Alors que les écoles sont fermées, des cours à distance pour les cycles primaire et secondaire voient le jour, faisant suite au lancement d’une université virtuelle en 2019.
Tous les matins, Mohamed Cissé, 24 ans, ouvre le commerce de vente de bétail de son père, à Gao, dans le nord du Mali. L’élevage et les bêtes : cette voie aurait pu rester la sienne dans cette ville tourmentée par la guerre, où l’éducation n’est pas la priorité. Mais loin des vaches et des enclos, Mohamed Cissé « rêve de devenir ingénieur informatique » et tente de se donner les moyens d’y arriver. Chaque « matin, midi et soir », lorsque les clients se font plus rares, il se connecte sur la plateforme de l’Université virtuelle du Mali (UVM) et suit les cours de licence 3 de réseaux informatiques à distance.
Ses deux premières années de licence, il les a passées à Bamako, où se trouvent les seuls établissements d’enseignement supérieur du pays. A l’époque, l’étudiant apprend qu’une université numérique doit être lancée en novembre 2019. A 100 000 francs CFA l’année (150 euros), le calcul est vite fait. L’option est plus économique puisqu’elle lui permet de rester vivre chez ses parents. Le jeune homme peut ainsi apporter son soutien à la petite affaire familiale. La formation à distance est enfin un choix guidé par des impératifs sécuritaires, puisqu’elle lui évite d’emprunter une route incertaine, minée par les engins explosifs improvisés des groupes terroristes présents dans la région. « La crise dans le nord du Mali rend les choses compliquées pour nous », insiste Mohamed Cissé.
« Nous avons créé cette université pour que les jeunes en zone de conflit, que cela soit interethnique ou avec la menace djihadiste, puissent étudier, résume Amadou Diawara, le directeur du centre d’innovation Famib, à l’initiative du projet. Avec la crise sécuritaire que le pays traverse, il y a des chiffres alarmants, comme les quelque 1 000 écoles fermées. » Ce constat a d’ailleurs conduit les concepteurs de l’UVM à pousser leur réflexion encore plus loin. Les études supérieures, « c’est bien, mais encore faut-il avoir le bac, donc autant lancer aussi une plateforme pour les plus jeunes », explique Daly Hamadi Diallo, le responsable de l’incubateur de l’UVM.
Pastille vidéo
L’arrivée au Mali de l’épidémie liée au coronavirus et la fermeture officielle des écoles, décrétée le 17 mars, a donné un coup d’accélérateur à cette idée. L’équipe s’est lancée dans la création de cycles primaire et secondaire regroupés au sein du complexe Kingui School, à Bamako.
Pour voir le résultat, il suffit de se rendre dans les bureaux de Famib. Sur un tableau blanc, un enseignant masqué inscrit frénétiquement une équation. Devant lui, pas d’élèves, mais un cameraman et une équipe de production qui posteront la pastille vidéo en ligne. « On produit le contenu ici. Une fois qu’il est prêt, nous l’envoyons à une autre équipe qui le télécharge sur une autre plateforme », précise Moulaye Dena, professeur de sciences de la vie et de la Terre, sur le point de faire partir un cours sur les escargots.
L’université a signé de nombreux partenariats avec des établissements d’enseignement supérieur malien, mais également avec des institutions étrangères comme la Toulouse Business School (TBS), en France. Les cours du primaire, du collège et du lycée suivent, eux, le programme national pour permettre une « continuité pédagogique », explique Olivier Machon, directeur de la petite école et du lycée virtuel. Rien n’empêche donc de suivre une année en ligne avant de reprendre la classe comme avant.
« C’est l’avenir »
Avec la détection des premiers cas de Covid-19 au Mali, fin mars, le gouvernement a sauté à pieds joints dans le projet. En visite dans les locaux de Kingui School le 21 avril, Mahamadou Famanta, le ministre de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, a précisé que les démarches pour « la certification des formations » étaient en cours. Si le processus aboutit, les lycéens pourront bientôt décrocher le baccalauréat depuis leur chambre en déboursant 5 000 francs CFA par an. « Notre vision va au-delà de cette crise sanitaire, affirme le ministre. Il s’agit pour nous de mettre en place un dispositif de formation à distance pérenne qui vienne en complément du système de formation présentielle. »
Un moyen de pallier le manque d’infrastructures, certes, mais à condition que les élèves puissent se connecter, dans ce vaste pays où Internet ne couvre pour l’heure que 24 % du territoire. Selon le site DataReportal, 4,85 millions de Maliens disposent d’une connexion, tous supports confondus, sur une population de près de 20 millions de personnes. Conscient de ces contraintes, Amadou Diawara a conçu l’application de telle sorte qu’elle puisse s’utiliser hors ligne et se mettre à jour à chaque connexion. D’ailleurs, malgré les difficultés à se connecter dans le nord, Mohamed Cissé peut surfer sur la plateforme sans dépenser un mégaoctet, grâce à un partenariat passé entre l’opérateur télécoms Orange et Kingui School. L’étudiant en est convaincu : « L’éducation à distance, c’est l’avenir au Mali. »