Le débat sur l’allongement de la transition agite le monde associatif et la classe politique ou le commun des mortels. Ceux ou celles qui proposent une prolongation de la transition et ceux ou celles qui sont rattachés au strict respect du calendrier. Que disent-ils à l’appui leur choix ?
Le débat est révélateur d’une profonde division de la société malienne entre les tenants de « donner le temps au temps » pour mener à fond les réformes politiques et institutionnelles et les partisans du fétichisme de calendrier électoral. Les femmes leaders de Kati ont réussi la prouesse de le raviver la semaine dernière, de le sortir des salons feutrés et de le propulser sur les antennes de la télévision nationale. Les arguments sont variables en fonction des appartenances à des organisations politiques, de la société civile voire du lieu de résidence. Tenez ! Kati, ville garnison, où les coups d’Etat n’affolent pas autant qu’à Bamako, difficile de trouver un fils, un parent qui n’est pas militaire.
Une association des femmes leaders a confié« nous, femmes leaders, avons pris l’engagement et ce n’est autre que le prolongement de la durée de la transition afin d’assurer aux Maliens des élections paisibles ». Sa présidente, Mme Bakayoko Mariam Coulibaly s’est prononcée ouvertement en faveur de la prolongation de la transition au moment où le président Assimi Goïta. Lors de son investiture, cet officier de 38 ans s’est voulu rassurant. « Je voudrais rassurer les organisations sous régionales et la communauté internationale en général que le Mali va honorer l’ensemble de ses engagements pour et dans l’intérêt supérieur de la nation »et a affiché sa volonté d’organiser « des élections crédibles, justes, transparentes, aux échéances prévues »
Goïta n’a pas varié dans le sillon tracé
A son tour, le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, s’est livré au même exercice. Profitant du séminaire gouvernemental, il a brodé autour de ce sujet crucial. « Nous allons réactualiser le programme de travail gouvernemental pour l’adapter aux urgences et au temps imparti » a-t-il martelé.
L’Organisation des Nations-Unies (ONU) a réaffirmé la nécessité d’élections « libres » en février 2022. La plupart des membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont indiqué que la tenue d’élections libres et impartiales au Mali était décisive :« la priorité absolue doit être l’organisation de l’élection présidentielle le 27 février 2022 » sans candidature des responsables de la transition.
Que dise de plus la Coordination des femmes de Kati à l’appui son choix ? Cette prolongation doit permettre aux autorités de régler l’insécurité et mener à bon port les réformes institutionnelles et politiques. Synergie 22 des organisations de la société civile pilotée par Dr Ibrahim Sangho lui a fait chorus en appelant à l’adoption « d’un chronogramme électoral réaliste »
Une entorse aux engagements pris auprès de laCommunauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) qui ne prévoient aucune prolongation de la transition.
Le Premier ministre a à cœur d’organiser d’ici septembre le dialogue national présenté comme le » deuxième chantier du gouvernement » en vue « d’établir un diagnostic partagé de la profondeur de la crise traversée » par le pays et de prendre conscience « des enjeux, des défis et des vulnérabilités structurelles ».
Les fétichistes du calendrier
Une initiative qui a provoqué une levée de bouclier. Tiébilé Dramé, ancien ministre des Affaires étrangères, a estimé le temps très court pour se prêter à ce genre de forum qui s’apparenterait plus à une manœuvre tendant à repousser la date des élections.Ses prises de position lui ont valu une avalanche de critiques frisant parfois le mépris, allusion est faite de son passage jugé trop transparent au gouvernement du président Ibrahim Boubacar Keïta qu’il avait auparavant tancé.
D’aucuns rattachés au strict respect des échéances électorales ont les yeux rivés sur les indicateurs économiques.La pandémie du Covid, associée au coup d’état, en août 2020 a fait passer l’économie d’une forte croissance de 5,1% du PIB réel en 2019, à une récession au cours de laquelle le produit intérieur brut (Pib) réel a diminué de 2% en 2020, ce qui correspond à une perte totale de croissance de 7,1 points de pourcentage, selon l’Agence française de développement. Cette forte récession est liée à une contraction de 3,5% de la croissance du secteur secondaire (-1,6% ) et de 5,5% de la croissance du secteur tertiaire (0,8%).A cela s’est greffée une chute des exportations nette due à la faiblesse de la demande mondiale et un repli des investissements publics, les ressources des programmes publics ayant été affectées aux secteurs sociaux. Cette récession est également attribuée à une baisse de l’investissement et de la consommation privés. L’inflation qui a chuté de 2,9% en 2019 grâce à une production céréalière record risque de rebondir de 0,5% suite à des problèmes d’approvisionnement ; le déficit budgétaire s’est considérablement creusé en raison de la baisse des recettes fiscales.
Le plus tôt serait le mieux
2021 devait permettre la relance économique mondiale et avec un bond du Pib réel malien de 4% en 2021 et de 5,7% en 2022. Une telle performance découlerait d’une reprise des activités des secteurs secondaire et tertiaire et d’un coup de bambou aux exportations ; les recettes fiscales sont faibles, à 13,3% du PIB en 2020 contre 20% par rapport à la norme régionale.
Le faible pouvoir d’achat des ménages est lourdement affecté par un rebond des produits de grande consommation – huile, produits laitiers, viande, ciment, etc. « Les militaires au pouvoir ont tout promis mais n’ont rien fait pour soulager les ménages. Les prix ont grimpé et rien ne dit que les choses vont s’améliorer. Mieux vaut qu’ils organisent les élections et laissent le pays entre les mains du président élu. A charge pour ce dernier de mener les réformes tant attendues et de relancer une économie moribonde »a tempêté Issa Diarra, enseignant.
Georges François Traoré
Source : L’Informateur