Des révélations ? Il n’en manque pas autour des deux événements qui ont précipité le Mali dans le chaos en 2012 : l’invasion et l’occupation du nord du Mali et le coup d’Etat contre Amadou Toumani Touré à deux mois de la fin de son dernier mandat. Dans l’accomplissement de ces deux actes, la France de Nicolas Sarkozy a joué un rôle prépondérant dans l’ombre. Comment ?
Entre les présidents ATT et Nicolas Sarkozy, le courant n’a jamais passé, les deux hommes ayant entretenu des relations distantes et sans aucune cordialité.
C’est pourquoi, durant toute la durée de son mandat, Sarkozy a soigneusement évité de venir à Bamako, malgré les invitations adressées à lui par son homologue malien. La seule fois où le chef de l’Etat français a foulé le sol malien, c’était en février 2010. En visite au Gabon, il avait été informé de la libération de l’otage français, Pierre Camatte, après trois de captivité dans le désert malien. Sarkozy a alors interrompu sa visite à Libreville pour rallier Bamako, le temps de mettre son compatriote dans un avion affrété pour la circonstance. Il est resté seulement deux petites heures dans la capitale malienne.
En fait, depuis l’arrivée de Sarkozy au pouvoir le 16 mai 2007 (soit deux semaines après le plébiscite d’ATT dès le premier tour pour son dernier mandat), les relations entre le Mali et la France ont dégringolé. Fondamentalement, trois gros dossiers constituaient des obstacles sur l’axe Bamako-Paris : l’ouverture d’une base française à Sévaré (Mopti), l’accord de réadmission sur l’immigration, et la lutte contre Aqmi et les cellules terroristes au nord du Mali.
La rupture définitive entre ATT et Sarkozy est intervenue après l’éclatement du conflit libyen quand l’Elysée pressait les chefs d’Etat africains pour qu’ils se démarquent de Mouammar Kadhafi. Or, ATT était parmi les dirigeants africains qui avaient décidé de soutenir le Guide libyen jusqu’au bout. Cela malgré les pressions de Paris.
Pour en revenir aux griefs de Sarko à ATT, l’implantation d’une base militaire française à Mopti figure en bonne place dans la pomme de discorde entre les deux chefs d’Etat.
Base française à Sévaré : le niet de Bamako
C’était là une forte volonté de Nicolas Sarkozy. Le président français multiplia les démarches en direction des autorités maliennes. La dernière en date aura été l’envoi auprès d’ATT d’un officier, conseiller à la sécurité à l’Elysée. Celui-ci effectua une visite discrète à Bamako en fin 2010. Selon une bonne source, l’officier français serait arrivé à bord d’un avion privé. De l’aéroport, il serait allé directement à Koulouba (nuitamment) pour rencontrer le président Touré. Les deux hommes s’étaient connus en Centrafrique, au moment où ATT était médiateur. Après un long entretien, ils n’ont pu s’entendre. Et l’émissaire de Sarkozy est retourné la même nuit à Paris.
Au même moment, les Américains renforçaient leur coopération militaire avec le Mali, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Des manœuvres militaires entre les forces des deux pays se succédaient à un rythme soutenu, soit à Bamako et/ou dans les localités du nord. Ce n’était guère un secret, les Américains s’étaient confortablement installés à Gao. Cette présence américaine agaçait l’Elysée. Et ATT, à cause de cette présence américaine au nord, s’est retrouvé dans le collimateur de la France de Sarko et du voisin algérien (qui considérait le nord du Mali comme une arrière cour).
Le désaccord sur l’accord de réadmission
Le fossé entre Bamako et Paris avait commencé à s’élargir, lorsqu’en 2008, Sarkozy a soumis aux pays africains un projet d’accord de réadmission sur l’immigration.
Les accords de réadmission est une convention entre deux États, visant à contraindre l’un d’entre eux d’accepter de recevoir des personnes qui peuvent être, ou non, ses ressortissants, et qui viennent d’être expulsées par l’autre État.
L’accord avec le Mali était axé sur trois points : la lutte contre l’émigration clandestine, l’accès des émigrés au marché du travail et l’immigration choisie.
Mais très vite, des divergences sont apparues entre Paris et Bamako. Finalement, les autorités maliennes refusent de signer cet accord qui était une des promesses de Sarkozy dans le cadre de sa politique d’immigration.
Les Maliens gardent encore à l’esprit le sort réservé à la délégation française conduite par Patrick Stefanini, arrivée à Bamako le 7 janvier 2009, dans le but de signer sous pression, les accords de réadmission avec les autorités maliennes. Sous la pression des associations de la société civile et des milliers de Maliens vivant en France, ainsi que sur la conviction personnelle du président ATT, le gouvernement malien, pour la 4ème fois consécutive, avait refusé d’apposer sa signature sur un document qui autoriserait la France à chasser nos compatriotes résidant sur son territoire.
Face à ce refus malien, la délégation française conduite par le secrétaire général du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, venue en précurseur, était repartie sur la pointe des pieds rejoindre à Ouagadougou le ministre Brice Hortefeux en tournée ouest africaine.
Ce dernier niet de Bamako a été (très) mal digéré à Paris. Il fallait faire payer cher cet affront au président malien, qui a été le seul à rejeter le document de Sarkozy.
Lutte contre Aqmi : vision divergente
A son arrivée au pouvoir en 2002, le président Touré était conscient que la question du nord allait occuper une grande partie de son mandat. D’où la nomination de Ahmed Mohamed Ag Hamani au poste de Premier ministre à l’entame de son premier quinquennat. Aussi, d’importants chantiers et projets ont été initiés en direction des trois régions du nord. Mais, l’insurrection déclenchée à Kidal le 23 mai 2006 a été un coup de semonce pour le pouvoir. Dès lors, Kidal est rentrée dans un cycle infernal de violences, avec des attaques, des prises d’otages et des tensions interethniques.
Pour juguler cette insurrection, ATT alterne le bâton et la carotte. Pendant que l’armée, avec des chefs militaires comme Didier Dackouo, El Hadj Gamou, Ould Meydou et Abdoulaye Coulibaly rétablissaient l’ordre ; des pourparlers se déroulaient à Alger. Finalement, un accord est signé sous l’égide de l’Algérie.
Au-delà, le nord du Mali était devenu une zone d’insécurité par excellence où se côtoyaient différents groupes terroristes, djihadistes et mafieux. Une zone où les enlèvements d’Occidentaux se multipliaient. Au centre de ces actes criminels, se trouvait Aqmi. Et l’Elysée avait décidé de mener une guerre par procuration contre cette organisation criminelle. Une guerre que devrait mener le Mali et la Mauritanie. Si la Mauritanie a accepté de jouer le jeu français par l’entremise du président Abdel Aziz, arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat et qui cherchait à plaire aux Français, le Mali refusa d’aller à la guerre contre Aqmi.
En effet, le président ATT a toujours clamé que la lutte contre Aqmi et le terrorisme au nord du Mali dépasse largement le seul cadre malien. Et la conviction du président malien était : c’est une menace transfrontalière qui nécessite que tous les pays de la bande sahélo-saharienne conjuguent leurs efforts.
Aussi, ATT avait proposé la tenue d’une conférence sur la paix, la sécurité et le développement au Sahel. Mais, il a prêché dans le désert pendant près de six ans (2006 à 2012). Le président Touré s’est retrouvé face à un mur. Il n’a jamais été entendu, à cause de l’hostilité de la France ou de l’Algérie.
Au fil du temps, la situation s’est considérablement dégradée au nord avec l’arrivée des déserteurs de l’armée libyenne, suite à la guerre déclenchée par des Occidentaux contre Kadhafi. C’était l’occasion rêvée pour l’Elysée de mettre en selle le Mnla qui avait basé ses quartiers à Nouakchott avec l’appui du président Abdel Aziz.
Koulouba était régulièrement informé de tous les contacts entre Paris, Nouakchott et le Mnla. Ce dernier, pour avoir le soutien de l’Elysée, avait fait croire que son « combat » s’inscrivait dans le cadre de la lutte contre Aqmi. Or, sur le terrain, la réalité était tout autre. Une complicité s’était établie entre le Mnla, Aqmi, le Mujao et Ançardine, le groupe de Iyad Ag Ghaly. Une association complétée avec le soutien de groupes narcotrafiquants qui se livrent à des activités dans les pays de la bande : Mali, Algérie, Mauritanie et le Niger, jusqu’au Tchad.
Le nord du Mali s’embrase à partir de janvier 2012. Il fallait alors créer une tension à Bamako afin d’ouvrir un autre front pour le pouvoir.
Une vaste entreprise de déstabilisation débuta à Bamako contre le régime de Amadou Toumani Touré. L’ambassadeur de France à l’époque, y joua un grand rôle. « Ce monsieur est en mission », confiait ATT à un proche. Vrai ou faux ?
Les évènements s’enchainent. Un homme politique, en vue à Bamako, fait plusieurs fois la navette entre Bamako et Nouakchott. Dans la capitale mauritanienne, il prend des contacts avec les responsables du Mnla. Il est reçu à plusieurs reprises par le président Abdel Aziz ou ses proches. Et des informations selon lesquelles cet homme politique malien aurait reçu d’importantes sommes pour déstabiliser le pouvoir parviennent à Koulouba. Des proches du président ATT le pressent de faire arrêter l’homme politique. Car, celui-ci était déjà et en plus en contact avec des soldats à Kati qu’il incitait au soulèvement. Rien n’y fit. ATT estimant qu’il avait suffisamment à faire avec la situation au nord et les préparatifs des élections, a décidé de ne rien entreprendre contre l’homme politique, allié du Mnla. Et l’ancien président est resté sur cette position jusqu’au 22 mars.
C. H. Sylla
(L’Aube 613 du jeudi 08 mai 2014)