Après un scrutin présidentiel tendu et boycotté par l’opposition, les deux camps se font face et se dénient toute légitimité à exercer le pouvoir.
Au lendemain du scrutin présidentiel du 31 octobre, forces gouvernementales et opposition, qui avaient appelé à son boycott, se reportaient la responsabilité des multiples incidents ayant émaillé la journée. La Commission électorale indépendante (CEI) chargée de superviser la consultation a déploré des perturbations dans une cinquantaine de bureaux de vote seulement. Un chiffre très éloigné des tendances d’Indigo Côte d’Ivoire. Selon cette organisation de la société civile forte d’un millier d’observateurs, 23% des bureaux de vote sur les 22.381 déployés sur le territoire national n’avaient pas ouvert de la journée. 15% ont fermé avant 17h30, heure de clôture du scrutin. 6% ont suspendu leur opération. Près de quatre cents actes de violence (intimidations et menaces sur le personnel électoral, destruction de matériel…) ont par ailleurs été recensés comme à Daoukro (centre), fief de l’ex-président Henri Konan Bédié où personne n’a été en mesure de voter en raison de barrages érigés dans la ville. Plusieurs morts sont à déplorer autour de Gagnoa (sud-est) d’où est natif l’ancien président Laurent Gbagbo à la suite d’affrontements intra-communautaires. « Ce processus électoral n’a pas favorisé l’expression massive et sereine des populations », explique Indigo Côte d’Ivoire dans un premier rapport de fin de mission publié hier dans la soirée.
Quatre candidats étaient en lice. Contesté par ses adversaires pour briguer un troisième mandat jugé anticonstitutionnel, le président sortant Alassane Ouattara affrontait le peu charismatique Kouadio Konan Bertin ainsi que Pascal Affi Nguessan patron du Front populaire ivoirien (FPI) et Henri Konan Bédié du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Ces deux dernières personnalités ont ajouté à la confusion ambiante. Bien qu’à l’origine du boycott, elles n’avaient pas officiellement acté leur retrait des listes électorales.
Participation historiquement basse
Par la voie de son porte-parole, Pascal Affi Nguessan, elle a appelé à une transition devant déboucher sur l’organisation d’une nouvelle présidentielle ouverte et pluraliste. D’autres leaders vont plus loin encore, et demandent aux Ivoiriens de prendre la rue. C’est le cas de Simone Gbagbo, deuxième vice-président du FPI, dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux hier, en fin d’après-midi. Sorti de neuf ans de silence après son procès devant la Cour pénale internationale (CPI) Laurent Gbagbo a confié, pour sa part, le 29 octobre, sur la chaîne francophone Tv5 Monde, que « le pays courait à la catastrophe ». Quant à l’ancien président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro, exilé en France, il a constaté sur son compte twitter : « Nous n’avons aucune autre option que celle d’oeuvrer au départ de Ouattara du pouvoir ». Pour l’heure, l’effet recherché ne s’est pas produit. Lassés des crises systémiques de leurs dirigeants depuis bientôt trente ans les Ivoiriens, tous bords confondus, réfléchissent à deux fois avant de répondre aux appels empressés de leurs Etats-majors politiques. Le régime en place a d’ores et déjà mis en garde contre toute tentative de déstabilisation.
Attendue dans les prochains jours l’annonce de la victoire d’Alassane Ouattara par la CEI devrait toutefois accroître les tensions entre chaque camp tout en constituant le point de départ d’une crise dont l’intensité et la durée restent les grandes inconnues. A défaut d’adversaires le chef de l’Etat sortant est crédité de plus de 90% des suffrages exprimés. Un score qui renvoie aux 96% récoltés par Henri Konan Bédié lors de la présidentielle de 1995, où il s’était retrouvé seul face à un candidat après le refus de l’opposition de prendre part au vote. En Côte d’Ivoire, l’histoire électorale est un éternel recommencement
Frédéric Lejeal