Les journalistes maliens font face à une précarité sans précédent depuis quelques années. Dans un pays confronté à des crises multiformes, particulièrement sécuritaire, la Presse joue un rôle déterminant. Cependant, comment cette presse pourrait-elle jouer sa partition si les conditions préalables pour sa survie ne sont pas garanties ?
Suite à la révolution de mars 1991, des conditions très favorables ont été créées pour l’autorisation et l’exploitation des médias au Mali. Ces conditions ont conduit le pays à la création d’un nombre important de parutions (plus de 200) ; de radios de proximité (près de 500), une quarantaine (40) de chaînes de télévision ; et un nombre important de sites d’informations.
Après avoir favorisé la création de tant d’organes de presse dans le pays, des politiques de régularisation et de veille n’ont pas suivi ou du moins ne sont pas appliquées. De multiples problèmes sont nés de cette « anarchie », parmi laquelle on peut citer la corruption, les influences, le gain facile, et le plus important sur le tableau noir la précarité des journalistes qui a « comme conséquence la parution irrégulière des journaux, la diminution des heures d’émissions des radios sinon leur fermeture pure et simple, l’incertitude sur la vie même des Télévisions confrontées aux lourdes charges et à une concurrence déloyale impitoyable ; une presse en ligne qui ne demande que l’adoption de ses textes lui permettant de nettoyer son espace » a affirmé le Président de la Maison de la Presse, Bandiougou DANTE, le dimanche 08 mai 2022 à la Maison de la Presse au cours de la 31e édition de la journée mondiale de la liberté de la presse, avec comme thème : « État de la liberté de la presse en cette période de transition au Mali ». Vous l’aurez comprise, notre presse est en danger.
Après avoir mis les choses dans leur contexte, revenons sur la situation qui prévaut dans notre pays sous différents angles. De la crise sécuritaire passant par la crise politique et économique, le Mali est aujourd’hui, dans le gouffre. Certes, des solutions politiques sont en cours d’œuvre pour lutter contre le terrorisme et l’insécurité grandissante avec une armée qui monte en puissance. Cependant, la presse serait-elle l’orpheline de cette lutte pour la souveraineté et la quête d’une cohésion sociale ?
Les médias, vecteurs de cohésion sociale
Au regard des enjeux liés au contexte politique, social et économique du pays, les journalistes doivent jouer un rôle essentiel, celui de sécuriser le tissu social qui demeure fragile. Ils ont un rôle essentiel non seulement pour l’information, mais pour la sensibilisation et la conscientisation du public. Aussi, ce rôle est crucial en temps de crise vis-à-vis des populations pour fournir des informations d’intérêt public et utile afin de les outiller à faire face aux difficultés de la vie quotidienne, connaître les ressources disponibles et les aider à renforcer leur capacité de résilience et leur autonomisation.
Toutefois, les médias au Mali sont confrontés à d’énormes difficultés pouvant les empêcher de remplir correctement ce rôle. Si les médias devraient s’inscrire dans le sens de la sauvegarde des valeurs socioculturelles, de la cohésion sociale et de la promotion de la paix, de la sécurité et du développement durable, ils doivent bénéficier des bonnes conditions de travail. C’est l’occasion de le dire, la majeure partie des journalistes n’ont pas de salaire de base, ni de contrat de prestation. Pour ce qui est de la couverture sociale, peu y sont inscrits ; les outils de travail manquent considérablement. A cela, s’ajoutent les intimidations, les menaces, et même des disparitions. Face à ce tableau sombre, il est évident que la presse devienne une proie facile pour la corruption, le gain facile, un instrument de propagande.
D’ailleurs, certains médias, entre vivre ou périr, ont adopté un comportement dangereux contraire aux principes d’éthique et de déontologie du journalisme, à travers la diffusion de fictions, de rumeurs et d’informations non vérifiées. La tentation est donc grande pour certains dirigeants de les instrumentaliser à des fins partisanes, d’autres ont tendance à rechercher le sensationnel au détriment d’une information vérifiée et équilibrée.
Comment les populations peuvent-elles cultiver la paix, lorsqu’elles sont abreuvées de rumeurs alarmantes aux conséquences ravageuses et destructrices ?
Outre ces aspects, nous avons l’institutionnalisation de l’aide à la Presse, le sujet qui fâche en ce moment entre le gouvernement et la Maison de la Presse. Cette aide censée aider les organes à supporter les coûts des journaux, radios, télévisions se trouve à être liée à «la merci et au bon vouloir du prince du jour ». Alors que certains journaux n’arrivent plus à faire des recettes dues à la crise sanitaire et celles que nous traversons actuellement, cette subvention qui « n’est d’ailleurs pas à la hauteur » n’arrive pas à être correctement octroyée aux organes de Presse. Tout ceci entraîne des impacts sur le travail des journalistes au quotidien.
En tenant compte de la complexité de la situation de notre pays, il est indispensable que les journalistes qui sont les constructeurs de bon sens et l’opinion publique soient formés afin qu’ils deviennent ainsi des catalyseurs pour un espace public plus pacifique.
Pour finir, nous dirons, d’une part, que les médias servent de plate-forme d’échange et de dialogue pour les citoyens ; et d’autre part entre les citoyens, les pouvoirs politiques et la société civile. Il est vital de renforcer son rôle. « Aujourd’hui, la presse malienne a besoin de l’assistance de tous les défenseurs de la liberté et de la démocratie et des droits de l’homme. Elle a besoin d’une réelle volonté politique historique par l’adoption des nouveaux textes, condition sine die que non, à la refondation nationale », a indiqué Bandiougou DANTE.
« Si les conflits commencent dans les esprits, il en est de même pour la paix. A ce niveau, les médias sont un important canal pour véhiculer ce qui se passe dans les esprits. Pour que chaque citoyen se sente concerné par la paix, il faut que chacun ait accès à l’information ». Pour promouvoir la paix et la sécurité, il est important de renforcer le professionnalisme, la protection et l’indépendance des médias.
AFANOU KADIA DOUMBIA
Source: Malijet