AU MALI, L’AVENIR INCERTAIN DU PRÉSIDENT IBRAHIM BOUBACAR KEÏTA

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IBK
L'ancien président de la République du Mali Ibrahim Boubacar Keïta

QUATRE CHEFS D’ETAT AFRICAINS SONT ATTENDUS À BAMAKO, JEUDI, POUR TENTER D’ARRACHER UN ACCORD ENTRE LE POUVOIR ET LES CONTESTATAIRES.

Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »), est aujourd’hui le capitaine d’un bateau ivre, menacé d’être emporté par une tempête qu’il a lui même générée. Depuis son accession à la tête de l’Etat en 2013 puis sa réélection en 2018, « IBK » a déjà subi des épisodes de contestation, suscités notamment par l’absence de progrès dans le conflit au nord du pays ou les tueries à répétition qui endeuillent le centre. Jamais, cependant, son pouvoir n’avait semblé aussi fragilisé.

Jeudi 23 juillet, une nouvelle délégation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), composée cette fois de quatre chefs d’Etat en exercice – Côte d’Ivoire, Ghana, Niger et Sénégal – devrait se rendre à Bamako pour tenter d’arracher une solution aux acteurs de la crise et sortir le pays de l’impasse actuelle. La tâche s’annonce ardue, même si les opposants ont décrété, lundi soir, une trêve de la mobilisation jusqu’à la fin du mois.

Pour permettre aux médiateurs, conduits par l’ex-président nigérian Goodluck Jonathan, de rechercher une issue, l’imam Mahmoud Dicko et les leaders du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) avaient offert la semaine passée un répit au régime, en annonçant le report de la mobilisation prévue vendredi en mémoire des 11 à 23 victimes, selon les bilans, tuées lors des manifestations du 10 au 12 juillet. Mais, avant même la fin des cinq jours de discussions, le plan de la Cedeao a été rejeté par les protestataires, qui ont relancé leurs appels à « la démission d’“IBK” » et à « la désobéissance civile ». Quelques barrages sont timidement réapparus lundi 20 juillet à Bamako, la capitale, pour signaler que la colère ne s’est pas encore dissipée.

« LE CHEF DE L’ETAT A VERROUILLÉ TOUT LE SYSTÈME POLITIQUE »

« La Cedeao est venue avec un schéma arrêté dans le seul but de sauver le soldat “IBK”. Avec les élections qui se préparent en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Burkina Faso ou au Niger, les pouvoirs de la région ont peur de voir leur peuple dans la rue et que le Mali leur serve d’exemple », s’offusque Choguel Maïga, l’un des chefs politiques du M5-RFP, mouvement hétérogène où se retrouvent d’anciens ministres d’« IBK », comme M. Maïga, des membres de la gauche révolutionnaire, des acteurs économiques, des activistes de la société civile et des religieux. Davantage préoccupé par l’évolution sociétale du Mali sur le temps long, l’imam Mahmoud Dicko n’est pas directement membre de cette coalition, mais il joue ici le rôle d’autorité morale et de mobilisateur des foules. Soumis à des pressions contradictoires entre une base qui s’est durcie après la répression des forces de l’ordre et des diplomates qui l’incitent à poursuivre les négociations autour d’un gouvernement d’union nationale, ses prochains messages pourraient être décisifs pour la suite du mouvement.

Si les motivations profondes de la contestation sont à chercher dans un ensemble de frustrations économiques, sécuritaires et politiques, ce sont les dernières élections législatives, organisées en mars et avril, alors que la planète se confinait pour se protéger du Covid-19, qui ont servi d’étincelle à la crise. La Cour constitutionnelle est accusée par l’opposition d’avoir inversé les résultats au profit de 31 députés proches de l’exécutif. Après avoir recommandé une reprise des législatives dans les circonscriptions contestées, la Cedeao a proposé que le contentieux électoral soit résolu par les juges constitutionnels qui restent à nommer.

LA PEUR DU VIDE INSTITUTIONNEL EST PLUS FORTE QUE TOUT

« Le problème de fond est que le chef de l’Etat a verrouillé tout le système politique avec ces élections. La Haute Cour de justice [chargée de juger le président et les ministres] est désormais présidée par Issiaka Sidibé, le beau-père de son fils Karim. En cas de transition, c’est le président de l’Assemblée nationale [issu de la majorité au pouvoir] qui prend la succession et se charge d’organiser une nouvelle élection. Si rien ne change, les autres partis savent qu’ils n’auront plus grand-chose à espérer pour encore de nombreuses années », décrypte une source au cœur des discussions. Selon elle, une dissolution de l’Assemblée nationale pourrait être un moyen de calmer les tensions, mais « la clé est de trouver une solution qui fasse consensus jusqu’à la présidentielle de 2023 ». Une gageure au regard du fossé qui sépare aujourd’hui les deux camps mais aussi de leurs divisions internes.

Si le président malien s’est dit prêt au dialogue et à ouvrir les portes d’un nouveau gouvernement à ses opposants, il ne serait en revanche pas disposé jusqu’ici à lâcher son premier ministre, Boubou Cissé, et son contrôle des ministères de souveraineté. Dans la partie adverse, l’imam Dicko n’a pas refusé la conciliation, mais il se trouve désormais travaillé par une base, notamment de jeunes activistes, qui n’espère rien d’autre que d’aboutir à la chute du régime.

Ironie du moment, alors que la plupart des voisins du Mali ainsi que ses partenaires occidentaux ne manquent pas une occasion de dénoncer le caractère velléitaire du président Ibrahim Boubacar Keïta, qui « change d’avis plusieurs fois par jour », selon un officiel français, c’est à l’instant où il apparaît le plus en difficulté que ceux-ci lui ont tissé la meilleure protection. Dans son communiqué final, la Cedeao a rappelé qu’« aucune forme de changement non constitutionnel d’accession au pouvoir ne sera acceptée ». Le souvenir du renversement en 2012 du président Amadou Toumani Touré par un coup d’Etat, ayant précipité la descente aux enfers du Mali, occupe encore les esprits.

Aujourd’hui, le pays, sans gouvernement depuis plus d’un mois, se trouve dans une vacance du pouvoir qui ne dit pas son nom. De l’avis de plusieurs de ses visiteurs, « IBK » apparaît désormais physiquement affaibli. Mais, pour les médiateurs de la crise, la peur du vide institutionnel est plus forte que tout. « “IBK” n’a pas posé les actes qu’il aurait dû, mais nous essayons d’expliquer que son départ ne réglera rien. Si cela se produit, l’Etat malien va continuer de s’effondrer et personne ne viendra ramasser les morceaux », prévient un diplomate africain.

Source : Le Monde

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