«Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes. Ils peuvent se tromper comme tous les autres hommes» (Corneille).
Dans notre monde moderne, plus particulièrement dans notre tiers-monde, le président élu attribue sa victoire non pas à ses seules qualités personnelles mais surtout à sa bonne étoile, dont la déclinaison a pour nom le destin. Les magouilles, achats de conscience, intimidations et autres promesses électorales qui n’engagent que ceux qui y croient sont vite classées au rebut de l’histoire. De même, le perdant de l’élection, justifie sa défaite par le même coup du destin, accusant rarement les ratés de l’organisation de sa campagne électorale, son maillage territorial, le poids de ses arguments, l’engagement de ses militants. S’y ajoutent la fatale méprise entre foules et électeurs et une campagne de communication mal ciblée.
Faute d’introspection véritable donc de remise à plat, les mêmes causes produiront les mêmes effets à la prochaine élection. Et ce, jusqu’à ce qu’on comprenne et admette cette vérité tant de fois clamée : une élection présidentielle est la rencontre entre un homme et son peuple. François Mitterrand, après deux échecs à l’élection présidentielle française (1965 et 1974) entre enfin à l’Élysée en 1981, porté par un puissant désir des électeurs pour le changement, lui qui avait soupiré, un jour de défaite : “l’histoire ne m’aime pas”. On le voit, l’histoire n’y était pour rien. Elle venait d’être écrite comme toujours par les circonstances et les exigences du moment.
Le pouvoir est de droit divin, entendons-nous souvent, entraînant ainsi notre capacité à contredire le roi, le président de la République, le chef et par extension toute autorité, à s’émousser, voire à être annihilée. Cette assertion qui nous vient du fonds des âges et des civilisations, sans cesse serinée, est surtout développée par les dirigeants et leurs obligés du moment. Elle entretient chez le petit peuple la mystique de l’extraction divine de celui qui est au-dessus de tous.
Chez nous, une vieille superstition situe le chef hors de toutes les contingences. Le citoyen ordinaire ne conteste pas celui que Dieu a placé en tête, donc au-dessus de tout, à l’abri du besoin, insensible à la douleur et à la maladie. A-t-on déjà vu nos dirigeants suprêmes consulter nos médecins et se faire hospitaliser dans une structure sanitaire nationale ? Qui a en mémoire leurs bulletins de santé ? Dans une démocratie, rien de plus normal que la capacité du président à diriger le pays, composé de millions de citoyens, soit connue et jugée. Car de lui, le peuple profond ne connaît que les images de la télévision de service, rythmées par les campagnes électorales, les réceptions, les lambris dorés du palais.
Notre conscience collective le situe au-delà de nos embarras et frustrations au quotidien. Et pourtant, l’avertissement de Corneille transpire la sagesse : «Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes. Ils peuvent se tromper comme tous les autres hommes». Cette vérité simple a été énoncée, il y a quatre siècles. Ajoutons en pastichant le célèbre écrivain français du 17è siècle, qu’ils peuvent tomber malades comme tout le monde. Pourtant, nous en sommes à prêter à nos chefs d’État des pouvoirs magiques, certains croyant naïvement qu’ils sont invulnérables, entendent et voient tout, ont l’art d’éventer les complots et de percer les secrets les plus ténus. Jusqu’à ce qu’un militaire hardi vienne prouver le contraire en s’emparant du pouvoir et auquel nous nous empresserons de prêter les mêmes attributs supra humains. Tels nous sommes.
Aussi, nouveau dirigeant, nouvelle flagornerie et nouvelle inspiration qui font remonter les qualités du nouveau chef à ses ancêtres, qui eux-mêmes, le doivent à des aïeux fictifs. Force-t-on le trait lorsque l’on voit tel personnage de flatteuse réputation intellectuelle ou civile, de notoriété notabilisante, issu de surcroît de la République et de la démocratie, faire acte de contrition obséquieuse devant le prince du jour ? Assurément non, tant les exemples sont légion, mais ne nommons personne. Il est vrai que la susceptibilité de nos chefs va jusqu’à se nicher dans la sémantique protocolaire lorsque l’appellation “Monsieur le Président” n’est pas précédée de “Son Excellence”. Colère puérile quand l’usage protocolaire consacre l’appellation “Monsieur le Président ou Madame la Présidente” qui n’offense en rien le prestige et la dignité de la plus haute charge.
Nos présidents ne se veulent jamais malades et croient que nous leur dénions ce “droit”. C’est pourquoi, le moindre rhume devient secret d’État, la plus petite grippe soigneusement camouflée. Tant de journalistes ont été arrêtés, emprisonnés voire torturés pour avoir cherché à connaître si le chef avait encore bon pied, bon œil ! Rien de surprenant alors quand la masse populaire considère qu’un super héros n’a jamais faim, ni soif. Jamais fatigué ni malade. Alors, le génie populaire qui a le secret de la dérision malicieuse transforme chez nos dirigeants la quinte de toux en tuberculose, la simple céphalée est décryptée comme un cancer en phase terminale.
Le vulgum pecus (la multitude ignorante, le commun des mortels) se venge ainsi d’eux par l’imagination comme pour se convaincre que tous les hommes sont égaux devant la douleur. Comme bien souvent, la vérité sert plus qu’elle ne nuit aux gouvernants. Elle peut tenir les gouvernés à distance des supputations parfois ravageuses face au black-out officiel. Ils savent remplir les silences de l’autorité par des rumeurs et des fantasmes qui sont autant de façons de dénoncer la mauvaise gouvernance, surtout depuis l’irruption des réseaux sociaux dans nos façons de communiquer.
De fait, une conception irrationnelle du pouvoir empêche de regarder au-delà de nos pratiques, de notre histoire et de nos frontières. Comment sous d’autres cieux se comporte-t-on vis-à-vis des tenants du pouvoir ? Question simple en effet à l’heure du village planétaire. Chacun de nous a sa propre réponse. Toutefois, un fait significatif n’est sans doute partagé que sous notre hémisphère : la terreur qui s’empare de la plupart de nos dirigeants, à quelques exceptions notables, quand sonne l’heure de quitter le pouvoir aux termes du mandat constitutionnel.
Comment expliquer autrement ce syndrome des derniers moments de règne qui altère leur lucidité dont font fonds de commerce des conseillers redoutant la fin de privilèges et des prébendes. C’est alors le bal des experts en tripatouillages de la Constitution et d’organisateurs de marches de soutien à la spontanéité provoquée.
Au nombre et à la durée des mandats, un chef aura toujours la biologie et l’outrage du temps comme adversaires. Les États survivent aux hommes indispensables dont sont pleins les cimetières. Les reliques du pouvoir, suprême soit-il, ont aussi leurs poussières.
Le petit peuple veut un dirigeant à hauteur d’homme, à son écoute, informé de ses préoccupations ordinaires, porteur de ses rêves de grandeur. Il le juge à l’aune de son dévouement désintéressé à accomplir le mandat qui lui a été confié et qui ne peut être qu’un renoncement à soi. Le reste, tout le reste, est juste hochet de la vanité, comme dirait Napoléon.
Par Hamadoun TOURÉ Journaliste tahamadoun@ yahoo.com
Source : L’ESSOR