Dans une tribune «Transition malienne : politisation de l’armée ou militarisation du politique ?» publiée sur «Theconversation.com», Lamine Savane, Docteur en sciences politiques de l’Université de Montpellier/Aer et chercheur associé au Laboratoire Cepel-Cnrs au sein de l’Université de Ségou et Fousseyni Touré, doctorant en Anthropologie, Institut Supérieur de Formation et de Recherche Appliquée (ISFRA), Université des sciences juridiques et politiques de Bamakode, estiment que «cette militarisation de la transition pose la question de la volonté réelle des militaires, et donc de la stratégie politique de cette transition».
«La militarisation de cette transition, loin de résoudre cette crise du Sahel – qui est avant tout politique – risque d’aggraver encore la fracture politique au Mali. Les priorités qui devraient être celles de la transition (justice, fin de l’impunité, révision du fichier électoral, préparation des élections crédibles, ratissage des zones occupées par les djihadistes, etc.) semblent reléguées au second plan», soulignent les deux universitaires.
A l’évidence, les jeunes officiers de l’ex-Comité national pour le salut du peuple (Cnsp) semblent bien verrouiller le processus de transition en cours. En lieu et place d’une transition civile, on assiste à une militarisation à outrance de l’appareil d’Etat. Après la nomination de plusieurs officiers au poste de gouverneurs de région (13 militaires sur 20 gouverneurs), le choix porté sur de hauts gradés pour assumer d’autres fonctions civiles amène à s’interroger sur la volonté réelle des militaires du défunt Cnsp. Les postes de responsabilité visés sont des boîtes à sous ou des passerelles pour atteindre les populations en leur distribuant vivres et autres dons.
Personne…ne peut tenir tête aux militaires !
Mme Sy Kadiatou Sow a raison lorsqu’elle déclare dans une interview à Jeune Afrique que «Personne, au sein de la transition, ne peut tenir tête aux militaires ». Certaines nominations effectuées par le Conseil des ministres corroborent cet état de fait. Le Président de la Transition, Bah N’Daw, a beau rassurer le Président français, Emmanuel Macron, que c’est lui le chef, les faits sont têtus. Ni lui, encore moins Moctar Ouane, ne pèsent grand-chose devant les militaires de l’ex Cnsp.
Veulent-ils organiser des élections libres et transparentes pour transmettre le pouvoir à un régime civil ? Veulent-ils conserver le pouvoir en plaçant un des leurs à la tête de l’Etat ? Organiser une cession du pouvoir comme le dénonce le Comité stratégique du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques ? Pourquoi placer autant des hauts gradés à des postes stratégiques ? Nos chers Colonels sont-ils en train de créer les conditions d’une retrouvaille de la classe politique et d’une partie de la société civile ?
La volonté d’accaparer tous les leviers du pouvoir est claire et manifeste et n’est pas sans conséquence sur le climat sociopolitique ni la stabilité nationale. La conduite de la Transition ne rassure guère et fait peser de réelles menaces sur l’existence même du Mali. A moins que l’opinion soit pertinemment édifiée du contraire. La pression de la communauté internationale pour une application accélérée de l’Accord pour la paix et la réconciliation dans un contexte national marqué par une forte réserve par rapport à ce document issu du processus d’Alger n’augure rien de bon pour le Mali.
Plus grave : les luttes pour le pouvoir à Bamako et les divergences pouvant résulter de la volonté des autorités de transition d’opérer des réformes non consensuelles sont susceptibles de renforcer la position de la Cma auprès de ses soutiens à travers le monde.
Par Chiaka Doumbia
Source : Le Challenger