Derrière la crise sécuritaire au Mali, il existe la crise des valeurs. Ces deux crises étant liées, il serait difficile de parvenir à la résolution de l’une sans l’autre. Mais plus que tout, le perfectionnement des cultures anciennes pourrait bien contribuer à la résolution des autres crises.
« Ce qui vaut pour un pays tempéré ne peut convenir entièrement à un pays tropical. On voit nos enfants soudanais copier plus ou moins maladroitement Arabes ou Européens, selon leur formation », déplorait Tierno Bokar, le Sage de Bandiagara dans le livre dédié à son enseignement par Amadou Hampaté Ba.
L’inversion des valeurs
Ces propos, tenus des années voire des siècles avant notre ère, mettent le doigt sur l’une des problématiques majeures dans la plupart des sociétés maliennes : la rupture avec les valeurs anciennes. Amadou Hampaté Ba compare ceux qui ont abandonné leur culture au profit de celle de l’autre à des « chutes d’eau qui se perdent en ruisselant inutilement sur des dalles de pierre sans jamais rencontrer un lac pour apaiser leur course folle et stérile ».
La force d’une société réside dans la sauvegarde des valeurs qu’il a reçues en héritage et de la possibilité qui s’offre à lui pour les perfectionner et les adapter à l’évolution sociale. Mais de nos jours, le fait déplorable est plutôt le troc effectué ou plutôt l’abandon de ce qui a fait la force et la fierté des sociétés anciennes. Nous assistons à une véritable inversion des valeurs. Tout ce qui était vu comme une honte hier est objet de fierté aujourd’hui. Si les anciens disaient : « Mieux vaut la mort que la honte », nous modernes, disons : « Mieux vaut la honte que la mort ».
La débauche, la consommation de la drogue, le non-respect des anciens, le mensonge, le vol, etc., sont devenus des pratiques assez courantes dans la plupart de ces sociétés modernes du Mali. Des pratiques qui sont d’ailleurs des fiertés pour les attachés à ces vices, marques d’une dégénérescence sociétale.
« L’imitation aveugle des autres [ndlr] nous fait nous oublier nous-mêmes »
Le cousinage à plaisanterie, la Jatigiya, faisaient également la force de ces sociétés. À travers ces valeurs, ses membres réussissaient à apporter des solutions pratiques aux maux qui minaient leur vivre-ensemble. Où sont passées les veillées de contes, de devinettes, voire les séances de proverbes, ces galléries de renseignements reçues des anciens ?
Le maitre d’Amadou Hampaté Ba n’avertissait-il pas également que « l’imitation aveugle des autres [ndlr] ne nous fait pas devenir eux, mais nous fait nous oublier nous-mêmes ». Cet oubli de soi qui fait que l’on devient étranger chez soi et refouler par l’autre n’est pas sans conséquence. Les Maliens se sont oubliés afin de se ressembler à l’autre qu’il considère comme la source de tous leurs maux. En conséquence, les communautés sont de moins en moins soudées.
« Évoluer, c’est perfectionner »
Les mécanismes traditionnels de gestion des conflits ont été abandonnés. Qui aurait pu imaginer la possibilité d’un conflit intercommunautaire au Mali ? Qui aurait pu imaginer que des cousins à plaisanterie allaient « devenir des chiens et chats » ? Il était inadmissible pour nos ancêtres que les grandes familles qui ont toujours fait la beauté des communautés et assuré l’autosuffisance alimentaire et financière allaient se fissurer. Mais aujourd’hui, que reste-t-il à ce pays ?
Toutes les valeurs ont été foulées aux pieds. Finalement, l’on se demande si les crises actuelles ne constituent pas une manifestation de la colère des anciens, déçus de l’abandon de l’héritage légué.La crise malienne est une crise des valeurs.
Toute sa richesse culturelle devrait lui permettre de venir à bout des conflits qui minent son chemin vers le développement. Aujourd’hui, il ne s’agit point de se fermer aux autres, mais plutôt de perfectionner les valeurs existantes avec le contact de l’autre. En attendant, méditons sur cette autre pensée du Sage de Bandiagara : « Pour nous, évoluer, c’est perfectionner notre patrimoine qui n’est pas seulement de nos demeures et de nos champs ; c’est aussi aménager notre pensée, notre manière d’être tout entière ».
Fousseni Togola
Source : Maliweb.net