Tombouctou-Gao-Kidal : Ces femmes victimes de violences sexuelles partagent leurs amertumes

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«Femmes victimes de violences sexuelles et enfants victimes de conflits», c’est le thème de la 5ème audience publique de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (Cvjr), tenue le samedi 11 juin dernier au CICB. Elles étaient 11 femmes dont une mineure à témoigner des violences sexuelles qu’elles ont subies entre 2012 et 2017 dans les régions de Tombouctou, Gao et Kidal durant l’occupation des groupes armés. Il n’y avait pas qu’elles ; un enfant victime de balle, qui a perdu l’usage d’une jambe, a également raconté son calvaire. Il demande de l’assistance pour réaliser son rêve de devenir un grand footballeur.

Au total, ils étaient 12 victimes à livrer leurs témoignages à cœur ouvert et à visage couvert, compte tenu de la sensibilité des cas, car les séances étaient retransmises en direct sur la télévision nationale et sur les réseaux sociaux. Selon le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga qui a ouvert les travaux de cette 5ème audience publique, c’est tous les jours que les femmes sont victimes de violences sexuelles, pour ne pas dire chaque nuit.

En effet, dans les contextes de conflits armés, les femmes et les enfants sont les plus exposés et subissent plus de violations. Et le viol est très souvent utilisé comme arme de guerre pour soumettre et terroriser la population. Et ces viols s’accompagnent souvent de violences aggravantes qui sont entre autres: viols collectifs, viols avec objets, viol et mutilation des parties génitales. Toutes les victimes qui ont témoigné sont meurtries, traumatisées et malades dans leurs âmes et dans leurs chairs. Elles ont vécu l’enfer sur cette terre. Lisez plutôt les témoignages poignants des victimes!

«Une victime de 54 ans violée par 7 individus armés devant son mari et son fils »

La première victime, âgée de 54 ans, mariée, a subi un viol collectif il y a dix ans, à l’arrivée des terroristes à Gao. En larmes, elle rapporte les faits inhumains et dégradants qu’elle a vécus.

À visage couvert, voix palpitante, triste, en larme, elle a eu le courage de lâcher les sombres moments de sa vie: «Le jour où le consulat d’Algérie a été attaqué à Gao, des hommes armés ont fait irruption dans notre maison. Ils ont ligoté mon mari, mon fils de 15 ans. Il y avait mon beau-frère aussi et un colocataire. Ils étaient 7 personnes, trois peaux claires et quatre peaux noires,  tous armés. Ils ont violé toutes les femmes à tour de rôle sous les yeux impuissants des hommes. J’ai demandé à mon fils de ne pas regarder, mais ils le forçaient à regarder vers nous.  Depuis ce jour, mon mari  a disparu et jusqu’aujourd’hui, la famille n’a aucune nouvelle de lui. Mon fils, lui, s’est exilé dans un pays voisin et ne souhaite plus me revoir. N’ayant pas pu supporter la scène, mon beau-frère est décédé après. J’ai voulu me suicider. Que Dieu préserve toutes les femmes de tels actes inhumains et dégradants », a témoigné la première victime. Elle est victime de stigmatisation.

Mariage forcé

Idem pour la deuxième victime. Elle  a vécu son calvaire à Tombouctou. Âgée de 40 ans, elle est mère de trois enfants.

«Il est venu demander ma main en mariage, j’ai refusé»

Selon son témoignage, c’est juste après son divorce en 2012, pendant l’occupation de Tombouctou, qu’elle a été mariée de force à un responsable de groupe armé. À ses dires, ce dernier est venu l’enlever de force avec 07 hommes armés, laissant dernière elle sa vielle maman malade et son bébé.

«Il est venu demander à ma maman ma main, j’ai refusé. Il est retourné. La deuxième fois, il est venu avec six autres, ils m’ont amenée de force devant ma mère malade et mon enfant. Ils m’ont enfermée dans une chambre avec lui. Il m’a violé pendant 3 jours. Après, il est allé remettre la clé de la chambre à ma maman qui est venue me faire sortir de là. Désespérée, car tout le monde me regardait autrement, après, des symptômes de grossesse, j’ai été à l’hôpital pour avorter, c’était à 3 mois déjà », a-t-elle partagé.

Selon elle, ce mariage forcé a duré six mois et elle a eu un enfant qui a 09 ans aujourd’hui. Ce dernier est victime de stigmatisation à l’école. Sa maman est morte d’amertume. À noter que la victime était intimidée car son bourreau dormait avec elle étant armé. Et à chaque fois que ce dernier sortait, elle était gardée par deux hommes armés. Stigmatisée par ses propres parents, elle est tombée gravement malade après son accouchement. Elle fait la risée de son quartier. La victime souhaite quitter sa résidence actuelle et aller s’installer ailleurs. Elle souhaite qu’on l’aide à  prendre également en charge la scolarisation de ses enfants.

«Mineure, violée pendant sa période de menstruation»

La troisième victime, âgée de 25 ans, a subi un viol à l’âge de 15 ans. Elle a commencé en larme. C’était en 2012, à Gao, alors qu’elle avait ses menstrues.

«Ils nous ont suivi jusque dans une maison, le propriétaire était absent. Au nombre de six, ils m’ont demandé d’abord de l’eau, et après qu’ils ont besoin de femmes. J’étais avec ma cousine, elle était en état de grossesse, elle a été épargnée. Ce jour j’étais en période de menstrues, je n’ai pas été épargnée. L’un d’eux m’a poussé contre le mur, et a abusé de moi», a-t-elle témoigné.

Après cet acte inhumain, elle a attrapé des infections sexuellement transmissibles et ses trompes ont été bouchées. Suite à cela, la victime n’est plus en mesure d’enfanter. Aujourd’hui, elle a besoin d’une prise en charge médicale.

« Elle a 60 ans et a subi l’esclavage sexuelle par des gamins qui ont l’âge de ses enfants »

Quant à la quatrième victime, elle est veuve, âgée de 60 ans. En 2012 à Tombouctou, elle était commerçante. Son calvaire a commencé le jour où un de ses clients lui avait proposé de livrer des marchandises composées de tubercules et de tissus.

« Le client est venu me prendre en voiture sur les lieux de rendez-vous, en me disant de monter avec la marchandise pour la destination finale. Nous sommes arrivés sur le lieu de la livraison, il y avait plusieurs tentes installées. Au moment de me payer, le client s’est éclipsé, sous prétexte de prendre un appel. Il m’a laissé entre les mains de ses compagnons, l’un d’entre eux m’a contraint d’entrer sous la tente. Suite à mon refus, il m’a grièvement blessée au bras avec un couteau, j’ai crié, et des hommes sont venus de partout pour me faire entrer de force sous la tente. Ils me violaient à tour de rôle, je comptais souvent jusqu’à 11 personnes, des jeunes qui ont l’âge de mes enfants. Et cela, pendant plusieurs jours, oh mon Dieu!», s’est-elle confessé en larme, toujours sous le choc, elle a eu l’assistance des sapeurs pompiers après avoir raconté son récit.

La victime a été leur esclave sexuelle pendant 04 jours et pouvait recevoir 05 hommes le soir et une dizaine la journée. Elle était privée d’eau et de nourriture. C’est avec l’aide de leur chauffeur que la victime a pu s’échapper dans un état pitoyable. Elle ne souhaite pas que d’autres femmes subissent le même sort et a besoin de soutien pour surmonter cette épreuve atroce. Les conséquences de ces actes sur elles sont, entre autres : problème d’incontinence, infections sexuellement transmissibles, stigmatisation.

Le regard de la société qui n’aide pas les victimes

Toutes les victimes qui sont passées ont comme dénominateur commun le rejet de la société. Elles sont abandonnées, stigmatisées par leurs propres parents et le voisinage. Alors qu’elles n’ont rien fait pour mériter cela.

«On m’appelle rebelle ‘’da tô’’» (rescapé sexuelle des assaillants)

Le sixième passage a concerné une femme mariée, âgée de 48 ans. La victime est partie en aventure à Kidal depuis 1995 et s’est mariée là-bas. Elle y est restée jusqu’aux évènements de 2012. Après le massacre d’Aguelhok son mari avait décidé que sa famille retourne à Gao. Soudain, les hommes armés ont fait irruption, puis les ont dépossédés de leurs biens en disant que ces biens ont été gagnés à Kidal et resteront à Kidal. La victime a été agressée violemment par les assaillants lorsqu’elle s’est opposée à l’enlèvement de sa moto Jakarta. A défaut de la violer, ils ont introduit le bout de leur fusil dans son organe génital et l’ont retiré avec force. Ce qui a provoqué la déchirure d’une partie de cet organe. La famille a fini par quitter Kidal pour la région de Ségou. La victime souffre encore de la stigmatisation de la part de ses coépouses. « On m’appelle rebelle ‘’da tô’’» (rescapé sexuelle des assaillants).

«J’ai été violée étant enceinte de six mois ; mes jumeaux sont morts nés»

La septième victime, mariée, a témoigné qu’elle a été traitée d’ânesse avant d’être violée par des assaillants. Malgré son état de grossesse avancée.

«Nous étions parties en brousse à la recherche des feuilles pour faire les nattes. Ils nous ont fait arrêter, le premier a vu mon ventre et a eu peur. Un parmi eux m’a menacée de me déshabiller. Il m’a jetée par terre, dans les buissons, et a bandé mes yeux, avant de me violer », a-t-elle avoué.

«Amputé, il souhaite toujours réaliser son rêve de grand joueur»

Le 11ème témoignage a concerné un enfant de 12 ans, amputé à cause d’une balle perdue des groupes armés à Gao en 2012.

Cet enfant a été victime d’une balle perdue alors qu’il était en train de jouer au ballon avec ses amis. Sa grand-mère chez qui il habitait a piqué une crise et est décédée par la suite. La plaie a été infectée à cause du retard accusé dans son transfert vers un hôpital régional. C’est pourquoi une jambe de cet enfant a été amputée. Il marche aujourd’hui avec une béquille. L’enfant a abandonné l’école à cause de la stigmatisation et son rêve de devenir footballeur s’est envolé. Il a besoin de prothèse, afin qu’il puisse reprendre le chemin de l’école et jouer au ballon avec ses amis.

«La personne humaine est sacrée et inviolable, tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne», article premier de la constitution. Les droits de ces personnes ont été violés, il revient à l’Etat  de tout mettre en œuvre pour atténuer ces souffrances vécues par ces victimes et garantir un non répétition de toutes les formes de violences.

Moussa Sékou Diaby

Source : Le Tjikan

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