Nous sommes en août 1958 dans une grande famille du quartier de Bamako-Coura. Un jeune étranger Blanc est l’hôte de notre famille depuis la nuit dernière. Il s’était réveillé tard le matin. Il n’avait pas vu le regroupement autour de la calebasse de bouillie, des enfants et de leurs pères autour du patriarche. à midi, le Blanc assis à l’écart sera servi avant les membres de la famille. Il recevra une assiette bien remplie du menu du jour.
Le repas collectif sera déposé sous le hangar construit devant l’entrée de l’appartement du chef de famille. Quelques minutes après, le patriarche et les membres masculins de son foyer formeront un cercle autour du plat couvert par un van. Le vieillard ôta le couvercle et versa la sauce sur le riz. Le Blanc arrêta de manger. Il fixa intensément les Africains en train de manger. Il dira plus tard ce commentaire à mon tonton, son compagnon de voyage: «Le contenu de ce plat de riz à la sauce d’arachide était visiblement insuffisant pour le nombre de convives qui l’entouraient». Mon tonton, en souriant, lui répondit : «nous sommes tous rassasiés». «C’est une blague ?», relança le Toubab. «Non. Je t’ai dit la vérité», le rassura mon tonton.
Depuis des siècles, de l’empire du Ghana, en passant par l’empire du Mali, l’empire Songhoï, dans les familles de ce pays la philosophie transmise à travers le repas familial est magnifique et fondatrice. Les enfants en grandissant apprennent que «le repas d’une personne peut bien réunir dix autres convives». Ce proverbe, ce principe de vie est un pilier indestructible qui fonde la psychologie des Maliens.
L’effritement des fondations culturelles de notre pays n’est-il pas patent? Les réunions des hommes et celles des femmes ne sont-elles l’occasion de servir et de savourer des proverbes ? Ces délices résument merveilleusement toutes les questions difficiles à l’ordre du jour. Elles aident à gommer les aspérités des échanges d’arguments durs par des images fleuries.
Dans le Mali d’antan, toutes les audiences familiales, villageoises étaient des écoles de vie. La sécheresse des débats entre l’opposition et la majorité ne font pas recours à nos proverbes millénaires. N’est-ce pas la preuve de l’échec des hommes politiques maliens. Ils ne sont plus au diapason des populations. Les proverbes sont des armes de persuasion massives et certaines. Le filet social qui protège encore ce pays est tissé dans les millions de proverbes qui truffent les échanges entre les ethnies. Il est encore temps que le leadership politique s’en souvienne à tous les niveaux.
Sékou Oumar DOUMBIA
Source : L’ESSOR