent sans qu’il y ait une autorisation du conseil d’administration. Sortir 200 millions comme ça, ce n’est pas possible.
Vous rendrez-vous au tribunal ?
Oui, si la justice me demande de me présenter, je le ferai évidemment. Mais je n’ai pour l’instant reçu aucune convocation d’aucune autorité.
Comment expliquez-vous ces accusations ?
Au départ, je pensais qu’il s’agissait d’une incompréhension, mais je me demande de plus en plus si ce n’est pas une cabale organisée contre ma personne. Il semblerait que je sois devenu malgré moi une menace politique.
Aujourd’hui, vous n’occupez plus aucune fonction. Avez-vous des projets politiques ?
Je l’avais déjà indiqué aux autorités de la junte lorsqu’ils nous avaient libérés. Je veux servir et aider mon pays. Si je peux être utile à quelque projet de développement, je le ferais volontiers. Mais cela ne sera pas nécessairement par la voie politique, ça peut être sous d’autres formes.
Nous sommes dans une période de transition et il est important de garder profil bas. Je ne veux perturber en aucune façon la transition qui est en cours. C’est ce qui a justifié mon silence. C’était aussi le temps de la réflexion. Est-ce que je retourne dans cette fonction publique internationale ou est-ce que je continue à être dans mon pays, à faire de la politique ?
Comment avez-vous vécu la journée du coup d’Etat ?
J’ai été très surpris et je ne suis pas le seul. Je pensais que le Mali avait acquis une certaine maturité politique après le putsch de 2012. Qu’on en avait tiré les leçons… Le matin du 18 août, j’étais dans mes bureaux à la primature quand on m’a annoncé l’enlèvement du ministre de l’économie et des finances par des membres de la garde. J’ai appelé le ministre de la défense, prévenu le président de la République et le directeur général de la sécurité d’Etat.
On a essayé de comprendre ce qu’il se passait. Très vite, on a appris que le chef d’état-major de la garde avait lui aussi été enlevé, ainsi que le président de l’Assemblée nationale et qu’une mutinerie était en cours à la garnison militaire de Kati, à 15 kilomètres de Bamako. Je me suis rendu chez le président de la République, puis des soldats sont venus nous chercher pour nous emmener à Kati.
Le cercle présidentiel a-t-il été infiltré, selon vous ?
Je ne sais pas s’il y a eu infiltration, mais ce qui est sûr c’est qu’il n’y a pas eu de résistance de la garde présidentielle. Probablement parce qu’elle n’en avait pas les moyens, mais aussi parce que le président a demandé à ce qu’il n’y ait pas d’effusion de sang. Il l’a fait savoir à sa garde, qui a compris qu’il ne fallait pas agir, laisser la colonne venir et le prendre.
Selon le procureur, vous nourrissez des ambitions présidentielles. Cette information judiciaire est-elle selon vous une façon de freiner ces ambitions ?
Je ne suis pas loin de le penser. C’est un potentiel nettoyage politique, peut-être même un assassinat politique.
Ils verraient en vous un potentiel dauphin d’Ibrahim Boubacar Keïta ?
Oui.
Serez-vous candidat à l’élection présidentielle prévue à la fin de la période de transition, dans quatorze mois ?
Tout est possible pour moi. Mais que je sois candidat ou non, l’essentiel est de trouver des solutions tous ensemble pour sortir le pays des difficultés dans lesquelles il est.
Source : Le Monde.fr