The New Humanitarian, un site d’information sur les crises, et le journal allemand Der Spiegel ont enquêté sur le « bilan civil de la guerre anti-djihadiste de la France au Mali». L’enquête publiée, le 16 juin dernier, révèle la tuerie de civils enterrés « sur place », sans aucune cérémonie funéraire. Le nombre de civils tués risque pourtant de s’allonger avec la nouvelle stratégie de lutte annoncée par le président français Emmanuel Macron.
« Il n’y avait pas de djihadistes… Pas d’armes… pas même un couteau », a juré Madabbel Diallo, un survivant des frappes françaises sur Bounti le 3 janvier 2021, interrogé par les journalistes. En tout, huit survivants ont été interrogés lors de cette enquête conjointe menée par The New Humanitarian et Der Spiegel. « Les huit survivants contestent le récit de l’armée française sur l’incident de Bounti », peut-on lire dans leur enquête.
Selon The New Humanitarian, 25 décès de civils ont été confirmés, de manière indépendante, dans les frappes sur Bounti. Un bilan « sept fois supérieur » à celui reconnu officiellement par l’armée française. Une enquête de la Minusma, la mission de l’ONU au Mali, avait aussi conclu, en mars 2021, le bilan de 22 tués dans l’attaque de Bounti. La MINUSMA a mené au moins 200 entretiens, analysé des images satellite et visité le site de la frappe avant de rendre ses conclusions. Mais l’armée française s’était contentée de mettre en doute la crédibilité du rapport de l’ONU.
Bounti n’est pas la seule affaire enquêtée par les journalistes, neuf cas ont été examinés « en profondeur ». Ainsi, l’un des cas concernait la mort « non signalée » d’un civil tué, le 17 mai 2020, par les forces françaises près du village de Tagarangabout à 65 km d’Ansongo. « L’homme a été abattu alors qu’il s’approchait des soldats de Barkhane sur une moto transportant deux autres passagers. Il a été enterré sur place – un incident qui avait été gardé secret », rapporte l’enquête. Une affaire qui ressemble aux tirs sur un bus de civils, en septembre 2020, près de Gao. Une famille avait été endeuillée, et deux personnes avaient été grièvement blessées.
Faire la grande muette…
Se basant sur les rapports d’autres organisations, dont Armed Conflict Location & Data (ACLED), The New Humanitarian estime que plus de « 50 civils ont probablement été tués » par les forces françaises depuis 2013. Ce qui agace surtout, c’est l’opacité qui règne autour de la question de civils tués. « Ni le bureau de presse de l’armée française à Paris ni le commandement Barkhane à Bamako », n’ont accepté de répondre aux questions posées par les enquêteurs, malgré leur insistance.
A l’abri de toute poursuite judiciaire au Mali, en vertu de l’Accord de coopération militaire, la «réaction est presque toujours la même », du côté des autorités militaires françaises. « D’abord, ils ne disent rien, espérant que les accusations resteront inaudibles », indique un chercheur interrogé au cours de l’enquête. Quand il y a polémique, ces autorités promettent une enquête. «Puis, quelques mois plus tard, quand la polémique est un peu oubliée, on apprend par ailleurs que l’enquête interne n’a rien trouvé et que l’armée française est lavée de tout soupçon ».
« Le manque de responsabilité de la France concernant les morts de civils alimente la colère locale », selon l’universitaire Bréma Ely Dicko, récemment conseiller de l’ancien Premier ministre malien Moctar Ouane. « S’il y avait eu des excuses au moins, peut-être que les gens auraient pu pleurer et passer à autre chose ». « Mais ce déni est une cause de frustration. Ceux qui ont perdu des frères, des cousins… certains s’en remettront à Dieu, tandis que d’autres voudront se venger », a expliqué le chercheur malien.
De plus en plus de civils tués… ?
Après Bounti, les frappes françaises ont fait cinq morts, le 25 mars dernier, à 25 kilomètres du village de Talataye. « Tous des civils âgés de 16 à 20 ans », a indiqué un enquêteur de la MINUSMA, contacté sous anonymat par les journalistes. Un bilan de 30 civils tués en trois mois dans les frappes aériennes françaises qui met en doute la capacité des forces françaises à utiliser les drones.
Une guerre de la France vue du ciel qui risque de « s’intensifier » selon l’enquête. Car le 10 juin dernier, le président Emmanuel Macron a annoncé un retrait des forces françaises. Il s’agit, en réalité, selon les deux journaux, d’établir une nouvelle stratégie de lutte anti-djihadiste qui reposera davantage sur la puissance aérienne, les forces spéciales et la collaboration avec les armées européennes et locales.
Mamadou TOGOLA
Source : Maliweb.net