Politique linguistique étatique : Les deux options principales : le pôle libéral et le pôle interventionniste

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Remis au Président de la Transition, chef de l’Etat le mardi, 11 octobre 2022, l’avant-projet de la nouvelle constitution est au cœur d’une vaste polémique, notamment à cause de son article 31 relatif aux langues nationales, officielles ou d’expression officielle. La controverse fait toujours couler beaucoup de salive et d’encre de toutes les couleurs de la part des acteurs politiques et de la société civile, souvent avec très mauvaise humeur, voire avec invectives. Dans l’analyse qui suit, Dr. Amadou Salif Guindo, Maître-Assistant en Sociolinguistique et Didactique du français, langue non maternelle (ULSHB), apporte son éclairage qui pourrait mieux inspirer les protagonistes de tous les bords pour une gestion intelligente du problème soulevé.

Le pôle libéral, aussi connu sous le nom politique linguistique implicite, consiste, pour un Etat, à ne pas intervenir dans la gestion de l’usage public des langues ou à légiférer en matière linguistique. L’Etat observe une totale neutralité entre les langues en présence. Cette non immixtion de l’Etat, qui se manifeste principalement par une absence de mention du choix de la langue officielle dans la Constitution, favorise cependant les langues dont les locuteurs jouissent des privilèges économiques, politiques et militaires au détriment des langues des autres communautés nationales. En général, les langues des capitales économiques et/ou politiques sont de facto des véhiculaires d’intégration. Par leur dynamique et leur vitalité, ces langues véhiculaires s’imposent aux autres langues, les éliminant par substitution ou par assimilation des locuteurs de ces dernières. Ce phénomène sociolinguistique, né du contact prolongé de deux ou plusieurs langues, est appelé “glottophagie”. Les locuteurs des langues dominées éprouvent une certaine culpabilité, voire de la honte (auto-odi), vis-à-vis de leurs propres langues. Ce qui pourrait précipiter leur mort. Chaque année, 24 langues meurent pour diverses raisons.

Les Etats-Unis a opté pour cette politique de neutralité en ne mentionnant aucune langue officielle dans sa Constitution, en raison de la diversité des peuples et des guerres qui ont précédé la rédaction de sa Constitution. Certains Etats fédérés des États-Unis font cependant ressortir clairement l’anglais comme langue officielle. Aussi, l’anglais est-il, de facto, la langue de l’administration fédérale. L’anglais, langue de travail et symbole de l’hégémonie culturelle américaine, investit tous les secteurs de la vie publique. Tous les actes juridiques sont rédigés en anglais et l’anglais, langue de scolarisation et des médias, bénéficie d’une politique de promotion institutionnelle.

Le pôle interventionniste, quant à lui, prône une intervention de l’Etat en matière linguistique. Les pays qui se sont alignés sur ce pôle mentionnent clairement une langue officielle dans leurs textes fondamentaux. Le pôle interventionniste se subdivise en deux idéologies glottopolitiques : l’altermondialisme linguistique et le nationalisme linguistique.

L’altermondialisme linguistique est proche du pôle libéral en ce qu’il estime que toutes les langues se valent et méritent d’être protégées. Il promeut la sauvegarde de la diversité linguistique et le plurilinguisme. C’est le cas du Mali.  C’est aussi le cas de la plupart des Etats du monde : l’Afrique du Sud et ses 11 langues officielles, l’Éthiopie et ses près de 100 langues officielles, la Belgique et la Suisse avec chacune 3 langues officielles. La Suisse a même une quatrième langue quasi-officielle : le romanche. Situation que certains sociolinguistes ironisent et leur fait dire que la Suisse a trois langues officielles et demie.

Le nationalisme linguistique est la version dure de l’interventionnisme en matière de politique linguistique. Il s’agit d’une politique linguistique identitaire en faveur d’une (seule) langue. Derrière le nationalisme linguistique pourraient généralement se cacher des revendications de type nationalitaire, des velléités indépendantistes, voire une politique étatique d’exclusion des autres communautés linguistiques. Les exemples les plus célèbres en la matière sont la Catalogne (au profit du catalan), l’Irlande (au profit du gaélique), Israël (au profit de l’hébreu) et le Québec (au profit du français).

 

Prise de conscience des Maliens vis-à-vis de la gestion des langues

 

Le débat suscité par l’Article 31 de l’avant-projet de Constitution du Mali montre le niveau de prise de conscience des Maliens vis-à-vis de la gestion des langues. Il cache mal un problème identitaire important qu’il est hasardeux d’ignorer. Il n’en demeure pas moins que l’unanimité n’existe nulle part en matière de choix de politique linguistique. Quelle qu’en soit la typologie, les politiques linguistiques présentent des avantages et des inconvénients. Il faudra savoir s’adapter aux orientations et options sociopolitiques du pays et aux réalités géopolitiques et économiques du moment.

L’avant-projet de Constitution, en optant pour le juste milieu, a dû s’adapter au contexte sociopolitique national et aux réalités du moment. Il propose ainsi le maintien, en son Article 31, du français comme unique langue officielle, en attendant la possibilité que les langues parlées au Mali et ayant statut de langues nationales (au nombre de 13), éléments du patrimoine culturel, puissent PROGRESSIVEMENT devenir COOFFICIELLES. C’est aussi la principale vision du Document de Politique linguistique du Mali, adopté en 2014 en conseil des ministres. La plupart des LANGUES NATIONALES MALIENNES réunissent les critères d’éligibilité au statut de langues officielles. Il s’agit de critères législatifs et règlementaires comme le fait d’être reconnue langue nationale suivant la loi n° 96-049 du 20 décembre 1996, mais aussi des critères techniques et sociolinguistiques. Les critères  techniques et sociolinguistiques  sont : le corpus de la langue (le nombre de locuteurs), sa véhicularité ou sa dynamique, les perspectives qu’elle offre sur les marché de l’emploi, le degré d’instrumentation (standardisation, codification, normalisation), la territorialisation… Il y a, en outre, l’exception pour raison d’Etat, qui est politique. En effet, par souci de préservation de l’unité nationale et de la paix, une langue peut bénéficier du statut de langue officielle même si elle ne remplit pas les critères cités. Les Constitutions de l’Afrique du Sud postapartheid et de l’Ethiopie de 1994 ont dû considérer les langues en présence comme officielles pour calmer les désidératas de certaines de leurs communautés nationales. 

 

Présage que le français ne sera plus seul pour longtemps

 

Le projet de loi portant modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales, déposé sur la table de l’Assemblée nationale depuis 2019, n’est toujours pas adopté en raison du contexte sociopolitique actuel du Mali, peu favorable à des réformes du genre. Une des raisons de la guerre entre la Russie et l’Ukraine est la suppression du russe de la Constitution ukrainienne.

Il faut aussi noter que dans l’avant-projet de Constitution, la mention de la langue officielle n’intervient plus qu’à l’avant-dernier alinéa de l’Article consacré aux langues alors que dans la Constitution du 25 février 1992, l’Article 25, consacré aux langues, s’ouvre par « le français est la langue d’expression officielle ». Ce qui pourrait présager que le français ne sera plus seul pour longtemps.

Une autre menace pour le français, qui fait partie de l’écosystème linguistique malien et parlé par au moins 17% des Maliens (ODSEF, 2019), c’est la possibilité qu’UNE LANGUE ÉTRANGÈRE puisse devenir officielle, par loi. L’arabe, langue au statut hybride et imprécis, à cheval entre les langues nationales maliennes, les langues étrangères et la langue seconde, pourrait être le principal gagnant de cette absence de précision. Comme au Tchad où il est co-officiel avec le français. A l’issue de la Conférence d’Entente nationale de mars-avril 2017, les participants ont proposé l’officialisation de cette langue « étrangèrement malienne ». Beaucoup moins pour l’anglais.

Amadou Salifou GUINDO

Maître-Assistant en Sociolinguistique et Didactique dufrançais, langue non maternelle (ULSHB)

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