CEDEAO : UN MOIS POUR CONVAINCRE

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Alors qu’on s’attendait à un accord, la CEDEAO a décidé de maintenir ses sanctions sur le Mali à l’issue de son Sommet extraordinaire du 3 juin dernier. L’organisation sous-régionale exige un chronogramme détaillé sur la suite de la transition et des précisions sur le mécanisme conjoint de suivi . Les autorités maliennes ont désormais jusqu’au 3 juillet, date du prochain Sommet ordinaire de la CEDEAO, pour satisfaire ses demandes et trouver un compromis en vue d’une levée des sanctions, dont les conséquences économiques et sociales s’aggravent.

La date du 9 juillet prochain est doublement symbolique pour le Mali. Elle marquera six mois d’embargo économique et financier du pays, mais aussi le jour de la Tabaski, selon plusieurs calendriers. D’ici là, les Maliens espèrent une levée des sanctions le 3 juillet, à l’occasion du Sommet ordinaire de la CEDEAO qui se tiendra à Accra. Une énième échéance après les espoirs douchés du Sommet extraordinaire du 3 juin, dont les conclusions, fortement appuyées par le Ghana, le Niger et le Nigeria, ont décidé du maintien des sanctions sur le Mali, alors que plusieurs observateurs annonçaient l’imminence d’un compromis entre les deux parties, notamment suite à la tentative de médiation entreprise par le Togo. Preuve en est, le ministère des Finances avait mis en alerte la douane malienne « en prévision d’une éventuelle levée de l’embargo » dans une note diffusée le 3 juin.

Pourtant, quelques jours après cet échec diplomatique pour le Mali et son parrain le Togo, les autorités maliennes ont formalisé, à travers un décret signé le 6 juin, une durée de transition de 24 mois à compter du 26 mars 2022. Pour le gouvernement, cette décision ne vise aucunement à raviver la tension avec la CEDEAO. « Nos plus hautes autorités ont estimé que nous avons atteint un niveau très avancé dans les négociations avec la CEDEAO. Ce qui a motivé l’adoption de ce décret fixant le délai de la transition à 24 mois. Ce n’est pas une surprise. Le médiateur a été informé bien avant, le comité local de suivi et tous les chefs d’État de la CEDEAO aussi », a expliqué le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga, ministre Porte-parole du gouvernement. Mais « informé » ne veut pas dire « entériné ». D’ailleurs, la réaction de la CEDEAO ne s’est pas faite attendre. Dans un communiqué publié le lendemain, elle affirmait « regretter que cette décision ait été prise à un moment où les négociations se déroulent encore, en vue de parvenir un consensus ».

Le chronogramme de toutes les attentes

Selon le chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, la durée de la transition ne serait plus un point de blocage. La proposition malienne de 24 mois de transition (mars 2022 – mars 2024), relevée par le rapport du médiateur de la CEDEAO lors du Sommet extraordinaire du 3 juin dernier, « a été accueillie favorablement par les délégations présentes ». « On était à deux doigts de conclure un accord mais un grain de sable est venu perturber la machine », a regretté le Premier ministre Choguel kokalla Maïga le 5 juin, lors de la commémoration des deux ans d’anniversaire du M5-RFP. « Il y a eu beaucoup d’efforts faits, mais quand même il faut qu’on puisse finaliser tout ça. Il ne faut pas grand-chose », a souligné le Président de la Commission de la CEDEAO, Jean-Claude Kassi Brou, lors d’un entretien sur la chaine francophone TV5 Monde.

Cependant, l’organisation sous-régionale exige toujours un chronogramme détaillé de la transition, mais aussi des précisions par rapport au mécanisme conjoint pour le suivi régulier de sa mise en œuvre. Le Mali a désormais un mois pour satisfaire à ces demandes avant le Sommet ordinaire du 3 juillet, considéré par beaucoup comme l’ultime chance pour parvenir à un compromis avec l’organisation ouest africaine en vue de la levée des sanctions. « La CEDEAO demande un chronogramme, en réponse le Mali présente une durée. Le pays est sur des questions de délai, sans donner le contenu de ce délai. Pourquoi 24 mois et pas 32? C’est la véritable question que se pose la CEDEAO. Tant que le Mali ne présentera pas un contenu satisfaisant, la CEDEAO n’acceptera pas la durée proposée par le gouvernement malien », explique Dr. Amidou Tidiani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13.

« La durée de la transition, le projet de réformes politiques et institutionnelles, cela a été acté et va même être accepté par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement. Maintenant, le gros problème, c’est l’élaboration d’un chronogramme qui puisse expliquer et soutenir le délai que le Mali a choisi », renchérit Bréhima Soumaré, ancien ambassadeur du Mali en Turquie et analyste en diplomatie et stratégie.

Selon le gouvernement, le pays dispose déjà d’un chronogramme pour la conduite des 24 mois de transition, qui prend en compte « les actions les plus urgentes » vers un retour à l’ordre constitutionnel. D’ailleurs, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga en avait esquissé le schéma le 21 avril dernier, lors de son passage devant le Conseil national de la transition (CNT) pour faire le point sur l’état d’exécution de son programme d’action gouvernemental.

Dans les six premiers mois du chronogramme, on note l’élaboration de la nouvelle Constitution, ainsi que les autres textes connexes liés à la préparation des élections. Dans les huit premiers mois, le gouvernement pense pouvoir rendre opérationnel l’organe unique de gestion des élections si la loi est votée par le CNT dans les meilleurs délais. Durant la deuxième année, le gouvernement tiendra quatre dates électorales : le scrutin référendaire, la présidentielle, les législatives et les élections territoriales. « L’ordre de la tenue de ces élections n’est pas encore arrêté et on est toujours en train de réfléchir au fait de savoir s’il faut coupler certaines élections ou pas », avait précisé le Premier ministre.

Pour Amidou Tidiani, cette exigence d’un chronogramme est une manière pour la CEDEAO de ne plus faire d’erreur comme par le passé et de « vérifier étape par étape si la transition malienne évolue vers l’ordre démocratique et constitutionnel ». « On n’aura plus une durée longue au bout de laquelle la CEDEAO viendra nous dire si oui ou non on a respecté nos engagements. On aura finalement des sanctions qui vont être levées de manière progressive, en fonction aussi de la mise en œuvre progressive des engagements que le gouvernement malien aura pris ».

Des contraintes

Selon le Porte-parole du gouvernement, « la publication du chronogramme de la transition est imminente ». Cependant, elle attend « l’adoption du projet de loi électorale par le Conseil national de transition (CNT) », afin qu’il soit « précis ». « À titre illustratif, dans l’actuelle loi électorale, le délai de convocation du collège électoral est de 60 jours. Ensuite, quand vous regardez le délai entre les deux tours de l’élection présidentielle, c’est un délai de 15 jours. À la demande de la classe politique, nous avons revu ce délai à la hausse. C’est pourquoi, dans le projet de loi électorale d’aujourd’hui, ce qui est proposé c’est d’avoir 90 jours pour convoquer le collège électoral avant le scrutin et d’observer une période d’un mois entre les deux tours de l’élection présidentielle. Évidemment, ces délais ont un impact sur l’élaboration d’un chronogramme précis », a expliqué le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga à la télévision nationale.

Le projet de loi électorale devait être adopté au CNT le 2 juin dernier. Cependant, la commission saisie au fond n’en ayant toujours pas terminé avec les écoutes et son rapport, « il a fait l’objet d’un renvoi de la part de la Commission lois, qui n’était pas prête à le livrer pour délibération », explique un administrateur au CNT. Toutefois, le projet de loi pourrait être voté en session extraordinaire. Mais quand ? Dans moins d’un mois se tiendra le Sommet ordinaire de la CEDEAO. Et, d’ores et déjà, selon une source, « la plupart de ceux qui sont déjà passés devant cette Commission lois du CNT émettent de sérieuses réserves ». Notamment par rapport au mode de désignation des membres de la future Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), dont quatre membres sur sept sont nommés par le Premier ministre et les trois autres par le Président du parlement. Certains politiques y voient déjà les germes de futures contestations et de divisions.

Le Premier ministre sur la sellette ? Au-delà de l’élaboration d’un chronogramme détaillé et de précisions sur la mise en place d’un mécanisme pour son suivi, plusieurs sources évoquent également la  probable mise en place d’un « gouvernement de consensus dirigé par un Premier ministre neutre », longtemps demandée par le Cadre d’échange des partis et regroupements politiques pour une transition réussie. « La CEDEAO n’ira pas jusque-là. Elle ne sera pas sur une question de personne spécifiquement. Elle pourra éventuellement demander qu’il y ait un gouvernement neutre ou que des organes neutres soient mis en place pour organiser des élections libres et transparentes. Mais il ne lui revient pas de dicter au gouvernement malien des noms de personnes  pouvant occuper des postes. Si elle le faisait, elle dépasserait son rôle et le gouvernement malien n’aurait pas à respecter une telle injonction », pense Amidou Tidiani. Selon André Bourgeot, Directeur de recherche émérite au CNRS, dans un tel cas de figure, « la partie malienne, en acceptant cette proposition, se donnerait un mois pour constituer un gouvernement de mission, ce qui est une formulation d’un gouvernement d’union nationale ». Même si  Choguel Kokalla Maïga semble affaibli, au regard des dissensions au sein du M5 dont une partie a réclamé sa démission, il forme avec le Colonel Assimi Goïta un « tandem soudé et complémentaire ». « Je ne vois pas qui pourrait remplacer Choguel Kokalla Maïga dans le cadre de la relation avec Assimi Goïta. On parle de plus en plus du ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop, mais il n’a pas la même envergure que le Premier ministre actuel. Ensuite, la balle est dans le camp d’Assimi Goïta. C’est lui qui décidera. Abdoulaye Diop a une résonnance internationale plus grande que Choguel Kokalla Maïga. Peut-être que le Président de la transition va jouer cette carte internationale, parce que le pays s’inscrit dans une sorte de compétition internationale », analyse le spécialiste du Mali. Le 21 avril dernier, lors de son passage devant le Conseil national de la transition, Choguel Kokalla Maïga avait déjà prévenu ceux qui appelaient à sa démission. « Le jour où mon temps finira, je partirai la tête haute. Mais cela c’est le Président de la transition et les Maliens qui vont le décider. Je ne suis pas dans les calculs, je ne suis pas dans la ruse.»

Boubacar Diallo

Source : Journal du Mali

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