Au Mali, s’il y a une histoire qui défraie la chronique, c’est bien l’affaire dite « achat de l’avion présidentiel ». Plusieurs personnalités, dont trois anciens ministres du régime de l’ex-président Ibrahim Boubacar Keita, sont actuellement incarcérées dans cette affaire qui date de 2014. Ils sont poursuivis pour « escroquerie, favoritisme etc.».
Mais pourquoi l’acquisition d’un avion présidentiel fait autant de bruit ? Comment en sommes-nous arrivés à une telle situation ? Autant de questions sans réponse.
Pour mémoire, faisons un tour d’horizon sur cette histoire rocambolesque qui tient en haleine toute une nation depuis des années, laquelle a connu de nouveaux rebondissements depuis plusieurs semaines.
Tout commence le 3 mai 2014 à l’Assemblée nationale. Le nouveau Premier ministre Moussa Mara annonce, devant les députés, l’achat d’un nouvel avion de commandement. Sur le coup, il avance un coût de vingt milliards de francs CFA. Il dit se baser sur les documents que lui ont présentés ses services techniques. C’est le début d’une controverse sans fin.
Prix d’achat inconnu et l’image du Mali ternie
Cette acquisition provoque des remous. Le 13 mai 2004, Anton Op de Beke est en colère. Il est le représentant du Fonds monétaire international (FMI) au Mali. C’est normal, depuis Washington, ses patrons se posent des questions. L’institution monétaire mondiale, six mois auparavant, avait donné 4,4 milliards de francs CFA sur les vingt milliards prévus pour un programme qui prévoyait des missions de contrôle régulier dans le pays.
Le lendemain de l’annonce du représentant, Koulouba est secoué, mais pas tous les ministres. L’un d’entre eux réagit, car il « n’apprécie pas la manière ». C’est Mahamadou Camara qui était en charge de l’Information et de la Communication.
« L’achat de l’avion présidentiel ainsi que le contrat d’armement passé par le ministère de la Défense sont conformes aux lois maliennes. » Il ajoute qu’il est normal que le FMI, avec qui nous travaillons, demande des comptes. Ce que nous n’apprécions pas, c’est la manière.
L’image du Mali est ternie auprès des institutions financières internationales, notamment, le FMI. Le pouvoir en place tente de calmer le jeu. Bouaré Fily Sissoko, ministre de l’Economie et des Finances d’alors, se rend au siège du Fonds monétaire international à Washington. C’était le 16 juin 2014.
À son retour de mission, elle annonce à la presse « qu’il n’y a pas de rupture entre le Mali et le FMI » et ajoute : « toute œuvre humaine est perfectible…Quand le problème est intervenu, la première chose qu’on a eu à faire, c’est de nous interroger pour savoir si on a suivi les règles qu’on devait suivre en la matière. La réponse est oui ! ».
Quant au prix d’achat de l’avion, cela « révèle d’un secret-défense ». « La cour suprême auditera tout ce qui a été engagé, en termes de dépenses sur 2014 pour dire si c’est régulier ou pas. Si ce n’est pas le cas, elle nous le dira et on corrigera » avait-elle argué. La procédure dure quatre ans et l’affaire est classée sans suite.
L’opposition et la société civile demandent des comptes au pouvoir IBK
Les partis d’opposition et la société civile veulent connaître le coût de l’appareil. Feu l’honorable Soumaïla Cissé donne le ton. Il était le chef de file de l’opposition avant sa mort en 2020. Il déclare que « Ceux qui sont à la tête de ce pays, doivent comprendre qu’ils ont commis des surfacturations qui les sanctionnent ».
Les responsables du camp du bélier blanc (PARENA) qualifient l’histoire de l’appareil « d’une ingénierie financière diabolique d’essence mafieuse mêlant sociétés-écrans et paradis fiscaux, le tout, au détriment du trésor et du contribuable malien ».
Dans la foulée, le vérificateur général publie un rapport. Il est mentionné que « malgré près de 19 milliards de francs CFA déboursés pour l’achat de l’avion présidentiel, à ce jour, aucun document n’atteste que l’appareil a été intégré dans le patrimoine de l’État malien ». Pour son achat, « toutes les règles de l’orthodoxie financière n’ont pas été respectées », poursuit le même rapport.
« Quand on échoue dans les préparatifs, cela augure sans aucun doute le grand échec »
Nous sommes le jeudi 26 août 2021, huit ans après l’achat de l’avion, c’est la chute de Soumeylou Boubeye Maïga, surnommé le Tigre. Il est placé sous mandat de dépôt par la Cour suprême. Maître Kassoum Tapo, son avocat, annonce la nouvelle. Il est poursuivi pour « escroquerie, favoritisme » dans le cadre de l’achat de l’avion présidentiel et les armements militaires.
Le Tigre était le ministre de la Défense à l’époque des faits. Quelques heures après, c’est au tour de Bouaré Fily Sissoko. Elle est immédiatement transférée à la prison pour femmes de Bollé pour les mêmes motifs. Ces arrestations marquent alors un nouveau rebondissement dans cette affaire.
Moussa Mara, qui est arrivé à la primature au même moment que l’éclatement au grand jour de ce scandale, a fait savoir que «l’avion est arrivé en même temps que moi, donc je suis tombé dedans. »
Les arrestations continuent. Le 23 septembre 2021, c’était au tour de l’ancien ministre de l’Économie numérique, de l’Information et de la Communication, Mahamadou Camara, de rejoindre ses ex-collaborateurs, dernière les barreaux. Mais, d’autres personnalités civiles et militaires attendent dans le couloir du juge pour être entendues.
En attendant le début d’un probable procès, les commentaires vont bon train dans les grins et salons de Bamako. Saurions-nous un jour la vérité sur cette affaire ? Le temps nous le dira !
Arouna SISSOKO
Source : Le Wagadu