Au Mali, un début d’année marquée par une grogne sociale généralisée

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Après les magistrats fin 2018, cheminots, enseignants et syndicats de travailleurs multiplient les grèves pour réclamer notamment le paiement d’arriérés de salaires.

A la gare de Bamako, les nattes et les moustiquaires ont remplacé les locomotives qui stationnaient là, avant l’arrêt du train il y a près d’un an et demi. En cause : le manque de rentabilité des activités ferroviaires pour l’Etat malien. Assis sur une chaise en compagnie d’une vingtaine de collègues cheminots, Cheikh Diallo sort d’un sac plastique noir une lettre d’huissier. « C’est une mise en demeure. Je suis en voie d’expulsion car je n’ai pas pu payer mes cinq derniers loyers », s’inquiète-t-il. Comme M. Diallo, les 496 cheminots maliens ont débuté une grève de la faim, le 18 décembre 2018. En chômage technique depuis l’arrêt du train, ils réclament au gouvernement plus de neuf mois de salaires impayés, soit plus d’1,6 milliard de francs CFA (2,4 millions d’euros) ainsi que la reprise des activités ferroviaires.

 

« Un peu avant le début de la grève, ils nous ont dit qu’ils allaient nous payer deux mois de salaire. Mais deux mois, ce n’est pas suffisant ! », s’offusque Mahamane Thienta, secrétaire général du syndicat Sytrail, en prenant dans sa sacoche une pile d’une dizaine de documents bancaires. « Ça, ce sont les prêts impayés : 98 % des cheminots ont pris des crédits. Ces deux mois de salaire serviront uniquement à éponger les dettes ! En plus, nous n’avons toujours rien reçu », assure-t-il.

« Plus rien à perdre »

A ses côtés, deux travailleurs ont vu leurs enfants expulsés de leur école privée, faute d’avoir réglé leurs frais de scolarité. Alors tous disent en avoir assez des « promesses en l’air » du gouvernement. « Déjà lors du ramadan 2018, on nous avait promis nos salaires. Mais rien ne vient. Nous avons de bonnes raisons de nous poser des questions », soupire Boly Diandian Keïta, un autre cheminot, arborant autour du bras le ruban rouge, synonyme de « détresse et souffrance ». En décembre, M. Keïta et ses camarades ont tenté d’aider financièrement leur ami Mathurin à payer le traitement de son bébé de 7 mois, gravement malade. En vain. « Il est mort le 27 décembre. Ça me dépasse », soupire le père.

Les cheminots assurent que quatre d’entre eux sont décédés depuis l’arrêt du train, en 2017, faute d’avoir pu réunir l’argent nécessaire pour se soigner.

 

Contacté, le ministère des transports n’a pas répondu à nos sollicitations. Les cheminots eux, ne comptent pas baisser les bras. « Nous continuons la grève de la faim. Nous n’avons plus rien à perdre. L’opinion jugera des conséquences », ajoute M. Keïta.

Les salariés des rails ne sont pas les seuls à s’être mis en grève en ce début d’année. Du 9 au 11 janvier, plus de 62 000 enseignants ont aussi arrêté de travailler, selon le Syndicat national de l’éducation de base (Syneb). Logement, acquisition de matériel scolaire, correction des feuilles d’examen : les enseignants réclament des primes au gouvernement. A l’issue du mouvement, des négociations ont été débutées avec le ministère du travail. Mais aucun accord n’a été trouvé. Aussi, les enseignants sont-ils repartis en grève pour dix jours, le 21 janvier.

Hausse des prix

Mais à Bamako, c’est surtout la grève générale, organisée par l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), la plus grosse centrale syndicale du pays, qui a paralysé la capitale la même semaine que les enseignants. Une grève qui a mobilisé des milliers de travailleurs et dont les points de revendications vont de l’amélioration de la sécurité (ce qui passe par le paiement régulier des salaires), au respect du droit des citoyens ou encore à la lutte contre la vie chère. « Légumes, poulets, lait, médicaments, ciment, fer, bois, etc., sont inaccessibles pour 90 % de la population », note l’UNTM, qui précise que le prix du riz a augmenté de 67 % et celui du mil de 76 %.

 

Selon l’Institut national de la statistique du Mali (Instat), les prix ont globalement augmenté de 1,7 % en 2018, avec un pic pour le coût du logement, de l’eau, du gaz et de l’électricité, qui a grimpé de 21,5 % en un an. Ces hausses ont entraîné une baisse du niveau de vie des Maliens : près de 3 ménages sur 10 estiment qu’il s’est dégradé en 2018, selon l’Enquête modulaire et permanente auprès des ménages (EMOP) réalisée entre juillet et septembre de la même année. Un appauvrissement qui a nourri un front social de plus en plus agité et qui ne semble pas prêt de se calmer. L’UNTM a déposé un nouveau préavis de grève pour début février.

Ces tensions sociales ne sont pas nouvelles pour le gouvernement. Déjà fin 2018, il avait dû faire face à une grève aux lourds impacts. Cette fois-ci, les magistrats étaient à la manœuvre, réclamant davantage de mesures pour assurer leur sécurité et une relecture de leur statut. Trois mois de protestation qui avaient totalement paralysé le système judiciaire. Le premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga avait finalement réussi à mettre fin au mouvement en promettant aux magistrats un renforcement de la sécurité dans les tribunaux et des discussions sur leur statut lors de l’organisation d’une grande conférence sociale, qui devait commencer le 14 janvier.

Conférence sociale reportée

Comme les magistrats, enseignants et cheminots disaient attendre beaucoup de ce dialogue. Mais cette conférence sociale a été décalée sans avoir pu être amorcée. Reportée « à une date ultérieure », selon le ministère du travail. Un report qui ne change pas grand-chose pour l’UNTM. La centrale a d’ores et déjà annoncé son boycottage. « Cette conférence reprend pratiquement toutes les doléances de l’UNTM. Nous voulons que cela soit réglé entre nous, souligne Yacouba Katilé, le secrétaire général. Les participants ont été préparés par l’Etat. C’est un piège que le gouvernement nous tend et nous ne tomberons pas dedans. »

 

Mais selon Racky Talla, la ministre du travail, les doléances exprimées par la centrale syndicale lors de sa grève ont déjà été étudiées : « Entre le 15 octobre et le 29 novembre, nous avons épuisé ensemble l’intégralité des points de revendications et fait des propositions sur chacun d’eux. A l’issue de l’examen des doléances, l’UNTM ne s’est pas prononcée. Le 7 janvier, des négociations ont encore été entamées. Mais ils ont décidé de façon unilatérale de les arrêter alors que nous n’étions qu’au deuxième point. La rupture n’est pas du fait du gouvernement », nous précisait la ministre, le 14 janvier. Depuis, le ministère et l’UNTM ont repris une nouvelle série de négociations, mardi 22 janvier.

A Bamako, l’agitation du front social inquiète certains observateurs. Car, en plus de ces revendications salariales, l’Etat devra engager des réformes institutionnelles majeures qui, avant leur lancement, font déjà l’objet de contestations : le projet de redécoupage territorial et la révision de la Constitution, prévue dans les mois qui viennent.

Morgane Le Cam (Bamako, correspondance), 

Source: Le Monde

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