Nommé ce lundi Premier ministre, Choguel Maïga est chargé de former le gouvernement au Mali. C’est un homme politique tenace qui prend les commandes de la nouvelle équipe au moment où les défis à relever sont nombreux.
La scène se déroule en 1997. Les vannes de la démocratie et du multipartisme sont ouvertes depuis six ans au Mali. Choguel Maïga est président du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR) qui se réclame de l’ex-parti unique balayé par une insurrection populaire. Il est considéré comme un «pestiféré» par toute la classe politique malienne qui a pour slogan «Vive le changement !». Il est quasiment seul contre tous, boudé par une grande partie de la presse.
Drapé dans l’un de ses célèbres boubous traditionnels, il nous reçoit à Bamako pour un entretien. Son téléphone sonne. C’est le Premier ministre de l’époque, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), qui l’appelle pour un discret entretien. Lui qui est plutôt court de taille et de frêle allure, il bombe le torse.
Le «banni» commence à devenir fréquentable. Impossible d’entendre ce que les deux hommes se disent. Après avoir raccroché, le jeune leader du MPR lance : «En politique, il faut des convictions. Mais après les convictions, il faut être tenace !»
De la ténacité, cet ingénieur titulaire d’un doctorat en télécommunications en a fait preuve tout au long de son cursus scolaire et universitaire. Plutôt brillant durant les premières années de sa scolarité dans le septentrion malien d’où il est originaire, il poursuit ses études dans les années 1970 au lycée technique de Bamako –de bonne renommée–, avec option «mathématiques et techniques industrielles» (MTI). Il sort major de sa promotion, avec en poche un baccalauréat technique. Il effectue ses études supérieures essentiellement dans l’ex-Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS).
Jeune, il tâte le terrain politique, notamment au sein de l’Union nationale des jeunes du Mali, association phagocytée par le parti unique de l’époque.
L’homme sait ne pas mâcher ses mots. Il est un tribun hors pair. Il le prouve une nouvelle fois en mars dernier, lors d’une émission télévisée à laquelle il participe à l’occasion du trentenaire de l’insurrection de 1991. Il a face à lui les révolutionnaires qui avaient le vent en poupe à cette époque et qui ont depuis blanchi sous le harnais. Seul contre tous, Choguel Maïga trouve les mots pour encore défendre le régime du parti unique. Tenace.
Une revanche après un parcours semé d’embûches
Ce lundi 7 juin 2021, un peu plus de trente ans après la révolution malienne, il prend définitivement sa revanche en accédant à la primature. Ses blessures se cicatrisent probablement. Car son parcours politique a été semé d’embûches. En 1997, il boycotte les élections présidentielles et législatives. En 2002, pour la première fois, il est candidat à une élection présidentielle.
Il n’obtiendra pas le remboursement de sa caution, ayant obtenu un score inférieur à 5% des suffrages exprimés. Au second tour, il appelle à voter pour le général Amadou Toumani Touré qui s’assoit dans le fauteuil laissé vide par un géant de la scène politique malienne, Alpha Oumar Konaré. Pour la première fois dans l’histoire du Mali, un président démocratiquement élu succède à un autre.
Les cinq années suivantes, politiquement, Choguel Maïga roule sur un chemin bien étroit.Son parti, qui a un tigre pour emblème, a cinq députés sur les 147 que compte l’hémicycle en 2002 ; et il en aura huit en 2007. Il noue des alliances dans le marigot où les caïmans rêvaient de le dévorer.
L’homme sera ministre à deux reprises. En 2002, pour quelques années, il détient le portefeuille de l’Industrie et du Commerce. En 2015, il revient au gouvernement, plus précisément au ministère de l’Économie numérique et de la Communication.
Retour sur le devant de la scène avec le M5
Mais s’il est vraiment revenu sur le devant de la scène, c’est à cause de sa posture au sein du M5-RFP, mouvement hétéroclite qui a contribué à la chute de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, «IBK». Créé le 5 juin 2020 et composé de partis et de mouvements politiques, le Rassemblement des forces patriotiques a désigné Choguel Maïga comme son «président du Comité stratégique».
Comme d’autres responsables du mouvement, il montre son courage physique. Le 10 juillet 2020, les mouvements réunis au sein du M5-RFP battent encore une fois le pavé. Des bâtiments publics sont saccagés. Au moins deux morts et de nombreux blessés. Dans les jours qui suivent, les responsables et militants du M5-RFP sont arrêtés. Parmi eux, Choguel Maïga. Les militants montrent leurs muscles. Ils sont décidés. Les personnes arrêtées sont malgré tout libérées.
Dans un rapport, la gendarmerie où ils étaient détenus précise : «Monsieur Maïga n’avait pas du tout l’air affecté par la détention. […] Il recevait des appels téléphoniques d’un peu partout.»
Choguel Maïga s’impose comme «la voix» de la contestation. Porte-parole du mouvement, il inonde quasiment quotidiennement la presse de communiqués, ce qui finit par agacer les membres du mouvement. Certains commencent par parler directement à la presse en prenant le contre-pied des déclarations de Choguel Maïga. À la chute de l’ancien président malien IBK, le 18 août 2020, le M5 –et le président de son Comité stratégique en tête– rêvent du grand soir. Le docteur Maïga a 63 ans.
Mais le mouvement est divisé. Une frange de ce groupe – notamment des jeunes – préfère rejoindre les militaires auteurs du coup d’État. L’imam Mahmoud Dicko, personnage central du M5-RFP, déclare qu’il retourne à sa mosquée. Aimable euphémisme pour dire que la concorde avec les leaders du M5-RFP est terminée. Des membres du mouvement sont mécontents de cette décision de l’influent chef religieux.
De leur côté, les militaires qui ont pris le pouvoir affirment vouloir rester à distance des forces politiques et refusent un mariage forcé avec le M5-RFP. Choguel Maïga, quant à lui, refuse de tirer à boulets rouges sur l’imam. Il garde le contact, mais continue de critiquer la nouvelle direction prise par la junte.
La réalité est que le M5-RFP, à la veille de la chute de l’ancien président, était à la recherche d’un nouveau souffle. La junte au pouvoir n’entendait pas gouverner avec cet homme du passé. C’est pourquoi, en septembre, pour la désignation du nouveau Premier ministre – la junte ayant a priori déjà dans le cartable le nom du président–, les militaires demandent à tous les candidats à ce poste de déposer leurs dossiers. Choguel Maïga, rusé comme un Sioux, sent le coup fourré. Contrairement à d’autres de ses camarades du mouvement, il ne s’abaisse pas à déposer son dossier de candidature. Il a vu juste. Là aussi, les militaires avaient déjà choisi leur candidat et cherchaient à faire diversion en montrant que le poste était ouvert à tous les candidats.
Une ténacité qui porte ses fruits
Neuf mois plus tard, le colonel AssimiGoïta, vice-président de la Transition, après avoir débarqué le président de la Transition, Bah N’Daw, et son Premier ministre, Moctar Ouane, qu’il avait lui-même choisis a besoin d’une nouvelle alliance pour gouverner. Il se jette alors dans les bras du M5-RFP qui accepte la primature. Une semaine avant, à la veille du dernier remaniement ministériel qui va déclencher une nouvelle crise, une frange du M5-RFP refusait les strapontins que proposait le président de la Transition.
Aujourd’hui, le camp du colonel AssimiGoïta et celui de Choguel Maïga ont jeté les querelles à la rivière. Terminée l’époque où les militaires ne voulaient pas travailler avec le M5-RFP. Et vice-versa.
La ténacité du Premier ministre a porté ses fruits. Mais à quel prix ? Pour occuper le fauteuil douillet de la primature, le docteur Choguel Maïga a quand même mangé, sur plusieurs sujets, un bout de son chapeau. Lui qui exigeait un président civil pour la Transition va finalement travailler avec le colonel AssimiGoïta. Et pour bien montrer que cela ne le gêne aucunement, il s’est déjà fait son porte-parole, le 4 juin 2021, lors d’un rassemblement du M5-RFP, alors qu’il n’était pas encore officiellement nommé Premier ministre.
Prenant la parole lors de ce rassemblement, alors que Paris venait de suspendre sa coopération militaire avec Bamako à cause du second coup d’État en neuf mois, il s’est indirectement adressé à la France, pour apporter diplomatiquement des assurances : «Ce que le président de la Transition m’a chargé de transmettre, c’est de rassurer tous nos partenaires. Le peuple malien veut retrouver son indépendance, sa dignité ; il veut travailler dans l’honneur et nous sommes particulièrement attentifs. Nous resterons attentifs aux préoccupations de nos principaux partenaires qui sont les pays qui nous ont tendu la main lorsque nous étions dans les difficultés, mais nous avons besoin aujourd’hui d’un nouveau souffle.»
Homme de compromis
Celui qui fut un brillantissime étudiant a également mangé son chapeau sur ce qui est un peu le Graal de son parcours politique : l’accord de paix d’Alger, signé entre les ex-rebelles du nord et le gouvernement. Il a toujours estimé que cet accord conduirait inévitablement à la partition du Mali.
Adepte d’un nationalisme ombrageux, il est néanmoins aujourd’hui prêt à appliquer l’accord. D’ailleurs, pour convaincre les plus sceptiques, il a reçu, avant même son entrée en fonction, une délégation des ex-rebelles. «Vraiment, au cours de la rencontre, il nous a donné l’assurance que nous sommes tous des Maliens et qu’il n’est pas venu pour se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine», commente un membre de la délégation des ex-rebelles.
Choguel Maïga abandonne désormais une autre de ses revendications : la dissolution du Conseil national de Transition (CNT), organe législatif de la Transition. Le M5-RFP, qui trouvait qu’il n’était pas du tout représentatif du peuple, avait demandé à la justice de déclarer «illégal» cet organe. Le nouveau Premier ministre doit aujourd’hui faire valider son programme gouvernemental par le CNT, d’où l’opération de charme qui a commencé.
Les difficultés vont rapidement se dresser sur son chemin. La première est la tenue –comme prévu– des élections présidentielles et législatives fin février. S’il veut tenir les dates, comment va-t-il s’y prendre ? S’il veut repousser l’échéance, comment va-t-il pouvoir passer le fil par le chas de l’aiguille sans provoquer le courroux de la communauté internationale ?
L’autre défi, répétons-le, c’est qu’il n’a pas été choisi par les militaires parce qu’il a le plus magnifique boubou de la classe politique locale. Le choix des militaires relève plutôt de la stratégie. Le couple Choguel Maïga/colonel AssimiGoïta fonctionnera-t-il ?
Deux expériences connues au Mali, en 2012 et en 2020, ont laissé un goût amer. L’on a assisté à une «cohabi-tension» et non cohabitation entre militaires et civils à la tête de la Transition. Le nouveau président de la Transition, qui a prêté serment ce lundi 7 juin 2021, concentrera dans ses mains de nombreux pouvoirs. Il nommera ses proches aux postes régaliens. Son Premier ministre ne sera-t-il alors qu’un «simple collaborateur» ? Des proches et des militants du parti du nouveau Premier ministre invitent à la prudence.
Abdoulaye Sissoko, sociologue partisan déclaré de Choguel Maïga, conseille en tout cas de ne pas le sous-estimer : «Si vous prenez son itinéraire politique depuis les années 1990, il sait toujours où il met les pieds. Il a fait des compromis avec des gens comme l’ancien président Amadou Toumani Touré qui est quand même le tombeur de son mentor, le général Moussa Traoré. Il a fait des compromis avec les responsables de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma), qui est la formation politique qui a pris le pouvoir en 1992 et qui lui a créé toutes sortes de problèmes. Choguel est l’homme des compromis, mais pas des compromissions. Je crois qu’il va s’en sortir.»
Serge Daniel
Source : Rfi