BARKHANE DÉMÉNAGE DU MALI AU NIGER : CE QU’ON RETIENDRA… (OPINION)

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Des soldats français de Barkhane quittant leur base à Gao après une mission de quatre mois. 9 juin 2021 © AP Jerome Delay
Des soldats français de Barkhane quittant leur base à Gao après une mission de quatre mois. 9 juin 2021 © AP Jerome Delay

A trop tirer sur la corde, elle casse. La France vient de le vérifier au Mali, au-delà des implications du putsch militaire. En tiendra-t-elle compte, ailleurs en Afrique ?

Huitième pays le plus vaste en Afrique, le Mali compense ses plus de 60% de terres désertiques du Nord, par la grande fertilité du Sud qui fait de l’agriculture l’un des supports essentiels de ses exportations et de son économie.

Une économie qui ne s’est jamais redressée, en 63 ans d’indépendance, car même si les chiffres officiels parlent de 3 et de 5% de croissance entre 2015 et 2018, cette République de l’Ouest africain demeure l’une des plus pauvres du continent et du monde.

– Atouts et convoitises

Pourtant, le Mali est doté d’atouts que beaucoup d’autres pays lui envieraient. Avec environ 63% de la population âgée de moins de 30 ans et des ressources minières des plus variées (or, bauxite, uranium, lithium, manganèse, calcaire, sel, fer, cuivre et nickel), il aurait pu aspirer à une situation autre que la précarité et le sous-développement dont il n’arrive pas à s’extirper.

Certes, le problème des Touaregs au Nord et l’absence d’accès à la mer ont toujours constitué un important handicap, mais ce sont, surtout, l’instabilité politique et la mauvaise gouvernance, avec ce que cela suppose comme gestion défaillante des affaires de l’État, corruption, désorganisation des institutions… qui ont constitué les plaies majeures du pays.

Les soulèvements, “spontanés” ou provoqués, ainsi que les renversements et les putschs militaires n’en sont que les conséquences.

Ce chaos, dans lequel beaucoup de Maliens voient souvent la main de l’Hexagone, l’ancien colonisateur, qu’ils accusent d’imposer une autre mainmise sur les richesses du pays, s’est trouvé aggravé par l’apparition, cette dernière décennie, des groupes terroristes d’Al Qaïda et de Daech (Etat islamique), disséminés dans le Sahel et dans une partie de l’Afrique du Nord, mais dont le centre est en Irak et en Syrie.

Et comme il est de notoriété publique que ces organisations terroristes sont des “créations” de l’Occident et de ses alliés, servant à déstabiliser des régions où leurs intérêts sont menacés et à justifier un interventionnisme “mercantile”, l’approbation des Maliens, au début de l’opération “Barkhane” qui a succédé à “Serval”, destinée à stopper l’avancée terroriste dans le pays et dans le Sahel, en plus général, a vite fait de tomber et des voix ont tôt dénoncé des desseins intéressés inavoués.

En effet et alors que Paris louait, en 2013, le succès (!?) de son opération “Serval”, l’ancienne ministre malienne de la Culture, Aminata Dramane Traoré, ainsi que l’écrivain et homme politique sénégalais Boubacar Boris Diop parlaient déjà de “gloire d’imposteurs”, dénonçant l’artifice d’une lutte contre le terrorisme qui cachait mal un “soft-nouvel impérialisme”.

C’est dire que “Barkhane”, dès le départ, ne faisait pas l’unanimité et que le doute était installé, nourri par le maintien de l’erroné franc CFA, qui fait de la Banque Centrale française le dépositaire et le vrai décideur des finances de 14 pays africains, dont le Mali, par le peu d’égards parfois manifesté par les responsables français vis à vis de leurs homologues africains et, surtout, par l’absence quasi-totale de grands projets de coopération gagnant-gagnant et de développement réel du pays.

Les décideurs français n’ont, effectivement, communiqué et agi que sur le plan sécuritaire. Or, les populations et les sociétés civiles n’aiment pas que des armées étrangères s’éternisent sur leur sol, d’autant plus lorsque cela suscite des réminiscences liées à un passé de colonisation.

A plus forte raison, lorsque ces armées prennent des libertés, comme si elles étaient en terre conquise. Cela transforme le doute, la gêne, la suspicion, puis la désapprobation, en franche hostilité.

– Rupture prévisible

Hervé Briand, analyste et spécialiste français de la région explique bien cet état de fait : “L’erreur des Français est de ne pas avoir, dès 2020, transformé structurellement “Barkhane” en une troisième opération, plus discrète et axée exclusivement sur un appui stratégique, technique, logistique et de renseignement militaire, au service des forces armées maliennes”, écrit-il.

Aussi les Colonels qui ont pris le pouvoir au Mali, n’ont-ils pas trouvé d’opposition parmi la population, lorsqu’ils ont invité, vendredi dernier, par la voix de leur porte-parole, Abdoulaye Maïga, les forces françaises de “Barkhane” et européennes de “Takuba” à quitter, “sans délai”, leur territoire.

Loin de là. Il faut admettre. Il faut dire, ici, qu’il avaient tout fait pour en arriver là et ils n’attendaient que le prétexte pour prendre cette mesure.

Emmanuel Macron, en annonçant, sa décision de retirer, sur quatre à six mois, son armée du Mali, le leur a donné.

Le Président français a évoqué de multiples obstructions des autorités maliennes (autorisations préalables de vols, programmes de mouvements…) pour expliquer le démantèlement des bases de Gao, Ménalka et Gossi et le rappel des 2400 hommes présents au Mali.

Mais la vraie raison et l’origine de ce branle-bas, somme toute prévisible, se trouvent dans la condamnation par Paris de la prise du pouvoir par les militaires et dans ce que ces derniers appellent “instrumentalisation des pays et organisations africaines”, dont la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) qui a décrété, le 9 janvier dernier, de graves sanctions contre Bamako.

– Quel avenir pour “Barkhane” ?

Si, malgré tout, les forces françaises vont laisser un certain vide, en ce qui concerne le frein qu’elles constituaient aux opérations des groupes terroristes dans les grandes villes, les militaires maliens se seraient assurés la présence de l’entreprise sécuritaire et paramilitaire russe “Wagner”, qualifiée par Paris d’organisation de mercenaires dont le rôle est de “protéger la junte au pouvoir”, alors que des analystes y voient “la base avancée non déclarée de Moscou” et le prélude à une coopération multiforme russe.

Cela donne à Bamako le temps de parer au plus urgent, à savoir se maintenir au pouvoir, se parer contre d’éventuels “coups bas de représailles” et mener des raids contre les terroristes. Quant au blocus imposé par la CEDEAO, il est fort à parier que les militaires maliens trouveront des “failles” grâce à leurs homologues burkinabè et guinéens.

Quant à la France qui a programmé de recentrer sa “Barkhane” au Niger où elle compte déjà une base aérienne et 800 hommes, elle ne sera sûrement en terre accueillante, d’innombrables voix de la société civile, de l’intelligentsia et de la population s’élevant dès à présent contre un tel projet, ce qui est en train de mettre à mal le pouvoir en place.

Mais au-delà de cet aspect et encore plus important, Paris a-t-il tiré les leçons et va-t-il changer sa politique en Afrique et la diriger vers la coopération et le développement ?

En tout cas, même si cette intention effleurait l’esprit de Macron, il ne trouverait pas le temps, sa tête étant tournée vers l’Ukraine et, surtout, la présidentielle d’avril.

(*) Slah Grichi, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie.

– Les opinions exprimées dans ce papier n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l’Agence Anadolu.

Source: Anadolu Agency

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