La version française du bombardement du 3 janvier contre un groupe de djihadistes reste contestée par des témoins qui assurent que les victimes assistaient à un mariage. Paris refuse de montrer les images de la frappe, alors que la Minusma enquête sur l’opération.
La polémique ne s’éteint pas depuis la frappe aérienne contestée menée par l’opération « Barkhane » près du village de Bounti, dans le centre du Mali, le 3 janvier. Cinq semaines après ce dimanche sanglant, et au lendemain d’un débat sans vote, au Sénat, le 9 février, sur les perspectives de l’engagement français au Sahel, les accusations de bavure demeurent tenaces, bien que de nombreuses versions se contredisent.
Alors que l’ensemble de la chaîne hiérarchique militaire nie depuis le début avoir commis la moindre erreur et assure avoir ciblé un groupe terroriste ce jour-là, les témoignages d’individus se présentant comme des rescapés ou de simples témoins et affirmant que cette frappe aurait visé un « mariage » ne cessent de se multiplier.
Au point que l’affaire devient encombrante à l’approche du sommet du G5 Sahel à N’Djamena, au Tchad, les 15 et 16 février, où doit se rendre le président Emmanuel Macron pour y annoncer une partie de l’avenir de « Barkhane ».
Sur un plan politique, Paris est d’ailleurs soucieux de l’effet que peut produire la polémique sur le bombardement, même s’il n’existe pas d’éléments probants pour dénoncer à ce stade une instrumentalisation. « Depuis un an, on s’est bien réalignés sur le plan opérationnel avec l’armée malienne, le degré de coordination et de confiance est beaucoup plus grand », souligne une source diplomatique.
Ces derniers jours, Le Monde a recueilli, à Bamako, deux nouveaux témoignages allant dans le sens d’une bavure, de deux hommes souhaitant rester anonymes, dont l’un dit avoir été blessé dans la frappe.
« Nous étions plus d’une cinquantaine, répartis en quatre groupes. Les hommes étaient sous les tentes et les arbres, et les femmes préparaient le repas dans le logement du marié. Après la première frappe, j’ai cherché à me lever pour savoir d’où cela venait, mais une seconde frappe est aussitôt tombée », confie Ousmane (le prénom a été modifié), qui dit s’être déplacé d’un village voisin pour assister à la noce et n’être « au courant de rien sur la présence des djihadistes dans la zone ».
Une moto, deux Mirage, trois bombes
L’armée française maintient pour sa part que, s’il y a bien eu une frappe, le 3 janvier vers 15 heures, elle n’a jamais visé de « rassemblement festif » et que « la possibilité d’un dommage collatéral » est exclue. Selon l’état-major des armées, elle a été menée par deux Mirage 2000, et trois bombes ont été larguées à 1,7 km au nord du village, loin des habitations. L’opération aurait été précédée de plusieurs jours de renseignement. Un travail poursuivi jusque dans les heures avant la frappe, par des moyens aériens et des troupes au sol, puis « en temps réel ».