La refondation du citoyen malien d’abord

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Déjà un an, que suite à une crise sociopolitique, un groupe de colonels est arrivé au pouvoir. Cet avènement au pouvoir appelé par certains le coup d’Etat ou coup de force, ou parachèvement de l’action sociale, est survenu le 18 aout 2020 mettant fin au mandat de cinq ans d’un président dit démocratiquement élu.
La crise multidimensionnelle, au Mali, a vu le mariage de plusieurs groupes : partis politiques, associations, groupements laïcs ou religieux. Les uns sont pro-pouvoir et les autres se considérant comme opposé au pouvoir. Chaque groupe se réclame être le peuple ou la voix du peuple. De fait, la cause du peuple est la raison d’être de chaque entité. Chaque groupe pense répondre aux attentes du peuple, qui veut le changement, qui veut rompre avec l’ancien système, d’où l’effervescence pour la refondation de l’Etat ou un « Mali kura ».
La refondation suppose qu’auparavant il y’a eu une destruction, une démolition, une trahison par rapport à l’idée originelle, etc. Ainsi la refondation de l’Etat signifierait que l’Etat est détruit, qu’il n’existe plus et il faut venir à son secours. Il faut sauver l’Etat, il faut le ramener sur le bon chemin. Et depuis quelques mois, on ne parle que de la refondation de l’Etat du Mali. Un ministère a été créé à cet effet.
Pour les tenants de la refondation, il faut une grande réforme institutionnelle. On pourrait se demander si le problème du Mali est vraiment institutionnel. Il pourrait l’être en partie mais pas en totalité. Il est impératif de diagnostiquer la situation pour savoir où se trouve le mal afin de l’endiguer. Ainsi, comment pensent et agissent les institutions ? En se posant cette question, on se réfère à Mary DOUGLAS écrivaine Britannique, mais aussi à d’autres auteurs qui, préoccupés par la vie institutionnelle, se demandent, si les institutions ont vraiment une intelligence propre et en d’autres termes, se demandant si les institutions agissent –elles d’elles-mêmes ?
Chaque société dispose d’institutions en vue du bon vivre ensemble. De fait, parler d’instituions, on se réfère à la famille, le milieu du travail, l’école, la communauté de foi religieuse, l’administration publique et privée, le monde politique, les organisations internationales, le parlement, la justice, etc. Toutes celles-ci ont en commun l’HOMME, qui, s’il n’est pas au centre, c’est-à-dire si sa dignité n’est pas respectée, les institutions ne servent à rien. L’institution peut avoir deux significations. La première – dans le sens d’assumer ou prendre une norme, une loi – est un ensemble de règles, normes. La seconde – dans le sens de construire, créer- est un type particulier et stable de l’organisation sociale ou entité ou organisme. Ainsi L’Etat en tant qu’entité, est une institution qui a besoin des normes et des règles pouvant permettre aux citoyens de vivre dans la paix, la quiétude et la justice. Nous comprenons alors qu’il existe une relation intrinsèque entre les institutions et l’HOMME. Les institutions sont faites de personnes. En réalité les institutions ne peuvent pas avoir d’intelligence propre même si elles ont un mode de pensée et d’agir. Elles pensent et agissent par communauté de pensée, en d’autres termes elles pensent et agissent à travers les personnes qui les composent, la mise en commun de leurs pensées et émotions.
C’est pourquoi nous pensons qu’il ne peut y avoir de refondation de l’Etat sans la refondation du citoyen Malien. Jésus n’a-t-il pas dit « vin nouveau outre neuve » ? (Cf. Mc 2, 22). Tout doit partir de la personne elle-même qui, si elle n’est pas renouvelée, les institutions ont beau être pensées, repensées, elles ne serviront pas, puisque ce sont les vielles outres qui vont recueillir le vin nouveau et qui vont provoquer l’explosion. La lettre pastorale des évêques du Mali de 2020 le dit clairement à travers son titre « Un cœur nouveau, un Esprit nouveau ». Le malien doit se convertir, avoir un cœur nouveau et un esprit nouveau, gage d’un Mali Kura. Comment établir des institutions justes sans des personnes justes ? Les institutions sont faites de personnes et c’est par celles-ci que ces institutions pensent et agissent. Combien d’institutions n’ont-elles pas été mises en place ? Malheureusement, la corruption, l’enrichissement illicite, la fraude, la délinquance financière, les injustices, le népotisme, le favoritisme, l’insécurité, etc. ne font qu’augmenter.
Il en sera de même durant et après cette transition tant que le malien ne changera pas. Le malien devient de plus en plus pourri. Dans le passé on disait « saya ka fisa ni malo ye » (la mort plutôt que la honte). Aujourd’hui, c’est « malo ka fisa ni saya ye » (la honte plutôt que la mort). Ce qui fait notre honte est devenu pour nous motif de gloire. L’honneur et la parole donnée n’ont plus de sens. Nous assistons chaque jour à un renversement de valeurs. Les contre-valeurs sont brandies en lieu et place des valeurs. Cela est une insulte à la mémoire des personnes qui ont perdu leur vie pour que le Mali ne périsse pas.
Un pays qui se gouverne comme une famille ou un grin d’amis de thé ou avec les mêmes personnes – qui sont au seuil de leur incompétence- qui vont et reviennent ou qui changent seulement de poste, ne sera jamais refondé, car les dirigeants ne verront pas au-delà de leur cercle. De plus, qu’est-ce qu’on n’a pas entendu dans ce pays ? « Le Mali qui gagne » est devenu le Mali qui perd ; « le Mali d’abord » est devenu ma famille d’abord ; « rien ne sera plus comme avant », aujourd’hui est pire qu’hier.
On est tenté de donner raison à ce haut cadre du pays qui disait en son temps ceci : « mon président, ceux qui sont en train de crier ont faim. Donnez-leur quelque chose à manger. Ils vont se taire ». Effectivement, c’est la triste réalité. Quand le chien enragé occupe un poste, il oublie sa rage. Il est guéri. En plus de cela, celui qui accède à un poste, cherche à augmenter ses avantages qui ne feront qu’augmenter les inégalités et les injustices qui sont la base des conflits.
Force est de constater qu’il y’a eu trop de discours dans ce pays sans réalisations concrètes. C’est pourquoi, « Pour prévenir les catastrophes causées par la négligence ou l’entêtement des humains, nous avons besoin d’examens critiques et pas seulement de bonne volonté » nous dit Amartya Sen. Sans cet examen critique on ne pourra pas parvenir à des décisions responsables.
Comment refonder une nation avec des gens qui ne pensent qu’à leur poche ? Le bien de la nation n’est plus la priorité. L’essentiel est que celui qui est au pouvoir trouve son compte. Et pour ce faire, on est prêt à toute sorte d’accord au détriment de la population. Ce qui est clair, la refondation commence par la conversion des cœurs. Et pour y arriver, on n’a pas besoin d’attendre une assise nationale ou une conférence sociale. On peut appeler les autres à une lecture intelligente des choses, à un esprit patriotique, à un sacrifice, au sursaut national, etc. mais cela doit commencer par soi-même. La refondation doit commencer par la conversion des cœurs de ceux qui sont au pouvoir. On dit que « Kami be a gnèma ton filai » (la pintade marche en s’alignant sur la nuque de celle qui est devant elle). Si la pintade n’a pas de nuque, comment les autres vont-elles la suivre ?
En définitif, il faut dire avec Jean Monnet que « rien n’existe sans les personnes et rien ne dure sans les institutions ». Nous comprenons alors que bâtir des institutions qui ne tiennent pas compte des modes de comportements réels des membres de la société est une œuvre vouée à l’échec. Il nous faut être réaliste et responsable afin de redonner au Maliba une image digne de ce nom. Et pour y arriver, il faut des hommes et des femmes qui soient prêts à mourir pour le Mali ! En avons-nous encore ?

Abbé Benoit DEMBELE

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