Toute entreprise dont le départ n’est pas bon mérite qu’on s’inquiète sur sa finalité. Cette vérité populaire sied bien à la situation dans laquelle notre pays est plongé aujourd’hui.
La chute du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le 18 août 2020 ,à la faveur de l’intervention militaire à la suite des mouvements de contestations enclenchés par les forces vives de la nation regroupées au sein d’un mouvement dénommé: Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques ( M5-RFP), avait suscité de vibrant espoir de changement chez les maliens, l’espoir de voir renaître un Mali nouveau totalement débarrassé des pratiques propres à une autre époque, un Mali de paix et réconcilié avec lui-même, un Mali exerçant sa pleine souveraineté sur toute l’étendue de son territoire, bref un Mali, où il ferait bon vivre. Mais, hélas! De jour en jour, avec les agissements des nouvelles autorités militaires, il commence à naître dans l’esprit de bon nombre de citoyens un doute sérieux non seulement sur la capacité de celles-ci mais aussi et surtout sur leur volonté réelle de combler cet espoir. Tout se passe comme si cette junte au pouvoir dispose d’un agenda autre que celui confié par la révolution populaire.
Loin de faire l’oiseau de mauvaise augure, il est évident aujourd’hui pour tout observateur averti, que les actes posés jusque là par la junte ne sont pas de nature à susciter un quelconque optimisme, pire il commence à se créer chez les citoyens le sentiment d’assister impuissamment à l’instauration d’une dictature militaire qui viendrait enterrer sa démocratie acquise au prix d’énormes sacrifices.
Au lieu de prendre la mesure de sa mission qui est de procéder à une gestion transparente et crédible de la transition incluant toutes les forces vives de la nation afin de poser les bases nouvelles pour une véritable refondation de notre pays, la junte militaire semble être plutôt préoccupée à assoir son autorité.
Dans sa volonté d’être la seule maîtresse à bord, elle se permet d’installer de façon unilatérale tous les organes de la transition sans consultation aucune ni aucun égard vis- à- vis des textes fondamentaux régissant cette transition écartant du coup de manière subtile du M5-RFP de qui pourtant elle détient sa légitimité.
En plus, face au front social en ébullition marqué par une série de grèves, au lieu de privilégier le dialogue, elle opte pour des pratiques contraires à toutes règles démocratiques, en témoignent les nominations abusives des militaires en remplacement des agents civils de l’administration en grève illimitée depuis plus d’un mois, d’une part; l’adoption récente en Conseil des ministres d’une loi modificatrice de la loi portant nomination des préfets, et sous-préfets pour l’élargir aux militaires et une proposition de communication soumise pour approbation par le ministre de l’Administration relative à l’annulation des décrets de nominations de certains agents civils occupant ces différentes responsabilités, d’autre part. À ceux-ci viennent s’ajouter ces propos menaçants et attentatoires aux droits de grève en République du Mali , tenus par le premier responsable du pays à savoir le président de la transition lui-même, son Excellence le colonel Ba N’Daw en terre ivoirienne devant la diaspora malienne à l’occasion de l’investiture du président Ouattara pour son troisième mandat.
En effet, si tout le monde s’accorde sur l’impérieuse nécessité de la réussite de la transition car dépendrait d’elle le futur proche de notre pays, il apparaît évident que ces comportements des militaires et surtout leur réaction face à la demande sociale ne semblent pas être de nature à générer un optimisme pour une transition réussie. Au contraire, ils favorisent plutôt l’émergence des pôles d’opposition dont la connexion risquerait de lui être fatale.
D’un côté, nous avons le M5-RFP devant lequel elle a déclaré publiquement être venue parachever son œuvre. Se sentant trahi à cause de sa gestion unilatérale et exclusive des affaires du pays, ce mouvement dont le rôle a été déterminant dans la chute du régime défunt n’entend pas rester bras croisés regardant lui échapper sa victoire conquise au risque de sa vie. Cette position, ses responsables ont ténu à la faire savoir à la faveur d’une conférence de presse tenue à cet effet, “Nous allons sortir pour imposer le véritable changement tant souhaité par les Maliens et pour lequel certains ont perdu la vie“, dixit un haut responsable du mouvement.
Ensuite, nous avons les grévistes de l’administration civile qui n’ont eu comme réponse à leurs revendications, que mépris et remplacement de certains des leurs.
Et maintenant viennent s’ajouter la puissante centrale syndicale, l’UNTM, sans oublier les autres corporations qui ont tous le désir de se faire entendre, il s’agit entre autres des surveillants de prison, des agents de santé, des syndicats d’enseignants de l’enseignement supérieur qui, tous, ont reçu à leur tour menaces et intimidations.
Une autre mine sous les chaises des autorités de la transition est la montée en crescendo de l’insécurité et celle en puissance des forces djihadistes, obscurantistes à travers tout le pays.
Face cet état de fait, les citoyens maliens commencent à perdre confiance en cette junte pour assurer sa sécurité, une confiance pourtant indispensable pour la réussite de sa mission.
Avec plus d’une dizaine de préavis de grèves déposées sur sa table, d’après le ministre du Travail et de la Fonction publique porte parole du gouvernement, les autorités militaires ne semblent pas mesurer tous les enjeux de cette grogne sociale, c’est pourquoi elles se lancent ainsi dans une aventure dont l’issue pourrait leur porter des préjudices irréparables.
En cas de connexion de ces différentes couches frustrées et si à cela s’ajoute le manque de confiance ne serait- ce qu’une partie du peuple, il va de soi que des interrogations légitimes soient posées quant à une issue heureuse de cette transition dont le mandat est de dix-huit (18) mois à l’issue duquel doivent surgir les fondations d’un Mali nouveau tant attendu par des millions de Maliens.
Il est donc urgent, pour la junte qui a aujourd’hui en main la destinée de ce pays, de se ressaisir pour sortir des petits jeux qui ne serviront qu’à la nuire. Si elle veut une issue honorable à cette noble tâche qui est la bonne gestion de la transition, elle se doit de comprendre que cela ne peut se réaliser qu’en respectant les lois qui régissent cette transition.
Elle se doit de sortir de cette gestion unilatérale et exclusive, rompre avec cette stratégie de menace et d’intimidation qui n’ont rien apporté jusque- là au contraire qui contribue à envenimer une situation déjà au bord de l’explosion. Elle se doit de laisser de côté son orgueil de militaire pour aller à l’écoute du peuple qu’elle est appelée à servir. Elle doit comprendre et intégrer cela dans sa tête et dans ses attitudes comme quoi en cette ère de démocratie l’autoritarisme militaire n’a plus sa place, que seuls prévalent, le dialogue et la négociation.
Daouda DOUMBIA
Source : Inter de Bamako