Editorial. Les opérations « Serval » puis « Barkhane », où 5 100 militaires sont engagés, ont, certes, mis hors d’état de nuire plusieurs chefs djihadistes, mais elles n’ont empêché ni la montée des violences entre civils, ni les percées islamistes au centre du Mali.
Editorial du « Monde ». Que fait la France au Mali ? Huit ans après l’intervention militaire déclenchée par François Hollande pour stopper une colonne djihadiste menaçant Bamako, la réponse à cette question apparaît de moins en moins claire. La promesse de la reconstruction, grâce à la protection des soldats français, d’un Etat malien capable de juguler la menace islamiste et de répondre aux besoins de justice et de sécurité des populations, a volé en éclats avec l’échec du président Ibrahim Boubacar Keita, dont l’impéritie a été sanctionnée, en août 2020, par un coup d’Etat militaire.
Les opérations françaises « Serval » puis « Barkhane », où 5 100 militaires sont engagés, ont, certes, mis hors d’état de nuire plusieurs chefs djihadistes ; elles ont aussi permis d’éviter une trop grande porosité entre le Sahel et le bourbier libyen. Mais elles n’ont empêché ni la montée des violences entre civils, ni les percées islamistes au centre du Mali, ni la contagion au Niger et au Burkina Faso voisins.
Des effectifs conséquents mobilisés
Avant même la mort récente de cinq militaires français – qui porte le bilan à cinquante « morts pour la France » depuis 2013 –, le risque d’enlisement dans une zone grande comme l’Europe était si patent que l’armée elle-même avait commencé à envisager de restreindre sa présence. Une telle perspective, difficile à officialiser au lendemain de ces drames humains, ne peut plus être écartée. Certainement pas sous la forme d’un retrait brutal, qui constituerait un encouragement pour les djihadistes et un choc supplémentaire pour un pays qui en a déjà trop subi. Mais des considérations tant militaires que politiques poussent désormais dans le sens d’une réduction de voilure.
D’abord parce que « Barkhane » mobilise des effectifs conséquents qui seraient utiles ailleurs, compte tenu de la multiplication des théâtres de tensions dans un monde incertain. Il n’est pas inutile non plus d’envoyer le message aux autorités en place, pas toujours loyales, que la protection de Paris n’est pas un dû et que leurs propres soldats doivent prendre le relais.
Les deux craintes qui motivent l’intervention française – vague migratoire et contagion terroriste touchant la France d’une part, prise de contrôle d’un pays francophone par des islamistes, avec menace d’extension à l’ensemble du golfe de Guinée d’autre part – doivent être réévaluées. Aucune des multiples attaques terroristes visant l’Hexagone n’est liée aux événements sahéliens, et rien ne permet d’affirmer qu’une montée en puissance des religieux provoquerait plus d’émigration que le chaos actuel.
Sombre expérience
Alors que Paris, en 2013, volait au secours des Maliens face à un ennemi perçu comme une branche d’un djihadisme mondial, les soldats français combattent désormais des djihadistes enracinés localement, prospérant sur des conflits ancestraux et sur la révolte contre l’absence d’Etat. L’influence des leaders religieux dans la vie politique et parmi les militaires au pouvoir est telle que l’islamisation de la République malienne paraît difficilement évitable.
Paris envisage désormais de négocier avec « certains éléments » des groupes djihadistes. La sombre expérience du retrait américain d’Afghanistan invite à la plus extrême prudence, de même que les ambitions de la Russie en Afrique, prête à profiter d’un revers français. Mais la sortie de l’impasse au Mali, si elle implique nécessairement la France, ne peut plus être uniquement militaire. Politique, elle doit tenir compte de toutes les sensibilités qui cohabitent dans ce pays et préserver des libertés démocratiques chèrement acquises.
SOURCE: https://www.lemonde.fr/