La légitimation de la violence a fait le lit de l’impunité qui est un facteur aggravant du phénomène de l’engrenage de la violence. Comme les scolaires ont occupé la rue, ont cassé et ont brûlé sans être inquiétés, des porteurs d’uniforme ont saccagé des commissariats de police sans être inquiétés, d’autres groupes et de simples citoyens, pour des motifs divers, se sont eux aussi mêlés à la danse: sympathisants de partis politiques, membres de sectes religieuses, contrebandiers, bouchers, militaires, chauffeurs, victimes de démolitions de quartiers spontanés. Le processus de légitimation de la violence a été renforcé par l’attitude de la classe politique propulsée au-devant de la scène après le 26 mars 1991.
Le parcours démocratique de la troisième République a été marqué par le recours inconsidéré à la violence pour des fins politiques ou corporatistes. Selon les cas, la violence a servi comme méthode d’expression pour extérioriser des frustrations plus ou moins réelles, ou comme arme de combat pour faire aboutir des revendications plus ou moins légitimes.
La violence est comme un boulet que des autorités traînent aux pieds depuis l’avènement de la démocratie. Elles ont déployé un trésor de moyens et d’imagination pour la contenir, mais leurs tentatives n’ont eu que des résultats mitigés. Il serait fastidieux de dresser ici un catalogue complet des actes de violence perpétrés au Mali depuis les changements politiques intervenus, en mars 1991. Voici une liste de rappel de ces dernières années de violence:
- 30 janvier 1992: le contrôleur de douane Diogo est battu à mort et son corps brûlé dans une atmosphère de liesse populaire par une foule de manifestants à Yanfolila.
- Juin-novembre 1992: les clients de la tontine ABC, mécontents de l’arrêt des paiements commettent plusieurs actes de violence dans la ville de Bamako: encombrement de la voie publique avec des pneus enflammés, saccage du siège de la tontine, actes de vandalisme dans les bâtiments du tribunal de Bamako et du ministère de la Justice.
- Février- avril 1993: la crise scolaire connaît des développements graves et atteint son point culminant avec la démission du premier gouvernement, le 9 avril 1993. Les 15 et 16 février, les étudiants de l’Institut Polytechnique rural (IPR) de Katibougou saccagent la direction de leur école et la résidence du gouverneur de la région, incendient les archives du gouvernorat et de la Direction régionale du plan et de la statistique, endommageant de nombreux véhicules appartenant à des fonctionnaires.
- Octobre 1993: finale de la coupe du Mali opposant l’Union sportive des Forces armées et de sécurité (USFAS) au Djoliba AC. Il s’agit moins d’un acte de violence que d’un acte d’indiscipline notoire et de bravade envers les Institutions de la République. Les joueurs de l’USFAS abandonnent le jeu et refusent catégoriquement de reprendre la partie.
- Avril 1997- juin 1998: le pays renoue avec la violence après les élections législatives ratées du 13 avril 1997, annulées deux (02) semaines plus tard par un arrêt de la Cour constitutionnelle. La contestation est menée par un groupe de partis constitués en Collectif des partis politiques de l’opposition (COPPO). Après une marche non autorisée dispersée par les forces de l’ordre, le 16 avril 1997, le COPPO convoque un grand meeting pour étaler ses griefs sur l’organisation des élections et poser des exigences pour le moins maximalistes dissolution de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), gel du processus électoral, démission du gouvernement. Le pays rentre dans une crise politique sans précédent avec son cortège d’actes de violence dont voici quelques rappels: l’agent de police Moussa Diarra est battu à mort, le 9 août 1997 par une foule d’excités.
- 2 août 1998: le juge de Dioïla Oumar Bah est sauvagement abattu dans l’enceinte de son domicile par un commando de fanatiques de la secte des «pieds nus». C’est la mort en détention de leur coreligionnaire, le vieux Sidiki Diallo, qui a poussé les membres de la secte à perpétrer cet acte de justice sommaire sur la personne d’un juge.
- 23 février 2003: la descente musclée d’un groupe de soldats du bataillon des parachutistes sur le commissariat de police du septième arrondissement de Bamako se solde par le passage à tabac d’une dizaine de policiers n grièvement blessés, des saccages sur le bâtiment et le mobilier, et le vol d’une somme d’argent gardée sur place.
- 13 juin 2003: trois mois après la descente des parachutistes, le commissariat du 7ème arrondissement de Bamako reçoit, dans la nuit du 12 au 13 juin, la visite d’un autre commando dirigé par un officier de l’armée de l’air. Les policiers se sauvent et laissent le champ libre aux militaires qui saccagent tout sur leur passage.
- 25 août 2003: la chasse à l’homme organisée par les partisans du chef de village de Yéréré contre les coreligionnaires de Mamady Niakaté se solde par un bilan effroyable: dix (10) morts et dix (10) blessés. Ces affrontements sont la suite d’une longue bataille entre les deux (02) camps à propos de la construction d’une nouvelle mosquée dans ce village situé près de Nioro.
- 13 avril 2004: le domicile privé du député de Kita, Baba Oumar Boré de l’Union pour la République et la démocratie (URD), est mis à sac et brûlé par des manifestants. La veille, la radio Kayira a diffusé sur ses antennes une cassette enregistrée, en 1997 et contenant des propos tenus par le député alors qu’il était militant de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA-PASJ).
Craignant que la rediffusion de ses propos ne sème la confusion dans l’esprit des militants de son nouveau parti lors des prochaines élections communales, le député se rend au siège de la radio pour exiger le retrait de la cassette. Devant le refus ferme des responsables de la radio, il contacte le procureur de la République de Kita qui fait saisir la cassette par les agents de police.
- 27 mars 2008: la défaite de l’équipe nationale de football du Mali par celle du Togo dans un match de qualification à la phase finale de la coupe du monde et de la coupe d’Afrique sert de prétexte à une foule de mécontents et de vandales qui se livrent à des casses et des pillages à Bamako pendant la nuit.
Brin COULIBALY
Source : Inter de Bamako