L’autorité indépendante de gestion des élections est née : Un difficile accouchement qui ne serait pas sans conséquence

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Enfin après plus de 3 mois de retard,  l’organe tant attendu, à savoir l’Autorité Indépendante de Gestion des Elections, AIGE, a vu le jour non sans peine. Un décret signé par le Président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, met fin à la polémique entretenue pendant des mois. C’est le décret  n° 2022-0609/PT-RM du 12 octobre 2022 portant nomination des membres du collège de l’AIGE qui a été rendu public. Ainsi, conformément à la loi électorale un collège de 15 membres a été désigné. Sans grande surprise trois composantes y figurent à savoir les pouvoirs publics, les partis politiques et la société civile. Si pour les pouvoirs publics il y a moins de contestation, la classe politique et la société civile ne décolèrent pas. Elles crient déjà à la violation de la loi électorale et disent se réserver le droit d’attaquer le dit décret à la Cour Suprême. Cet organe inspire-t-il confiance au regard de sa composition ? Une partie de la classe politique et celle de la société civile reconnaitront- elles sa légitimité ? Que devra faire le gouvernement pour désamorcer la bombe ?

Toutes les crises qu’a connues le Mali, de l’avènement de la Démocratie à nos jours, sont consécutives à la mauvaise organisation ou au tripatouillage des résultats des élections, qu’elles soient présidentielle, législative ou même communale. La dernière crise post-électorale  en date est celle de 2018, qui a vu le Président sortant IBK être proclamé  président de la République pour un second mandat de 5 ans, par les institutions habilitées à cet effet. Les résultats fortement contestés par son challenger de l’époque, Soumaïla Cissé, ont donné naissance à une crise post-électorale sans précédent au Mali. L’on peut affirmer sans risque de se tromper que ce sont les ramifications de cette crise post-électorale qui ont  donné naissance à un vaste mouvement de contestation contre le régime IBK. Le M5 RFP du nom du Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques, en était la résultante. Quelques mois de manifestations ont suffi pour que la grande muette, qu’est l’armée,  intervienne pour mettre fin au tiraillement entre politiciens, en renversant le régime de celui qui a été plébiscité en 2013, à savoir IBK. Une troisième transition est alors en cours au Mali, après celles de 1991, avec ATT et la transition de 2012 avec le tandem Dioncounda Traoré-  Capitaine Amadou Haya Sanogo.

Le Colonel Assimi Goïta et quatre autres colonels sont les auteurs de ce troisième coup d’Etat. Après dix-huit de tergiversations émaillés d’un autre coup d’Etat avec la mise à l’écart du Président de la Transition M’Bah N’Daou et de son premier ministre Moctar Ouane.  Les nouvelles autorités  se sont engagées devant la communauté internationale à organiser des élections transparentes et crédibles pour rendre le pouvoir à un civil  au terme d’une transition de 24 mois.

En effet, pour conduire à bien le processus de transition, les autorités ont élaboré un chronogramme et défini des organes permettant d’atteindre les objectifs qui y sont assignés. Une loi électorale a été adoptée, une commission de rédaction d’une nouvelle constitution mise en place, cette dernière a d’ailleurs rendu son rapport final le 11 octobre 2022 et enfin le lendemain 12 octobre le décret de nomination des membres de l’AIGE a été signé par le Président de la transition. Cet organe dont la mise en place a accusé un grand retard, suscite déjà beaucoup de réactions de la part de la classe politique et de la société civile.

Cet organe inspire-t-il confiance au regard de sa composition ?

Rien qu’à en juger par sa composition, il y a vraiment lieu de s’interroger sur sa capacité à organiser des élections libres, transparentes, crédibles dont les résultats seront acceptés par tous les acteurs. Arrêtons-nous d’abord sur les choix des représentants des pouvoirs publics. Ainsi sur les huit membres désignés par les pouvoirs publics, trois, à, savoir le Général Siaka Sangaré, Moustapha Cissé et Brahima Fomba sont des figures connues dans l’organisation des élections, surtout pendant les dix dernières années, au Mali. Ils ont été au cœur du dispositif organisationnel des élections au Mali. Le Général Sangaré était le chef de la Délégation Générale aux Elections DGE. Cet organe avait essentiellement pour mission l’élaboration du fichier électoral. A-t-il bien fait son travail ? La réponse est non car toutes les contestations et autres  tripatouillages sont nés de l’élaboration du fichier électoral. Quant à Moustapha Cissé, sauf erreur de notre part sinon il a été le Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante, CENI, sous ATT, le troisième membre qui a été au cœur des élections est Brahima Fomba, l’ancien secrétaire Général au ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation. Si tous les trois ont une expertise avérée couplée à une expérience incontestable en matière de gestion des élections, il n’en demeure pas moins qu’ils ont leur part de responsabilité dans les crises nées des élections.

Quant aux représentants des partis politiques, ils ne sont ni représentatifs de la classe politique, donc leur légitimité est remise en cause, encore moins outillés pour une telle mission car leurs partis politiques sont des illustres inconnus dans le landerneau politique malien et ne semblent pas participer à des joutes électorales. L’autre handicap est qu’ils ont été tirés au sort. Les élections, baromètre de la démocratie, sont trop importantes pour être gérées par des hommes et des femmes tirés au sort. S’agissant des membres représentants la société civile, ils souffrent des mêmes tares que ceux des partis politiques. Comment pourrait-on avoir confiance en des hommes et des femmes dont le choix est fortement contesté ?

Une partie de la classe politique et celle de la société civile reconnaitront- elles la légitimité de l’AIGE ?

Des voix commencent à s’élever pour dénoncer le modus operandi qui a permis de mettre en place l’AIGE, en excluant toutes les forces politiques significatives dans le pays. Parmi lesquelles il y a le parti YELEMA de Moussa Mara. Va-t-il y avoir une levée de bois vert des grandes formations politiques contre l’AIGE ? Par souci d’anticipation et pour  pallier toute velléité d’opposition contre l’AIGE, le gouvernement doit  faire un certain  plaidoyer pour que cet organe tant réclamé qu’est l’AIGE, puisse être accepté par l’ensemble de la classe politique et de la société civile. Pour ce faire un nouveau gouvernement d’union nationale serait indiqué pour pallier le déficit d’inclusivité dénoncé par une frange importante de la classe politique et de la société civile. A cela s’ajouterait un plan de communication sur les missions de l’AIGE. Ce gouvernement d’union nationale ou de large ouverture serait la réponse à la question que devra faire le gouvernement pour désamorcer la bombe.

En somme, il n’est jamais trop tard pour bien faire, donc pour éviter que le Mali ne s’enlise dans cette crise, les autorités doivent faire preuve d’ouverture et de  rassemblement afin de sortir de cet imbroglio politique.

Youssouf Sissoko  

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