Presse et harcèlement sexuel : Entre Omerta et exclusion

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La presse qui aborde tous les sujets est très silencieuse sur le drame des femmes qui travaillent en son sein. Pourtant, beaucoup de femmes journalistes sont victimes de harcèlement ou souvent empêchées de faire une bonne carrière. Voyage dans un monde où règne le silence !

Au Mali, le nombre de journalistes change chaque jour du fait de l’éclosion des journaux, radios, télévisions en longueur de journée. Tout cela dans l’objectif d’informer, sensibiliser, éduquer, créer des cadres d’échanges pour donner la parole aux populations. Toutes choses qui relèvent effectivement de la mission du journaliste. Pourtant, nombreuses sont les femmes dans la presse qui font face au quotidien à un problème, un phénomène, une pratique sur laquelle il y a un silence radio. Personne n’en parle publiquement. Le harcèlement sexuel.

Le harcèlement ! Aucune couche sociale et professionnelle n’y échappe en réalité. Même si les femmes en sont les principales victimes, les hommes ne sont pas non plus épargnés par le fléau. Il s’agit d’un acte répété par lequel l’auteur tient des propos ou pose des actes dans le but de nuire à sa victime physiquement, moralement ou sexuellement. Le harcèlement sexuel peut prendre des formes variées comme des sifflements, des interpellations, des commentaires sexistes, insultes, des attouchements, des gestes ou des affiches ayant une implication sexuelle… Il ne serait pas sérieux de dire que la presse malienne y échappe, constate Bolly Moussa, directeur de publication du journal « Le Matin ».

Nombreuses sont ces femmes victimes de harcèlement mais incapables d’en parler non pas par plaisir mais par contrainte. Ce qui fait d’ailleurs que celles qui osent s’exprimer requièrent l’anonymat.

« A la télé ou je travaille, j’étais rédactrice en chef et présentatrice de la grande édition avant que l’on change de directeur. Lorsque le nouveau a pris service, celui-ci a commencé à me faire des avances et naturellement j’ai refusé. Il m’appelait tardivement pour me dire qu’il a de l’argent, qu’il peut augmenter mon salaire. Malgré tout ça, j’ai refusé. Il a commencé à assigner les tâches à d’autres de mes collègues. Je ne présentais plus le journal, en pleine conférence de rédaction, il me criait dessus ou me mettait dehors carrément. Comme si cela ne suffisait pas, il bloquait mon salaire, il me payait ¼ de mon salaire et me disait clairement que si je veux le reste, il faudrait que j’accepte de faire ce que lui il veut. Il en est arrivé carrément à ne plus donner un franc de mon salaire. Non seulement j’étais livrée à moi-même car on ne me donnait plus de tâche, pas de reportage, pas de réunion de rédaction, pas de présentation. Je ne pouvais et voulais pas en parler pour la simple raison que les gens me disent c’est moi la fautive. Tout le monde incrimine les filles ou les femmes alors que non. Les histoires similaires dont j’entendais parler, on dit juste que c’est toujours la femme qui provoque, soit avec l’habillement ou je ne sais quoi d’autre. Un jour j’ai donc pris mon courage en mains pour lui dire que s’il n’arrête pas, j’allais en parler avec le promoteur. Ça devenait insupportable pour moi. Entre temps, on a eu un nouveau directeur et les choses sont rentrées de nouveau dans l’ordre», tel est le calvaire vécu par madame M.

« Quand j’étais en stage, il était chargé de partager les reportages. Je ne savais pas que souvent il faut aller le saluer et causer avec lui pour bénéficier de sa bonne grâce. Un jour il m’a fait la remarque que je ne devais pas le saluer alors j’ai commencé à aller le saluer. Au début, il était courtois, mais au final il me disait « fais moi un câlin » et cette phrase me faisait braquer.

Je m’arrêtais au pas de sa porte pour le saluer afin d’éviter le contact. Pourtant nombreuses d’entre nous passaient plus de temps dans son bureau que dans la rédaction. Je ne voulais pas faire partie de ces filles qui bénéficient des promotions canapés pour faire carrière. Un jour, alors que je m’étais arrêtée à la porte pour le saluer, il me dit après les salutations : “s’il te plaît vient prendre ce journal par terre et me le remettre, je suis très occupé. Stupide que je suis, j’ai dit ok. Pendant que je me baissais pour prendre le journal pour lui, il me prend direct dans ses bras malgré mes protestations. J’ai voulu fuir hors du bureau, il a fait dos à la porte, ce qui fait que j’étais bloquée. Il a baladé ses mains sur mon corps en me disant ouais tu as des perles autour de la taille et d’autres remarques du genre. Heureusement pour moi, quelqu’un a frappé à la porte, je suis sortie. Je me suis sentie sale », témoigne une autre journaliste.

Pourquoi le silence ?

Selon Kadi Sanogo, journaliste, « beaucoup gardent le silence pour se préserver du jugement du monde extérieur, par crainte d’être mal jugée, de perdre leur travail, des confrontations, de passer pour “une salope”. Briser le silence a un lourd prix dans notre société. Et dans notre profession, le phénomène est courant et banalisé voire normalisé par beaucoup de personnes ».

Alors briser le silence revient à être stigmatisée, poursuit notre interlocutrice. « Si vous perdez votre travail, il vous sera difficile de trouver un autre travail où de tomber sur un patron qui voudra à son tour tirer avantage de votre fragilité ou sur quelqu’un qui sera méfiant à votre égard car vous portez l’étiquette d’une personne à problème. Lorsque vous brisez le silence, vous êtes jeté en pâture, mal jugée tant par les femmes que les hommes du milieu ».

Pour elle, certains vous trouveront bête de ne pas tirer avantage de la situation. Il n’existe aucune disposition vous permettant de porter plainte et de préserver votre anonymat.

« Les victimes sont toujours vues comme des coupables. Quand tu es violée, les gens disent que c’est ta façon de t’habiller qui est à la base. Leur thèse est qu’un homme ne peut jamais harceler ou violer une femme raison pour laquelle on préfère se murer dans un silence d’église », témoigne une victime.

Si briser le silence a un prix, le garder peut s’avérer dévastateur pour les victimes. Les conséquences du silence sont énormes. Le psychologue Daouda Guindo dit que la victime de harcèlement peut se retrouver dans un état de psychose parce qu’en cas de situation de harcèlement il y a le stress qui est là. Donc si le sujet c’est-à-dire la victime n’arrive pas à gérer ce temps de stress, c’est ce qui pousse à l’installation de la psychose. C’est le premier niveau après un cas de harcèlement. Car une fois ce premier stade dépassé, le harcèlement la victime peut en arriver au suicide si il ou elle ne parvient plus à gérer la situation. Le choix reste difficile pour les victimes femmes comme hommes.

Que dit la loi ou les textes ?

Au Mali, il y a certes une loi qui régit la presse, mais est-ce que les textes ont réservé des sanctions à certaines pratiques dans le milieu du travail précisément celui des médias ? Selon Moussa Bocoum, juriste, « dans le code pénal malien, il n’y a pas de disposition consacrée au harcèlement. En vertu du principe de la légalité, étant donné que nous sommes en matière pénale, tout ce qui n’est pas prévu par la loi ne peut être puni. Ça a été dit par la charte fondamentale qui est la constitution. Cela veut dire quoi ? : Même si en pratique nous avons des comportements de harcèlement, le procureur ne pourra pas poursuivre ».

Le code pénal malien semble n’avoir pas pris ces facteurs en compte mais étant donné que le Mali est signataire d’un certain nombre de textes internationaux ou d’instruments comme la convention de l’OIT (l’Organisation internationale de travail), certaines dispositions réprimandent le harcèlement en milieu professionnel à ce niveau-là.

Le harcèlement dans le milieu professionnel peut constituer une infraction en vertu du principe de la convention. Les conventions généralement ratifiées en République du Mali ont une valeur supérieure aux lois nationales, aux textes nationaux. Implicitement, il y a cette législation en République du Mali en vertu des traités. Mais pour ce qui est de la matière pénale, il n’y a pas d’infraction en matière de harcèlement. Le code n’en a pas fait cas. Le code n’a pas défini et le code n’a même pas décliné les sanctions où les conditions de ce type d’infraction, affirme Moussa Bocoum, juriste.

Des directeurs de publications se prononcent …

« Durant ma modeste carrière, j’ai souvent entendu des consœurs se plaindre de l’attitude de tel journaliste ou de tel «Chef» qui leur rend la vie impossible parce qu’elles ont refusé ses avances. Ce qui est sans doute un frein à leur épanouissement professionnel d’autant plus qu’elles sont privées des meilleures opportunités à cause de ce refus. Des opportunités et de meilleurs traitements par complaisance pour lesquels certaines consœurs sont aussi prêtes à tout pour entrer dans les « Grâces » de leurs supérieurs hiérarchiques. Face à une telle situation, il revient à ce supérieur de ne pas céder à la tentation d’une liaison aussi dangereuse pour la fille que pour le patron », raconte Moussa Bolly, directeur de publication Le Matin.

« Nous avons eu à faire face à de pareilles situations, de part surtout de certaines stagiaires. Sans les vexer ou les frustrer, nous les avons remis à leurs places en leur faisant comprendre qu’il n’est pas bon de mélanger boulot et relation sentimentale si elles veulent réellement apprendre et devenir un jour de grandes professionnelles respectées ! ».

Si le problème se pose entre journalistes, ce n’est pas facile tant qu’il n’y a pas de plaintes au niveau de la hiérarchie, du rédacteur en chef ou du directeur de publication. A condition qu’ils ne donnent pas le mauvais exemple eux-mêmes. De toutes les manières, il faut faire preuve de responsabilité pour éviter de céder à la tentation ! Et quand on a des preuves, il ne faut pas hésiter à sévir ! Ne serait que pour l’ambiance et surtout l’image de la rédaction ! », explique Moussa Bollyjournaliste Freelance et directeur de publication au journal Le Matin.

« En tant que simple reporter, avant d’être directeur de publication, j’ai eu beaucoup d’avances et à l’interne et sur le terrain. Après avoir créé mon propre journal, j’étais obligée d’aller chercher les publicités, les insertions. Souvent les appels c’est pour garder les familiarités mais c’est très souvent mal interprété. Je peux dire je me suis auto censurée, en me fixant certaines règles de vie en milieu professionnel et également des principes », confie une directrice de publication.

Pour sa part, Chahana Takiou, directeur de publication et président du Groupement patronal de la presse précise qu’il n’a jamais été saisi pour ce genre de problème est que présentement, aucune femme ne travaille au sein de sa rédaction. La dernière à travailler chez lui c’est Ramata Diaouré et elle était l’unique femme. « Sans nul doute que c’est un phénomène qui existe. Aujourd’hui avec la dépravation des mœurs, la légèreté de certaines filles, je ne crois pas beaucoup au harcèlement au sein de la presse parce qu’il est facile d’aller plus loin avec le consentement de la personne que de procéder par harcèlement. Les filles sont majeures et savent bien ce qu’elles font. Nombreuses sont celles qui provoquent, qui harcèlent aujourd’hui. Le harcèlement est un concept européen qu’on tente de transposer chez nous. Sinon, nos blagues, nos cousinages, nous amusements entre camarades de promotion, de quartiers, pourraient être assimilés à un harcèlement en Europe. Ce qui ne l’est pas chez nous. Cela dit, je n’ai jamais enregistré de plainte à ce niveau.

« Vous savez que notre culture ne nous prédispose pas à dénoncer ce genre de pratiques. On pourrait en trouver avec des enquêtes professionnelles, mais il n’y a jamais eu de plaintes ou de dénonciations, encore une fois », poursuit Chahana Takiou, directeur de publication et président du groupement patronal de la presse.

En Afrique, les relations sociales ont toujours empêché la justice de faire son travail. Il faut appliquer les lois existantes pour faire peur aux criminels qui s’adonnent et mettre en danger la vie des femmes. Il faut encourager les victimes à parler tout en les assurant de la sécurité, ajoute le sociologue El Khalil Mohamed.

Aminata Agaly Yattara

Cet article a été publié avec le soutien de JDH Journalistes pour les Droits Humains et NED

Source : Mali Tribune

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