Dans cette interview, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Mali évoque la situation sociopolitique du pays, notamment la conduite de la Transition et le processus de paix. Aussi, il lève un coin de voile sur l’orientation de son action à la tête de la Minusma au terme d’une tournée qu’il a effectuée dans les régions où la Mission onusienne est présente.
L’Essor : Début mai, vous avez remplacé Mahamat Saleh Annadif à la tête de la Minusma. Deux mois après, quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique du Mali ?
El-Ghassim Wane : Merci pour votre question qui me donne l’occasion de saluer le travail accompli par mon prédécesseur et ami Annadif à la tête de la Minusma. Des avancées indéniables ont été réalisées ces dernières années au Mali, avec l’appui conséquent de la Minusma et de ses partenaires. Certains se souviennent peut-être qu’au moment du déploiement de la Mission, en 2013, les villes du Nord étaient désertes ; aujourd’hui la vie y a repris ses droits, même s’il reste beaucoup à faire.
Il faut clairement aller plus vite, beaucoup plus vite pour accélérer le retour de la paix et de la stabilité partout dans le pays. Notre rôle est d’aider à créer un espace pour que les processus en cours aboutissent, qu’il s’agisse de la Transition actuelle, de l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu d’une processus d’Alger, ou de la stabilisation du Centre. J’ai consacré mes premiers jours à Bamako à des rencontres de prise de contact avec les autorités de la Transition, les mouvements signataires de l’Accord pour la paix, ainsi qu’avec d’autres acteurs politiques et sociaux maliens impliqués dans les processus en cours. J’ai beaucoup écouté les priorités et préoccupations qui sont les leurs et identifié avec eux ce que nous pouvons faire ensemble en mieux.
Je me suis par la suite rendu sur le terrain, visitant Tessalit, Aguelhok, Kidal, dans le Nord ; Mopti, Douentza et Bandiagara, dans le Centre ; ainsi que les Régions de Tombouctou, Gao, et Ménaka. Je dois ajouter que j’ai effectué deux autres visites à Mopti. Ces déplacements sur le terrain ont été suivis de rencontres avec des partis politiques et des membres du corps diplomatique – ces rencontres se poursuivent- mais aussi avec des organisations de la société civile. Il s’agissait pour moi d’approfondir ma compréhension de la situation d’ensemble au Mali, mais aussi de m’assurer du soutien de tous pour le succès de la Transition, qui doit culminer avec la tenue d’élections libres, inclusives et transparentes en février prochain.
Pour répondre plus directement à votre question, je dirais que je suis optimiste. Je suis convaincu que cette crise sera surmontée. Le défi est de le faire dans les délais les plus courts qui soient. Les populations aspirent profondément à la paix, et le Mali regorge de talents, de créativité et d’énergie, qui sont autant d’atouts pouvant, devant servir de levier pour hâter la sortie de crise. Les acteurs politiques de tous bords se doivent de redoubler d’efforts, sachant que dans des moments comme ceux que vit le Mali une seule chose compte : le salut de la Nation.
L’Essor : Après les événements du 24 mai dernier, la Transition vient de commencer sa deuxième séquence. Quelle sera la nature de l’accompagnement de la Minusma en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel normal ?
El-Ghassim Wane : L’accompagnement de la Transition est l’une des priorités stratégiques de la Minusma, en plus du soutien à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et à la stabilisation du Centre du Mali. Dans ce cadre, nous œuvrons étroitement avec l’UA (Union africaine) et la Cedeao (Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest), mais aussi avec d’autres partenaires, pour faciliter la conclusion de la transition dans les délais qui ont été convenus.
Un aspect important de notre accompagnement porte sur la préparation des élections qui couronneront la transition. Les autorités de la Transition ont, à de nombreuses reprises, exprimé leur détermination à tenir les délais convenus avec la Cedeao et soutenus par l’ensemble de la communauté internationale. Notre devoir est de tout faire pour leur permettre de remplir cet engagement. à cet égard, la Minusma apporte déjà un soutien technique important. Nous sommes également en train de travailler avec nos partenaires maliens sur le dispositif de sécurisation des élections. Et évidemment, nous apporterons aussi un appui logistique pour le transport du matériel électoral et des personnels concernées.
Il est important que les élections aient lieu dans les délais et qu’elles se déroulent dans les conditions requises de liberté, de transparence et de régularité. Ce sera là une véritable réussite pour la Transition.
L’Essor : Vous venez de boucler des tournées dans les régions où la Mission onusienne est déployée. Quelle synthèse faites-vous de ces déplacements qui vous ont permis de prendre connaissance des préoccupations des populations ?
El-Ghassim Wane : Plusieurs éléments ressortent de ces visites. D’abord, la qualité et l’ampleur du travail qu’abattent, au quotidien, nos collègues sur le terrain, qu’ils appartiennent aux composantes militaire, de police ou civile de la Minusma. Nos équipes font preuve de beaucoup de dévouement et d’un sens élevé du sacrifice, et arrivent à des résultats significatifs. Je voudrais ensuite dire combien j’ai été réconforté par l’appréciation que les populations maliennes elles-mêmes, partout où j’ai été à l’intérieur du pays, portent sur l’action de la Minusma.
L’opinion nationale semble se former sur les réseaux sociaux, par des observateurs vivant à l’étranger ou à Bamako, c’est-à-dire par des personnes qui ne peuvent pas pleinement apprécier notre plus-value, et je le regrette. L’essentiel de notre travail se réalise loin de Bamako, où 90% de nos effectifs sont déployés ! Dans ces zones, les populations souhaitent une présence plus forte, davantage de projets, davantage d’appui… et forment le vœu d’un effort plus soutenu en matière de sécurisation. Et si les populations demandent davantage de Minusma, davantage de projets … c’est bien parce que ce que nous faisons déjà suscite leur satisfaction.
L’Essor : L’immersion dans le pays profond et le contact avec les autorités nationales vous fondent donc d’en dire plus sur l’orientation de votre action à la tête de la Minusma ?
El-Ghassim Wane : Mes rencontres avec les autorités et les populations locales lors de mes déplacements en régions ont été particulièrement utiles. Ce qu’elles disent est essentiel pour nous permettre d’ajuster notre action dans un contexte qui est particulièrement dynamique, de mieux comprendre ses limites et d’en accroître l’efficacité. Les besoins sont énormes, et notre volonté d’aider est forte, même s’il est évident que nous ne pouvons pas répondre à toutes les attentes. Nous soutenons un processus et les autorités maliennes. L’efficacité de notre action dépend du retour de l’autorité de l’État et de son aptitude à fournir aux populations les services de base qu’elles sont en droit d’attendre.
Dans les semaines et mois à venir, notre action continuera à s’articuler autour de trois axes : le soutien à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix ; la stabilisation du Centre ; et l’appui à la Transition. J’ai espoir, après la dernière réunion du Comité de suivi de l’Accord pour la paix, que le rythme de mise en œuvre des engagements pris sera accéléré. Tant le gouvernement, par la voix du Premier ministre, que les Mouvements signataires ont dit leur volonté de rattraper le temps perdu. Il est impératif que des avancées décisives soient faites sur les dispositions qui constituent le cœur même de l’Accord, à savoir le DDR, les réformes institutionnelles, et le développement des régions du Nord, sachant bien sûr qu’il s’agit là d’une œuvre de longue haleine.
La stabilisation du Centre est d’une importance cruciale pour retrouver une situation normale, favoriser la réconciliation entre communautés et répondre aux besoins pressants des populations. Lors de ma troisième visite à Mopti, j’ai lancé un plan d’action de 50 jours pour le Centre intitulé « An ka baro kè », dont la mise en œuvre a débuté le 15 juin et qui prendra fin le 5 août, et ce en collaboration avec les autorités des régions du Centre. Ce plan d’action, n’a évidemment pas l’ambition de régler les problèmes complexes que nous connaissons dans un délai si court, mais plutôt de renforcer l’efficacité de l’appui que nous apportons pour promouvoir la cohésion sociale, rétablir la confiance entre institutions étatiques et populations, et générer des dividendes de paix.
L’accompagnement de la Transition qui est en cours au Mali continuera aussi à mobiliser notre attention. L’objectif est de permettre la tenue d’élections libres et transparentes en février prochain et, partant, de poser les jalons de la stabilité à long terme du Mali. Nous sommes dans une posture d’accompagnement et de soutien, et non de substitution aux acteurs maliens. Fondamentalement, c’est d’eux que dépend la restauration durable de la paix et de la stabilité au Mali.
L’Essor : Le mandat de la Minusma a été récemment renouvelé. N’est-il pas temps, selon vous, de mettre ce mandat sous chapitre 7 en vue de lutter efficacement contre les groupes terroristes ?
El-Ghassim Wane : La Minusma a été déployée au Mali dès 2013 sous le Chapitre 7 de la Charte des Nations unies. En clair, elle est autorisée à faire usage de la force aux fins de légitime défense et de défense de son mandat, y compris la protection des populations civiles, et ce quelle que soit la source de la menace. Et croyez-moi, beaucoup est fait pour créer un environnement sécurisé pour les populations. Partout, où nous sommes présents, des améliorations ont été notées, même si la situation reste malheureusement encore difficile.
Nous travaillons avec les Forces de défense et de sécurité maliennes, y compris à travers la conduite d’opérations coordonnées. Nous leur apportons un soutien multiforme : formations, évacuations de soldats blessés au front et construction ou réhabilitation d’infrastructures. Notre mandat et les activités conduites doivent être compris et évalués en ayant en vue la totalité du dispositif international d’appui à la stabilisation du Mali. Nous agissons de manière complémentaire avec d’autres forces internationales qui, elles, sont mandatées pour conduire des actions offensives contre les groupes terroristes.
L’Essor : Quel regard portez-vous sur le processus de stabilisation au Mali, six ans après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation ?
El-Ghassim Wane : Il y a des acquis indéniables : la fin des affrontements armés entre parties signataires et le fait que l’Accord pour la paix reste, malgré les difficultés rencontrées et les retards importants qui ont été accusés dans sa mise en œuvre, le cadre de référence pour la recherche d’une solution pérenne et consensuelle aux crises récurrentes qui ont affecté le Nord du Mali, et ce sur la base du respect scrupuleux de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’État malien, ainsi que de sa forme républicaine et laïque.
En même temps, force est de reconnaître que des retards considérables ont été accusés dans l’application de l’Accord. Chaque jour de retard se traduit par des souffrances supplémentaires pour les populations des régions concernées, soumises aux affres de la violence terroriste et criminelle ; une absence plus prolongée de l’État et de ses services, qui sont les seuls à même de répondre durablement aux besoins fondamentaux des populations ; la déstabilisation d’autres régions du Mali, qui subissent de plein fouet l’impact de l’insécurité qui prévaut dans le Nord ; ainsi que par l’impossibilité de mobiliser pleinement toutes les énergies en vue de s’attaquer au sous-développement et à la pauvreté à travers l’ensemble du Mali.
Il n’y a plus de temps à perdre. Les parties se doivent, pour le bien du Mali et de son peuple, de réaliser, dans les mois à venir, ce qui n’a pu être fait ces six dernières années.
Cela signifie honorer les engagements pris ; faire davantage pour renforcer l’appropriation de l’Accord pour la paix par tous les Maliens, en menant le travail de pédagogie et d’explication qui a largement fait défaut jusqu’ici ; et faire le constat objectif que le statu quo actuel est préjudiciable au Mali et à la région. Cela signifie aussi tirer profit de la forte mobilisation de la communauté internationale en faveur du Mali – l’absence de résultats peut et risque de décourager les bonnes volontés internationales.
Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ
Source : L’ESSOR