La refondation du citoyen malien d’abord a permis de dégager le lien intrinsèque entre les institutions et les personnes. C’est pourquoi pour parvenir à un Etat refondé et solide, il faudra que les citoyens acceptent de se remettre en cause, gage pour une vraie indépendance. L’indépendance des pays d’Afrique et surtout du Mali semble être une indépendance de façade, d’où la nécessité de poser le diagnostic en vue d’une vraie Indépendance.
Les années 60 furent les années d’effervescence pour beaucoup de pays africains, car les ayant vu accéder à l’indépendance, à la souveraineté nationale. Parmi ceux-ci figure notre Maliba. Cette année, et plus exactement le 22 septembre, le Mali célèbre son 61ème anniversaire d’accession à l’indépendance. Par leur accession à l’indépendance, les différents pays voulaient se soustraire du joug du colonisateur et prendre leur destin en mains à travers la mise en place des structures et leur gestion revenait aux peu d’intellectuels qu’il y’avait. Soixante et un ans après le célèbre discours de feu Modibo KEITA, ne faut-il pas faire le bilan ? Peut-être que c’est déjà tard, car « Ce rendez-vous avec l’histoire, le Mali et nos dix-sept pays francophones l’ont de nouveau manqué en 2010 lors de la célébration du cinquantenaire de nos indépendances » (Traoré et Diop 2014 : 20). L’évolution actuelle du Mali ne dit pas le contraire. Cependant, on peut espérer le meilleur. Cela n’adviendra dans la mesure où nous prendrons conscience que l’indépendance n’est pas un mot mais un mode d’être et de faire, de la volonté d’accéder à la vraie Indépendance. Pour les régulateurs, parler de l’indépendance fait appel « à la bonne gouvernance, aux réformes et aux bonnes pratiques ».
Forts de tout cela, peut-on parler d’indépendance pour un pays qui n’est pas libre de choisir son président ? Ou bien qui doit accepter certaines conditions pour bénéficier des aides ? Le refus de certains partenaires, qu’un pays souverain comme le Mali ait une possible discussion avec les groupes djihadistes comme le recommande le DNI, est un exemple éloquent. Dans ces conditions, il serait mieux de trouver un autre mot que celui d’état souverain, indépendant. Il est plus que nécessaire de revoir la façon dont nous concevons et vivons l’indépendance de notre pays. Il est illusoire de penser qu’on nait indépendant. On ne nait pas indépendant mais on peut le devenir. De fait, l’indépendance est un processus dans lequel un pays se lance. Et pour y arriver, il faudra l’effort conjugué des fils et filles, sans exception, du pays. Sans cela, la colonisation se poursuivra sous d’autres formes, telles que le terrorisme, le pillage des ressources minières, etc. que nous connaissons aujourd’hui et que certains osent la décrier.
Aujourd’hui, les regards sont toujours tournés vers l’ex puissance coloniale pour son ingérence dans la vie politique, économique et sécuritaire du pays. Il est peut être facile de l’accuser ainsi que les autres puissances. Cependant, il serait mieux de se poser certaines questions. L’indépendance ? Oui ! Mais indépendant de qui ? Et indépendant pour quoi ? On ne peut pas ignorer les influences directes ou indirectes des décisions des pays ou autres organisations internationales sur la vie du pays, dans la mesure où l’indépendance ne veut pas dire absence de relations avec les autres. Mais force est de reconnaitre que la plupart du temps le pays est esclave des caprices de ses fils. En d’autres termes, ils n’ont ni l’amour du pays ni de leurs frères. Chacun ne pense qu’à sa petite case. Et pour cela, on est prêt à détruire la maison commune, le bien commun qu’est le Maliba. On est même prêt à nous ériger en nouveaux maitres pour faire des autres des esclaves. Aucune grande nation ne s’est construite dans l’individualisme. Les grandes puissances ont dû laisser leur égo personnel de côté pour construire leur pays. Les citoyens de ces pays, même s’ils ont des divergences, en face d’une menace contre l’intérêt national, unissent leur force pour sauvegarder leur bien commun qu’est leur nation. Certains animaux nous enseignent bien que l’union fait la force. Nos anciens disaient ceci « bolokoni kelen te bèlè ta » (un seul doigt ne ramasse pas les cailloux) ; et « il est facile de casser une tige de balai, mais difficile de casser toutes les tiges réunies ». On ne peut comprendre la devise de notre pays que dans ce sens. Notre Indépendance passe par l’appropriation de cette devise qui est « Un Peuple – Un But – Une Foi ». Et c’est ensemble que le Mali se construira.
Un haut cadre du pays disait que le problème du Mali est que les maliens ne sont pas unis. Ne dit-on pas que l’union fait la force ? Quand les citoyens d’un pays sont unis, ils se font respecter par n’importe quelle autre nation. En ce moment, aucun accord ne peut être signé sans l’aval et le soutien de tous. De fait, si nous gagnons, nous gagnons ensemble. Si nous perdons, c’est ensemble que nous perdons. Ainsi, pour passer de l’indépendance à l’Indépendance, il serait mieux d’envisager l’indépendance sur un autre angle. Le Mali arrivera à l’Indépendance, si les maliens se libèrent de certains démons qui ne cessent de hanter le pays chaque jour. Nous nous limiterons seulement à trois que nous pensons très importants.
Il nous faut nous libérer de notre super ego politique. La libération de soi de son super ego politique est un chemin d’or pour arriver à l’Indépendance nationale. Le super ego nous inhibe et est formé par l’école, la famille, le clan, la religion, etc. Pour se libérer du super ego, il faut que la culture soit développée, car là où la culture est moins développée, le super ego est intense et les prédateurs ne feront que nous aider à le développer pour nous diviser davantage. Un des champs de la manifestation du super ego politique est le champ politique, associatif et aussi religieux. D’aucuns diraient que le multipartisme est signe de la démocratie, mais le nôtre est signe de notre désir de se montrer, de supplanter les autres. Quand nous sommes animés par « c’est moi », on ne pourra pas parvenir à l’unité, à être solidaires, car, il n’y a pas d’espace pour les autres.
La seconde libération sera de rompre avec la condition d’équanimité. Cette rupture concerne les intellectuels comme le suggère BAUMAN. Notre vision de l’intellectuel s’inscrit dans la même ligne de pensée que Socrate, Emmanuel Mounier, Antonio Gramsci, etc. Pour ces penseurs, il ne suffit pas d’avoir de grands diplômes ou d’être un grand chercheur pour se présenter comme intellectuel. L’intellectuel a un rôle social et si celui-ci vient à lui manquer, il ne sert plus à rien. La fonction sociale de l’intellectuel, en termes institutionnels, serait d’aider chaque membre de la société à accroître sa confiance en l’institution, à prendre conscience de ses limites comme de ses mérites, et à s’engager à faire en sorte que l’institution se développe conformément à son propre modèle d’ordre et de justice. Il est clair qu’un intellectuel, est celui qui est capable de s’immerger dans la vie de ses concitoyens. Il est comme un prophète pour son peuple. Il lui fournit des instruments interprétatifs adaptés pour comprendre et mieux vivre les institutions. C’est pourquoi, en face de la transformation de la société et surtout de l’anéantissement du pays, il n’est plus possible de rester dans son coin et ne pas prendre position. La tranquillité doit se transformer en action pour la survie de la nation. Et c’est à ce prix que les fils du pays peuvent prendre conscience de certaines réalités et unir leurs forces afin de bâtir une nation forte et solide. Certains ont osé même s’ils en ont payé de leur vie. D’autres aussi ont emprunté leurs pas même s’ils sont souvent étouffés par l’élite politique et les soit disant intellectuels. Mieux vaut parler à temps pour ne pas le regretter après. Dans un pays où les citoyens n’arrivent pas à dépasser les différents clivages, où les universités ne déversent dans la rue que des jeunes sans horizon, le pays restera toujours dans la dynamique d’un perpétuel recommencement. Or, rien ne se construit dans un recommencement perpétuel.
Enfin, la relation entre l’Etat et la religion a besoin d’être purifié surtout pour ce qui concerne le principe de la neutralité politique ecclésiastique selon Audi. La prise de conscience de ce principe permettra aux leaders religieux de ne pas transformer les associations religieuses en des associations de soutien à un candidat aux élections, et de surcroit d’exiger le départ de certains membres du gouvernement et d’en imposer d’autres. Il en sera de même aussi pour l’Etat de ne pas se servir de la religion comme des sapeurs-pompiers. Il leur faut une certaine corrélation, car ils ont besoin l’un de l’autre (Habermas et Ratzinger 2010:83). Ils sont comme les deux pôles que quand il existe un certain équilibre les citoyens pourraient vivre paisiblement.
En nous libérant de ces démons, internes, nous pourrions réaliser la devise de notre pays que les Pères de l’indépendance nous ont donnée.
Abbé Benoît Dembélé