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En Guinée, l’incertitude règne après le renversement d’Alpha Condé

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Des membres des Forces armées guinéennes traversent le quartier central de Kaloum à Conakry, le 5 septembre 2021, après que des coups de feu aient été entendus.
Des membres des Forces armées guinéennes traversent le quartier central de Kaloum à Conakry, le 5 septembre 2021, après que des coups de feu aient été entendus.

Le président est détenu depuis dimanche par des officiers des forces spéciales. Les putschistes, conduits par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, ont instauré un couvre-feu et la fermeture des frontières.

Les militaires putschistes n’avaient oublié aucun des ustensiles ni clichés, sortis en pareille circonstance pour leur première apparition sur les ondes guinéennes : bérets rouges vissés sur la tête, treillis camouflés fermement sanglés, cagoules et lunettes noires. Voilà pour la panoplie. L’essentiel était ailleurs, dramatique, avec l’annonce de la mise sous tutelle des institutions républicaines par un mystérieux Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) aux contours imprécis. Le discours aux accents populistes justifiait le coup de force par la sauvegarde nécessaire de la patrie mise en danger, selon eux, par l’excès de pouvoir d’Alpha Condé. Celui-ci, président mal réélu en octobre 2020 pour un troisième mandat après s’être taillé une nouvelle constitution à sa mesure, serait détenu par les acteurs de ce putsch conduit par de jeunes officiers des forces spéciales, habituellement chargés de la lutte antiterroriste.

Vingt-quatre heures après l’apparition soudaine et brutale de ces militaires factieux, le déroulé des événements comporte toujours ses zones d’ombre. Les habitants du centre de Conakry racontent avoir été réveillés, dimanche au petit matin, par le « tac-a-tac » d’armes automatiques crépitant aux abords de la présidence de la république guinéenne située sur la presqu’île de Kaloum, quartier d’affaires de la capitale et centre administratif de l’Etat. Ces échanges de « tirs nourris », selon des témoins, opposaient vraisemblablement les éléments de la garde présidentielle aux hommes du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya. Celui qui a émergé à la télévision guinéenne comme le leader du groupe.

Il semblerait que les hommes de ce colosse − un ancien de la Légion étrangère française − aient assez rapidement pris le dessus. Pour ce que l’on en sait, aucune victime n’est à déplorer. A l’exception d’Alpha Condé, tombé, au sens figuré, sur le champ de bataille politique. Le président du Parlement, Amadou Damaro Camara, deuxième personnage de l’Etat, généralement décrit comme un dur au sein du régime d’Alpha Condé, aurait également été arrêté. Le sort du ministre de la défense, Mohamed Diané, autre poids lourd du pouvoir, demeurait quant à lui incertain.

« Les gens ont peur, ils se demandent quelle sera la suite et préfèrent rester en sécurité chez eux plutôt que de se frotter aux militaires »

Le vieux président, âgé de 83 ans, est apparu sur une vidéo diffusée par les putschistes, la mine défaite, vêtu d’un jean et d’une chemise froissée, assis dans un canapé. Sous la surveillance des militaires, il affichait ce regard noir et buté familier chez cet ancien opposant devenu en 2010 le premier président démocratiquement élu depuis l’indépendance (en 1958) de cette ancienne colonie française.

Des images le montrent ensuite circulant pour une destination inconnue – certains évoquent la caserne des forces spéciales située près du Palais du peuple à Conakry − visiblement prisonnier à l’arrière d’un véhicule blindé suivi par quelques poignées de Guinéens en liesse. Sauf quelques explosions de joie dans les quartiers rétifs de cette capitale plutôt favorable à l’opposition, le calme régnait dans la ville. « Les gens ont peur, ils se demandent quelle sera la suite et préfèrent rester en sécurité chez eux plutôt que de se frotter aux militaires », témoigne une habitante jointe au téléphone.

Au journal télévisé du soir, les putschistes ont annoncé l’instauration d’un couvre-feu « à partir de 20 heures sur toute l’étendue du territoire national », la fermeture des frontières terrestres et aériennes « pour une semaine au moins », le remplacement des membres du gouvernement par les secrétaires généraux de chaque ministère, celui des préfets, sous-préfets, et gouverneurs de région par des militaires. Ils ont aussi appelé « les fonctionnaires à reprendre le travail dès ce lundi » et convoqué les ministres sortants et les présidents des institutions à une réunion, lundi, sous peine d’être considérés comme en « rébellion contre le CNRD ».

La promesse d’une nouvelle constitution

Dans son allocution télévisée, en partie improvisée, le lieutenant-colonel a expliqué que « la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique ont amené l’armée guinéenne, à travers le CNRD à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple souverain de Guinée dans sa totalité ». Il a ainsi promis de « réécrire une constitution ensemble cette fois-ci [et de] mener une consultation inclusive pour décider de l’avenir de ce pays ». « La personnalisation de la vie politique est terminée, nous n’allons plus confier la politique à un homme (…) Il y a eu beaucoup de morts pour rien, beaucoup de blessés pour rien, beaucoup de larmes alors qu’on aime tous la Guinée », a-t-il ajouté.

Ces quelques phrases concentrent les principaux griefs adressés au président Alpha Condé depuis que celui-ci a mis en branle, en 2019, le rouleau compresseur déblayant la voie vers un troisième mandat, interdit par la loi. Ce « coup d’Etat constitutionnel », tel que dénoncé par l’opposition et la société civile rassemblée au sein du Front national de défense de la constitution (FNDC), a jeté, au fil des mois, des centaines de milliers de Guinéens mécontents dans les rues. Plusieurs dizaines d’entre eux ont été tués par les forces de sécurité, des centaines d’autres arrêtés arbitrairement, lors de la répression de cette contestation d’une ampleur jusqu’alors inédite.

« Corruption dantesque »

Ce mouvement s’est nourri des tensions politiques extrêmes. L’opposition a disparu du Parlement après avoir boycotté les législatives de 2020. Parallèlement, la présidence concentrait l’essentiel des pouvoirs entre ses mains. Il s’inscrit aussi dans un paysage « de forte agitation du front social », observe Paul Amegakpo, directeur de l’antenne guinéenne du National democratic institute (NDI) américain. Ces dernières semaines, l’augmentation du prix des carburants et l’annonce d’une nouvelle retenue sur le traitement des fonctionnaires menaçaient en effet de ranimer la flamme de la contestation alors que le pays s’enfonce dans une crise économique aggravée par la mauvaise gouvernance et « une corruption dantesque », décrit un investisseur français.

Rien ne permet de dire aujourd’hui que le nouveau pouvoir pourra redresser la situation. Quelques heures après le coup de force, la société civile et les partis d’opposition, satisfaits de voir partir un président honni, se gardaient de tout excès d’optimisme. « Je ne suis pas surpris qu’un coup d’Etat militaire succède au coup d’Etat constitutionnel », explique Abdourahmane Sano, coordinateur national du FNDC. « Nous prenons acte des déclarations du CNRD promettant une transition inclusive et apaisée mais nous attendons des précisions sur les modalités », ajoute-t-il. De leurs côtés, l’ONU et l’Union africaine ont condamné ce coup de force et appelé à la libération du président Condé.

Chacun en Guinée a encore en mémoire l’expérience douloureuse et sanguinaire d’une précédente junte dirigée brièvement (décembre 2008-décembre 2009) par le fantasque et non moins dangereux capitaine Dadis Camara. Lui aussi avait promis le meilleur, pour finalement sombrer dans le pire.

Source: https://www.lemonde.fr/

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