La septième Ticad, la Conférence de Tokyo pour le développement de l’Afrique, s’est ouverte ce mercredi en présence de nombreux dirigeants africains. Le président guinéen Alpha Condé en fait partie et pour lui, les investisseurs étrangers sont toujours les bienvenus dans son pays, dès lors qu’ils y créent de l’emploi. Il répond à Olivier Rogez.
RFI : Qu’est-ce que votre pays, la Guinée, peut attendre de ce forum Japon-Afrique ?
Alpha Condé : Nos relations avec le Japon ont commencé dès 1958, à l’indépendance de notre pays. Le Japon nous a reconnus cette année-là. Aujourd’hui, nous coopérons dans trois domaines importants : la pêche, l’agriculture et les infrastructures routières. Ce sont les Japonais qui ont notamment construit le pont sur la route de Conakry à Kindia.
Ce que nous souhaitons aujourd’hui, c’est de voir les entreprises japonaises venir travailler en Guinée. Lors de mon voyage d’État au Japon, en 2017, j’avais évoqué avec le Premier ministre Shinzo Abe, l’intérêt que nous avions pour des prêts concessionnels. Ces trois dernières années, le Japon a quand même investi 20 milliards de dollars [en Afrique, ndlr] et il compte accélérer ce mouvement.
Mais surtout, je pense que le Japon peut nous accompagner dans la formation de nos ressources humaines. Vous savez que la Guinée manque cruellement de compétences, or Shinzo Abe a fait de la formation des cadres l’un des axes de sa politique envers l’Afrique.
Est-ce que la coopération avec le Japon est différente de celle avec les autres pays, comme la Chine ou la France ? Tokyo prétend avoir une coopération plus saine.
Je pense que dans le domaine de la pêche et de la culture du riz, la coopération avec le Japon est différente. Non seulement ils nous accompagnent en envoyant leurs techniciens, mais de plus, ils forment ici des techniciens. C’est un peu la même forme de coopération que nous avons avec un pays comme la France.
Mais, vous savez, je pense que la forme que prend la coopération dépend surtout des dirigeants africains. Elle dépend de la façon dont les Africains défendent leurs intérêts et leur souveraineté. La différence tient donc davantage à la manière dont nos pays inventent les termes de cette coopération. Et c’est plus important que l’attitude de tel ou tel pays.
Pensez-vous que ces grandes réunions internationales, ces grands sommets, apportent réellement quelque chose aux populations africaines ?
En général dans ce genre de sommets, très souvent les décisions prises ne sont pas appliquées. Il faut plutôt compter sur les coopérations bilatérales pour avoir du concret. Mais les grandes manifestations en tant que telles sont plutôt politiques. Si je prends par exemple la lutte contre le changement climatique, moi, lorsque j’étais président en exercice de l’Union africaine [en 2017, ndlr], j’ai suivi les engagements pris à Paris ou à Berlin, mais nous n’avons pas vu grand-chose venir.
Si l’on prend un autre exemple, comme le Fond vert pour le climat [mécanisme onusien pour financer l’adaptation au changement climatique, ndlr], c’est le parcours du combattant pour obtenir quelque chose. Ces réunions sont utiles parce que l’on se rencontre, mais je ne crois pas que ce soit dans ces réunions que la coopération avance.
Est-ce que depuis près de dix ans que vous êtes au pouvoir, les investissements étrangers ont créé des emplois en Guinée ?
Il y a eu beaucoup d’investissements dans le secteur minier, mais celui-ci ne crée pas beaucoup d’emplois. Il y en a eu davantage dans l’agrobusiness, les industries légères, ou l’hôtellerie. Aujourd’hui, nous sommes en train de mettre sur pied des parcs industriels, et nous demandons aux entreprises japonaises de venir s’y installer. Et notre politique avec les partenaires, quels qu’ils soient, y compris la Chine, c’est de demander des transferts de compétences et de technologie. Nous n’acceptons pas que dans des secteurs ou des Guinéens peuvent être employés, on fasse appel à une main-d’œuvre étrangère.
Pour ce qui est des transferts technologiques, par exemple pour les barrages, nous avons envoyé des Guinéens se faire former aux barrages des Trois Gorges, en Chine, afin de pouvoir diriger les barrages que nous avons construits. S’il n’y a pas d’emploi local, surtout pour la jeunesse, cela n’aurait pas de sens de faire venir des entreprises étrangères.
Par Olivier Rogez
Source : RFI AFRIQUE